Lis, peuchère, c’est signé Véro ! : la boîte et la marmite, une histoire d’amour qui dure.

  • Publication publiée :23 juillet 2017
  • Post category:Archives
Véro, c’est elle, à droite, sur le pouf orange ! 
Véronique Benay, libraire Sorcière La Boîte à histoires à Marseille, fait partie du Comité de lecture jeunesse bibliothécaires / libraires des Bouches du Rhône, autrement dit de La Marmite à lire (son site et ses sélections ici). Elle nous raconte cette aventure. 
Des bouquins à lire et à analyser, je pense qu’il a dû m’en passer quelques milliers dans les mains. Mais le tout premier je vous assure que je m’en souviens comme si c’était hier : le livre s’appelait  Il n’y a plus de dodos. C’était un album à compter d’Amanda Wallwork paru au Sorbier. 

Avec la présentation de ce livre à l’oral, face au comité de La Marmite à lire, je me jetais pour la première fois dans la gueule du loup. Fraîchement embauchée dans la seule librairie jeunesse de la ville, je n’en revenais toujours pas du tournant que prenait ma vie et j’avais accueilli avec inquiétude la proposition de mon boss de rejoindre ce comité de lecture.  « Tu seras la seule libraire, c’est chouette, non ?! Tu verras il n’y a que des bibs fans de littérature jeunesse… » 

C’était bien ça le problème : libraire je m’en sentais tout juste les épaules et voilà que j’allais devoir affronter tous les mois une armée de bibliothécaires aguerries dont certaines étaient réputées pour avoir la dent dure… 

Je l’ai fait pourtant et je crois me rappeler que je n’en menais pas large en présentant ce premier album, d’autant que je me suis levée pour parler et que visiblement ce n’était pas l’usage. « Elle commence déjà à faire sa star ! ». Rien qu’une plaisanterie mais c’était justement la fameuse coriace qui venait de parler. C’est elle encore qui m’a fait remarquer qu’en guise d’analyse j’avais pondu un roman et que si tout le monde était aussi long que moi le comité durerait trois jours. OK… 
Elle s’appelait Laurence, elle ne fait plus partie de ce comité depuis belle lurette mais elle a été sans doute l’une des personnalités les plus marquantes et les plus attachantes du groupe. Je me souviens m’être entendue avec elle comme larron en foire.

Étrange entité que ce groupe d’ailleurs, si solide et si fluctuant à la fois : les vieux de la vieille, présents dès le début ou presque, ceux qui y ont pris peu à peu leur marque, ceux qui y sont entrés à tous petits pas, ceux dont on a déjà oublié le nom ou ceux encore qui ont dû s’en éloigner et dont aime reparler. Dans ce groupe exclusivement féminin depuis fort longtemps, UN bibliothécaire a pris sa place voilà quelques années. Bonnes joueuses on l’a accepté sans trop de difficultés car le garçon sait fort bien cuisiner et ne se formalise pas de nos blagues vaseuses sur la gente masculine. 
C’est le deuxième jeudi de chaque mois que nous nous réunissons dans une des bibliothèques participantes pour rendre compte de nos lectures. Peu de place pour l’amateurisme ou le commentaire indigent : à la Marmite à Lire les analyses sont rédigées sur l’ensemble des bouquins parus puis elles sont présentés à tout le reste du comité. 

A dix heures du matin,  pas de problème, tout le monde est frais comme un gardon; mais en milieu d’après-midi ça se complique. La fatigue se fait sentir (à moins que ce ne soit les effets du rosé ?). Il suffit que Valérie prononce un mot anglais avec son impayable accent marseillais pour que tout le monde s’écroule. A la fin de la (longue) journée, chacun repart avec son “tas” (terme ô combien élégant pour désigner la pile de livres) et le butin peut varier entre 20, 30 ou 40 ouvrages selon les périodes de l’année .

Et puis rebelote : c’est reparti pour un mois de lectures jusqu’au comité suivant.
Mais souvent j’en ai marre. Je sature. C’est trop lourd, trop contraignant… J’ai tellement de travail à côté à la librairie, si peu de temps pour le reste. Sans compter la production qui me lasse. Tant de sujets rebattus dans les documentaires, tant d’albums mal ficelés, de romans sans style. J’ai peur d’être blasée, d’être passée du côté obscur des vieux cons qui pensent que c’était mieux avant… Alors ce coup-ci, basta, ce sera mon dernier comité. 
Et puis la date approche et c’est toujours la même histoire : je me remets à mes lectures comme une acharnée, je feuillette, je bachotte, je survole et j’ai peur de passer à côté d’un truc. Alors je reprends tout depuis le début et je m’attèle à mes analyses en m’appliquant comme une bonne élève. Et toujours je pense aux auteurs derrière le livre : s’ils l’ont fait, c’est bien qu’ils y ont mis leur coeur, qu’ils avaient quelque chose à dire ?

La veille du jour J, je me rends compte que j’ai un peu hâte de retrouver tout le monde. Toutes ces nanas + le garçon qui ne sont pas vraiment des amis, mais un peu plus tout de même que de simples collègues de travail. Chacune (pardon Baptiste) connaît un peu la vie des autres, on prend des  nouvelles, on se raconte par bribes à l’heure du repas. Les deuils, les naissances, les séparations, les parents qui se font vieux, les histoires d’amour qui démarrent et celles qui flanchent.
Pour toutes ces raisons, les mois et les réunions s’enchainent, les années passent et depuis vingt ans maintenant (au secours !…)  ce comité fait entièrement partie de ma vie professionnelle et par ricochet de ma vie tout court. Alors lorsque je serai très  très vieille, dans très très très longtemps, je pense que je me souviendrai encore de mon premier livre analysé et de quelques autres pépites découvertes au fil de mes lectures. Je sais que je me souviendrai surtout de plein de prénoms, de moments partagés et de franches parties de rigolade. Le reste après tout n’est que littérature.