L’essentiel, c’est le théâtre – Un texte d’Emmanuel Darley publié dans Citrouille n°40

  • Publication publiée :26 octobre 2016
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Depuis longtemps j’ai envie d’écrire pour le jeune public. D’abord par admiration, parce que certains albums, quelques textes pour enfants me touchent beaucoup, me racontent des choses belles avec poésie et simplicité. Sans doute suis-je encore (toujours) très jeune d’esprit… Arnold Lobel, Roald Dahl, Tomi Ungerer, William Steig, Léo Léonni, par exemple. Parce que dans ces livres-là passe une philosophie, une manière de penser le monde, simple et non simpliste. Parce que parfois cela parle de choses graves, tristes, que l’on pourrait hésiter à raconter mais avec l’humour et la poésie cela devient des histoires qui émerveillent et aident à exister. Loin des bavardages, foin du bavardage, quelques mots, des images et une histoire naît.

J’espère depuis longtemps arriver à cette épure, à ces quelques phrases évocatrices que les enfants savourent, aiment entendre répéter et encore répéter et puis passent d’une génération à l’autre. C’est comme une chose autour de laquelle je tourne. J’hésite. Je n’ose pas. Quelque chose sans doute de ça.

Et puis un jour, j’y viens par le biais du théâtre. J’écris des pièces depuis quelque temps et j’aime beaucoup ça. Je trouve dans cette écriture-là une grande liberté, dans la forme, dans le fond, la façon de raconter des histoires, de dire sans en avoir l’air des choses.

Un metteur en scène me commande un texte pour enfants d’une dizaine de minutes. C’est pour un festival qui s’intitule Enfantillages !. C’est à Montpellier. Les commandes d’écriture, c’est bien. Souvent on va, on est obligé d’aller, vers des choses que l’on avait jamais faites avant, que l’on n’osait pas faire, on y revient.

J’écris la première version de Plus d’école. Ensuite je l’agrandirai, je la développerai, pour France Culture puis pour l’édition à l’École des Loisirs. Je raconte à des enfants une histoire d’enfants dans une guerre. C’est un sujet autour duquel je travaille déjà à ce moment-là. J’en ferai plus tard un roman, pour adultes celui-là, Un des Malheurs. Des enfants qui subissent à leur niveau la guerre. Au niveau des jeux, des amis, amies, de l’école, des loisirs. Au niveau de ce qui fait le quotidien, manger, dormir, avoir un toit et des parents. Et puis ce quotidien étrange, nouveau quotidien, marcher sur les routes, avoir peur, ne pas savoir de quoi demain, ce quotidien de guerre qui les fait rapidement vieillir. Mots d’enfants, rêves d’enfants, mystères d’enfants. Et puis les mots, les maux des grands, qui circulent, qui viennent lentement s’insinuer. Gagner du terrain. Cette pièce-là, avec au départ un lieu, étranger à la guerre, un lieu un peu magique de l’enfance, une piscine. Lieu de douceur, de fluidité. Tous dans l’eau à partager. Et à cette douceur, opposer le chaos. Penser au Flon-Flon et Musette de Elzbieta.

Ensuite, autre commande, plus poétique, plus musicale, Là-haut la lune, voir du côté de l’onirisme pour raconter le monde vu d’en haut, dire ceux qui ne sont pas dans le moule, qui longtemps rêvent de s’évader, s’échapper. Ceux qui sont dans la lune. Ce texte-là est monté, montré plusieurs fois, je rencontre des spectateurs, des enfants à la sortie du spectacle et j’écoute ce qu’ils disent, ce qu’ils ont compris, ce que les questionnements. C’est belle chose, cette rencontre-là.

Écrire du théâtre pour le jeune public, je ne sais pas si c’est différent d’écrire pour le « tout public ». L’essentiel c’est le théâtre. Faire avancer, circuler de personnages, qu’ils viennent se parler, nous parler et que peu à peu l’histoire se raconte, avec du silence et des suspends pour laisser la place à l’imagination. Du metteur en scène, des acteurs, d’abord. Des spectateurs, surtout, ensuite. Ne pas tout dire, ne pas tout expliquer. Laisser de l’espace pour le mystère, la magie de chacun.

Ce qui est difficile, finalement, c’est quand on se pose des questions, quand on se dit : Ah, attention, c’est pour les enfants… Là, de suite, on se tracasse, on cherche dans une mauvaise voie. J’ai écrit une pièce, Pas Bouger, qui n’est pas, à première vue, pour les enfants, mais nombreux sont ceux qui l’ont vue ou entendue, je la lis souvent dans des classes, je ne sais si ils comprennent tout mais cela leur plait beaucoup et cela crée des échanges.

En fait, sans doute, est-ce là l’idée, que toutes les pièces soient « tout public », compréhensibles, attirantes, attachantes pour les petits et les grands. Trouver dans l’épure de l’écriture, dans la langue de théâtre qui est la mienne, cette simplicité dont je parlais au départ.

La dernière pièce écrite s’inspire d’un fait divers où les enfants étaient plus que partie prenante. Je cherche à raconter, à réinventer l’histoire de cet homme qui se faisait appeler HB et qui, en 1993, a pris en otage les enfants d’une école maternelle. Je me suis interrogé. J’ai hésité. Finalement, il n’y aura pas d’enfants dans cette pièce. Ce sera comme des ombres, comme les témoins invisibles. Je ne sais si le jeune public pourra la voir, si cela sera compréhensible pour lui. J’espère que cela sera tenté.

Emmanuel Darley (son Journal irrégulier sur le web)