Auteure et illustrateur, Adèle Tariel et Jérôme Peyrat ont, entre autres, signé ensemble La fosse aux lions, C’est dans la poche! ou plus récemment Carnivore. Ils n’hésitent pas, avec leurs albums, à sensibiliser les jeunes lecteurs – et leurs aînés – à des sujets d’actualités… mais en commettant de vrais livres jeunesse et sans pour autant embrigader les enfants! – Une interview menée par Catherine Boivin, librairie La Luciole.
CATHERINE BOIVIN: Votre duo commence à avoir plusieurs livres à son actif. Utilisez-vous toujours la même méthode de travail pour chacun des livres que vous proposez ensemble? Comment réfléchissez-vous au thème?
ADÈLE TARIEL: Pour notre premier livre, C’est dans la poche!, nous ne nous connaissions pas, c’est l’éditrice qui a contacté Jérôme pour lui proposer d’illustrer mon texte. Nous nous sommes ensuite rencontrés sur un salon du livre et il est vite apparu que nous avions des valeurs communes et des thèmes qui nous intéressaient tous les deux: l’égalité filles-garçons, l’écologie, les dérives de notre société moderne… Chaque projet est singulier, mais souvent, oui, nous partageons nos idées. Chacun a sa partie, mais aussi un oeil critique sur le travail de l’autre, ce qui, selon moi, permet de mieux aboutir le projet. Je crois que nous avons bien progressé depuis que nous nous connaissons!
JÉRÔME PEYRAT: Pas mieux! Je peux juste rajouter que notre imagination est constamment stimulée par des expos, lectures, rencontres, voyages… On note des phrases, des titres, on voit des couleurs, des lieux… On réagit à des sujets d’actualité, et quelquefois cela se transforme en idées de livres.
Vos livres, que vous les ayez signés ensemble ou pas, abordent effectivement des sujets d’actualité, et de façon plutôt engagée (la téléréalité dans la Fosse aux lions, la surconsommation pour Michel et Édouard, l’égalité des sexes avec La révolte des cocottes…) Pensez-vous que l’on doit ainsi sensibiliser les enfants dès le plus jeune âge? L’album est-il un bon moyen pour aborder ces problématiques?
ADÈLE: Mon travail de journaliste influence mon travail d’autrice bien sûr. Je suis persuadée que l’on peut parler de tout aux enfants. Ils sont les citoyens de demain. Selon moi, les sensibiliser à ces thèmes, en espérant qu’ils grandissent dans un monde meilleur, a du sens. Mais sans jamais sacrifier la qualité littéraire, graphique, et l’émotion.
JÉRÔME: Pour moi la gageure a toujours été de faire de la vraie littérature jeunesse qui puisse aussi parler aux adultes. Ce que j’aime dans un album c’est l’idée qu’il sera lu par des enfants, des adultes, des ados et que chacun puisse y trouver du sens, mais je ne cherche pas pour autant à faire des livres engagés.
Carnivore raconte l’enquête menée par un grillon sur la disparition des autres insectes qui vivaient autour de lui. Comment cette idée vous est-elle venue?
ADÈLE: Dans un restaurant, j’ai remarqué un jour une plante étrange, portant de petits «sacs». Je l’ai repérée, car j’en avais eu une chez moi il y a une quinzaine d’années. Je savais que Jérôme était passionné par les insectes, leurs morphologies, leurs couleurs… Il m’a fait observer les reflets bleutés des bousiers de longues minutes (sur une bouse, donc!). Je venais de lire Os court, un album de Jean-Luc Fromental et Joëlle Jolivet que j’avais beaucoup aimé. Je trouvais le texte en rimes très beau. Je ne pourrais pas vous dire comment, mais tout ça s’est connecté une nuit dans mon cerveau, et j’ai écrit le texte dès le lendemain.
JÉRÔME: Ça fait un moment que je voulais faire un album avec des insectes, j’ai certainement dû en parler pas mal de fois à Adèle! Cet univers, cette société miniature, silencieuse, facile à observer est complètement fascinante… Je trouve ça à la fois très proche et très exotique. Il fallait trouver l’idée originale… Ça a finalement été celle d’y mettre du suspense, de mettre en place «une enquête» pour qu’on soit totalement immergés dans leur monde.
Avez-vous réalisé cet album pour sensibiliser à la disparition des insectes?
ADÈLE: Pas directement. Nous avons voulu faire découvrir ces insectes communs, qui vivent près de nous. Ténébrion, mante religieuse, doryphore… Ils ont parfois des noms mystérieux et quand on les observe de près, ils sont souvent impressionnants! Les illustrations de Jérôme mettent en relief leur beauté. Aujourd’hui, les insectes disparaissent massivement à cause des humains, c’est triste. Peut-être que si chacun, simplement, apprend à les observer, à les connaître, il aura envie de les protéger….
JÉRÔME: Il y a très souvent une peur ou une détestation des insectes. Nous ne les connaissons pas vraiment, et ils font partie de ces animaux méconnus qui disparaissent en silence. Le but n’était pas de faire un livre militant mais de mettre en lumière la diversité, la beauté de ce petit monde.
Et pour ce qui va venir après Carnivore? Des albums signés par votre duo, ou séparément?
ADÈLE: En fin d’année, je publie un album aux éditions Utopiques intitulé Un vent meilleur qui raconte la rencontre dans le nord de la France entre un enfant migrant et une petite fille. Il évoque la solidarité, la désobéissance civile, un autre thème qui me tient à coeur. Paraîtra au même moment un nouvel album au Père Fouettard, illustré par Jérôme: Cargo. Il évoque la relation entre un petit garçon et son père, capitaine de cargo, parti en mer. Les premières illustrations sont déjà magnifiques! Et en début d’année prochaine, je serai de retour sur l’égalité filles-garçons avec un chouette projet illustré par Estelle Billon-Spagnol aux éditions Talents Hauts. Et un nouveau livre en commun avec Jérôme sera publié par la jolie maison d’édition L’étagère du bas.
JÉRÔME: Mon prochain album aux éditions Le grand jardin s’appellera La chasse aux canards – il est écrit par Florence Jenner-Metz. C’est une fable écologique et drôle sur la chasse et l’équilibre de la chaîne alimentaire. Les deux suivants sont les projets que vient d’évoquer Adèle.
Pour finir, j’aimerais demander à chacun de vous de citer un auteur ou illustrateur qui vous semble incontournable dans le monde de la littérature jeunesse? Avec quelques explications en prime bien sûr!…
ADÈLE: C’est très difficile de n’en choisir qu’un! Depuis plusieurs années, je suis fascinée par le travail de Mélanie Rutten. Autant le texte, très épuré, que les illustrations à l’aquarelle me bouleversent souvent. Je crois même que ses livres nous ont aidées, moi et ma fille, à surmonter des moments difficiles…
JÉRÔME: Un seul… Argggh!!! Je vais tricher et vous parler de mon dernier coup de coeur en illustration: Béatrice Alemagna… À découvrir, et vite!
Propos recueillis par Catherine Boivin, Librairie Sorcière La Luciole à Angers