Les Premières lectures de Nathan alternent deux niveaux de texte pour le lecteur en apprentissage: celui de la narration et celui des bulles.

La collection Premières lectures est bâtie sur une originalité très intéressante. Son principe permet de ne pas abandonner le lecteur en apprentissage devant des textes simplifiés, certes lisibles mais trop simplistes, ou devant des textes plus complexes, certes plus intéressants, mais impénétrables. Pour éviter ces deux écueils, la collection invite à une lecture en duo, réunissant un primo-lecteur et un lecteur autonome adulte ou enfant.

Chaque histoire comporte pour ce faire deux niveaux de texte. Il y a le texte du récit, qui sera lu par le lecteur autonome et, à chaque double page, une bulle au texte ajusté aux capacités du lecteur en apprentissage (selon trois étapes constituant les trois segments de la collection : «Je déchiffre», «Je commence à lire», «Je lis comme un grand»).

Ce qui permet par exemple cette première phrase narrative d’un titre «Je déchiffre» : «J’étais en train de goûter quand d’un seul coup un perroquet s’est posé sur le balcon. Surprise, j’ai bredouillé…» C’est un texte que l’élève de CP ne pourra lire seul qu’en fin d’année, mais ce n’est pas grave puisque, lors de la lecture en duo, il n’est invité qu’à lire la bulle attenante qui ne comporte qu’un seul mot: «Salut».

CITROUILLE: Murielle, comment vous est venue cette idée de la lecture tandem?

MURIELLE COUESLAN: Nous sommes partis de trois constats. Le premier, c’est que l’enfant qui commence à lire a une capacité de déchiffrage inférieure à sa capacité de compréhension. Lui à qui on lisait des albums longs et parfois complexes se trouve réduit à des textes courts et voit ses envies de lecture bien entamées! Le second, c’est que l’enfant est valorisé lorsqu’il peut lire un «vrai» livre, une histoire complète. Et enfin le troisième, c’est que ni les parents ni les enfants ne souhaitent que le rituel de lecture à deux ne s’interrompe sous prétexte que l’enfant apprend à lire. Nous nous sommes donc entourés d’une équipe d’auteurs et d’enseignants pour créer en 2001 la collection Petit tandem qui comportait deux niveaux de lecture, dans un format cartonné avec son système de bulles.

Cette collection n’a cependant pas rencontré le succès espéré…
Elle était pourtant appréciée par les parents et les enseignants. Mais sans doute le nom Petit tandem restait abstrait et le format cartonné la classait-elle parmi les albums en librairie… C’est le passage dans un format intégral, correspondant sur le marché jeunesse aux premiers romans lus par l’enfant en autonomie, qui a permis à la collection rebaptisée Premières lectures de rencontrer le succès. Avec des titres appréciés, La Tour Eiffel a des ailes, ou des séries plébiscitées, Les Animaux de Lou, cette collection est aujourd’hui leader dans le domaine de ce segment éditorial.

La distanciation de l’auteur avec son récit est très souvent perceptible dans ces textes. J’imagine que les auteurs écrivent «à la commande» pour cette collection. Pourrait-on dire que c’est là leur différence avec ceux des Premiers romans, dont on peut penser qu’ils sont, eux, porteurs de projets littéraires initiaux, certes adaptés à leurs jeunes lecteurs, mais nourris de leurs propres intentions et émotions? Bref, en termes d’écriture, pour les Premières lectures, n’avez-vous pas davantage besoin de bons artisans, tandis que pour les Premiers romans vous attendez de bons auteurs? Et, question corollaire, les écrivains jeunesse, puisque vous faites appel à eux pour la collection Premières lectures, font-ils forcément de bons artisans?
Les auteurs de la collection Premières lectures développent leur univers et leurs intentions tout en jonglant avec les contraintes, notamment l’alternance bulles-narration. Cela représente un exercice de style, c’est vrai! Pourtant, nous recevons de plus en plus de manuscrits destinés spécifiquement à cette collection de la part d’auteurs jeunesse expérimentés. Et certains auteurs prennent du plaisir à écrire et ont du succès dans les deux collections Premières lectures et Premiers romans… La contrainte peut donc être stimulante et faire naître de grands auteurs!

Je voudrais revenir aux deux niveaux de texte. Le texte narratif ne se plie pas au niveau d’apprentissage du lecteur. Mais au final, les récits de la collection n’apparaissent pas si débridés que ça. Beaucoup moins en tout cas que ceux de certains albums aux textes pourtant aussi courts. Disons qu’humour et bons sentiments sont au rendez-vous. Est-ce une conséquence de la contrainte technique, qui oblige l’auteur à «décrocher» de son récit pour remplir la bulle de chaque double page? Ou parce qu’on n’oublie pas que ces ouvrages vont être finalement proposés à l’enfant par des enseignants et des parents, pour qui cet enfant est, avant tout à ce moment-là, un élève en apprentissage? Pour beaucoup d’adultes, cette Première lecture ne doit-elle pas relever davantage d’un exercice, qu’ils essaient de rendre ludique, que de l’expérience d’une émotion littéraire dont ils considèrent que ce n’est pas la place ici, au moment de l’apprentissage – voire qu’elle pourrait être embarrassante?
La ligne éditoriale de la collection est l’humour, l’aventure, la vie quotidienne. Ceci n’empêche pas la publication de textes plus profonds, par exemple sur l’adoption avec Tu es trop grand, Georges, ou plus poétiques, comme Maman sera ravie, mais toujours avec le souci que la globalité du texte, narration et bulle, puisse être lue par un lecteur autonome de CP ou CE1. Si, au préalable, la lecture de ces textes génère du plaisir partagé, c’est déjà une certaine forme d’émotion littéraire! Quant à la joie de montrer à un grand qu’on sait lire, c’est aussi une grande satisfaction! Mais effectivement, cette collection n’a pas vocation à aborder des problématiques plus complexes, qui demandent un nombre de signes plus important et une plus grande liberté de construction et de style: ces textes seront plutôt destinés aux Premiers romans.

Enfin, autre option intéressante et qui concourt au dynamisme de votre proposition éditoriale, le concours Plume en herbe qui propose aux enfants une expérience commune avec un auteur. Cette expérience commune, c’est aussi une façon de les faire lecteurs?
Je l’espère! Le nombre de participants en hausse chaque année montre en tout cas que ce concours correspond bien aux objectifs des enseignants et aux envies des enfants en les incitant à écrire. Le concours propose aux classes de CP et de CE1 de rédiger une histoire à partir des seules illustrations, histoire dont la version initiale de l’auteur sera ensuite publiée. C’est toujours une joie pour l’auteur, l’illustrateur et l’équipe éditoriale de lire les histoires des classes et de recevoir ces auteurs en herbe! Et pour certains enfants qui ont envie d’exprimer quelque chose mais pour qui la lecture de textes représente encore une contrainte, un effort, il me semble très intéressant de se placer dans cette posture d’auteur, de parvenir à la lecture par l’écriture.

Propos recueillis par Thierry Lenain