«Pour un auteur amoureux de l’Histoire, c’est se lancer à lui-même un grand défi que de vouloir raconter la vie de Cléopâtre.
Pratiquement rien d’authentique n’existe pour l’orienter et les auteurs de l’Antiquité ne parlent de la reine qu’au travers des évocations de César et d’Antoine. Elle n’est jamais leur héroïne, Rome seul les intéresse, et pour Rome, Cléopâtre représente un élément perturbateur, une orientale dépravée, source de malheurs. Shakespeare reprend la thèse dans son drame célèbre, Antoine et Cléopâtre, où l’on voit un Romain honnête et généreux succomber, vaincu par l’amour qu’il porte à une intrigante …
Sur le simple plan des évènements biographiques, de multiples éléments manquent, se contredisent, des dates même sont controversées, remettant en question des constructions déjà incertaines. Comment travailler à partir de là ? Pire, comment à partir de cette réalité douteuse interpréter le comportement humain, les pensées de Cléopâtre tout au long de sa propre histoire ? Cette histoire qu’on ne pourrait donc écrire que sous forme de roman où l’imagination de l’auteur jouerait le plus grand rôle.
L’auteur va-t-il se laisser engluer dans ces difficultés ? Elles s’ajoutent d’ailleurs à une autre, inséparable de tout récit ayant l’Histoire pour décor: faire sentir au lecteur l’évolution des mentalités ; lui rappeler qu’il y a deux mille ans un assassinat, par exemple, ‘avait pas forcément la même signification qu’aujourd’hui.
Alors, pourquoi se lancer un tel défi, choisir malgré tout d’évoquer Cléopâtre ? Les réponses s’imposent lorsque surgit l’essentiel: Malgré notre ignorance, il apparaît que la reine égyptienne a été une héroïne incomparable dans l’histoire du monde, une femme dont le rêve a dépassé les rêves les plus démesurés. Epouse de deux Romains parmi les plus illustres, l’influence qu’elle exerça sur eux dépasse de très loin celle d’une simple amoureuse, aussi rouée soit-elle. On devine combien il lui fallut d’intelligence et d’opiniâtreté pour mener ses combats…
On connaît les projets de conquêtes de Jules César au moment où il fut assassiné, des projets que Cléopâtre a su faire germer sur un terrain propice. On sait la conduite d’Antoine en Égypte. A partir de là, il est facile de se rendre compte à quoi tendaient les efforts constants de la descendante d’un lieutenant d’Alexandre le Conquérant : rassembler sous une seule loi un Empire d’Orient, allant d’Alexandrie à l’Inde, et sceller avec Rome, maîtresse de l’Occident, une alliance indestructible, qui ferait de son fils le pharaon d e l’univers. Le projet éblouit par sa démesure.
L’Histoire ne se laisse pas faire, un rêve reste un rêve, même si la réalité fait un bout de chemin avec lui.
Pourtant, malgré son échec, il demeure une trace profonde de Cléopâtre dans notre mémoire collective. Une image de la reine s’est imposée, silhouette légère, jeunesse, beauté, l’amour qu’elle a su donner, sa féminité, ses parures de déesse, les décors de sa vie, autant d’éléments propices à faire vagabonder notre imagination et à l’entraîner en direction de cette Egypte, même grecque, qui ne cesse de nous fasciner.»
– Bertrand Solet
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Bertrand Solet, Pef
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