MARJORIE MOSER : Le Temps des Mitaines, dont vous avez écrit le scénario, est une BD un peu hors normes dans le paysage actuel de la bande dessinée jeunesse. Elle n’est pas formatée, ni dans son sujet, ni dans son format. Est-ce facile de travailler lorsqu’on a autant de liberté d’expression ?
LOÏC CLÉMENT : La réponse est clairement non, ce n’est pas simple. Pour trouver un éditeur, déjà, la pagination a été un souci. Le format standard pour cette tranche d’âge c’est du 48 planches. Or Le Temps des Mitaines fait plus de 112 pages. Ensuite, la narration est séquencée en chapitres mettant en avant à chaque fois le point de vue de l’un des cinq différents protagonistes et, à ma connaissance, il n’y avait pas d’équivalent en BD jeunesse. Pour finir, ce livre peut s’apparenter à un polar mais dans un univers merveilleux. C’est aussi une chronique adolescente anthropomorphique. Bref, un sacré gloubi-boulga aux yeux de ceux qui ont reçu notre dossier !
C’est bizarre mais, avec Anne Montel, on n’a pourtant jamais douté de ce qu’on voulait faire. Malgré les mésaventures, les refus innombrables, on était convaincus de l’intérêt de ce qu’on voulait développer.
MARJORIE MOSER : Dans ce deuxième tome, nous quittons l’enquête policière pour une chronique sociale. Même si le cœur des Mitaines réside dans ses personnages, n’avez-vous pas peur de perdre vos lecteurs en transposant Arthur et les autres dans des registres littéraires si différents ?
MARJORIE MOSER : Dans ce deuxième tome, nous quittons l’enquête policière pour une chronique sociale. Même si le cœur des Mitaines réside dans ses personnages, n’avez-vous pas peur de perdre vos lecteurs en transposant Arthur et les autres dans des registres littéraires si différents ?
LOÏC CLÉMENT : Si, c’est un risque mais après la grande aventure, j’avais envie (besoin) d’une aventure humaine. J’ai la chance d’avoir une dessinatrice confiante ainsi qu’un super éditeur qui a marché là-dessus.
Finalement, ce qu’on voulait plus que tout avec les Mitaines, c’était passer du temps auprès des personnages pour que le lecteur ait de l’empathie pour eux. L’enquête du tome 1 était pour moi très secondaire, un prétexte pour qu’on côtoie Arthur, Kitsu, Willo, Gonzague, Pélagie mais également tous les personnages secondaires. Je voulais que chacun ait une trajectoire personnelle, une évolution, même si la plus visible était celle d’Arthur puisqu’il passait de l’enfance à l’adolescence.
L’idée qui a découlé de cette volonté initiale, c’est que chaque tome mette un personnage différent un peu plus en lumière. Le tome 2, Cœur de Renard, met en avant Kitsu et n’est pas teinté de polar mais relève plutôt de la chronique sociale. On y parle de sujets sérieux comme les petits producteurs étouffés par la grande distribution, et on y aborde les conséquences du premier tome. Que se passe-t-il quand un jeune garçon naïf sauve ses camarades de classe et devient soudain le héros de l’école ? J’ai choisi de faire d’Arthur un ado qui chope la grosse tête et se perd un peu en route. Chacun des cinq amis aura son cheminement personnel et connaîtra une évolution au contact de nouveaux personnages rencontrés au cours d’un stage d’été en entreprise. Alors oui, ceux qui auront aimé Le Temps des Mitaines pour le côté enquête risquent d’être un peu déphasés. J’espère qu’on les séduira avec le côté intime, les préoccupations des héros…
Finalement, ce qu’on voulait plus que tout avec les Mitaines, c’était passer du temps auprès des personnages pour que le lecteur ait de l’empathie pour eux. L’enquête du tome 1 était pour moi très secondaire, un prétexte pour qu’on côtoie Arthur, Kitsu, Willo, Gonzague, Pélagie mais également tous les personnages secondaires. Je voulais que chacun ait une trajectoire personnelle, une évolution, même si la plus visible était celle d’Arthur puisqu’il passait de l’enfance à l’adolescence.
L’idée qui a découlé de cette volonté initiale, c’est que chaque tome mette un personnage différent un peu plus en lumière. Le tome 2, Cœur de Renard, met en avant Kitsu et n’est pas teinté de polar mais relève plutôt de la chronique sociale. On y parle de sujets sérieux comme les petits producteurs étouffés par la grande distribution, et on y aborde les conséquences du premier tome. Que se passe-t-il quand un jeune garçon naïf sauve ses camarades de classe et devient soudain le héros de l’école ? J’ai choisi de faire d’Arthur un ado qui chope la grosse tête et se perd un peu en route. Chacun des cinq amis aura son cheminement personnel et connaîtra une évolution au contact de nouveaux personnages rencontrés au cours d’un stage d’été en entreprise. Alors oui, ceux qui auront aimé Le Temps des Mitaines pour le côté enquête risquent d’être un peu déphasés. J’espère qu’on les séduira avec le côté intime, les préoccupations des héros…
MARJORIE MOSER : Anne Montel a déjà illustré plusieurs albums pour enfants, mais vous, Loïc, vous écrivez avec Le Temps des Mitaines vos premiers livres destinés à la jeunesse. À quoi êtes-vous particulièrement attentif quand vous vous adressez aux enfants ?
LOÏC CLÉMENT : Je crois que l’adulte que je suis aime écrire des histoires que l’enfant que j’étais aurait appréciées.
J’essaie d’écrire des histoires qui ne prennent pas les enfants pour des imbéciles et qui, en toute modestie, donnent quelques clés sur le monde dans lequel on vit. Même dans un univers de magie ou de conte, je parle toujours finalement de notre société. Je fais attention aussi à ne pas faire que tout soit mignon-aseptisé. Dans les Mitaines, entre le peureux, la bagarreuse, celle qui plane tout le temps… les héros ne sont pas parfaits. Le père de Kitsu est alcoolique, le père de Gonzague souvent absent, la mère d’Arthur élève seule son fils, la maman de Pélagie est dans une vraie misère sociale… Bref, je pense que je suis imprégné par les films des années 80 pour enfants, qui avaient l’immense avantage de ne pas être édulcorés. Je parle d’une époque où Bastien est un orphelin qui dit de vrais gros mots dans L’Histoire sans fin et où les Goonies sont une bande de freaks pas très populaires. J’essaie à ma manière de faire ce genre de littérature jeunesse là. C’est d’ailleurs bien plus facile en BD qu’en album illustré jeunesse, où je sens une grande frilosité des éditeurs quand on emprunte ce genre de chemin. C’est pour cette raison que j’ai dû adapter deux projets sur des thèmes difficiles (le deuil et la solitude d’une personne âgée et la dépression) en BD alors qu’initialement ils étaient écrits pour être des albums jeunesse. Me retrouver, comme on me le demandait, à couper des éléments de récit pour assagir le tout me rendait malheureux…
J’essaie d’écrire des histoires qui ne prennent pas les enfants pour des imbéciles et qui, en toute modestie, donnent quelques clés sur le monde dans lequel on vit. Même dans un univers de magie ou de conte, je parle toujours finalement de notre société. Je fais attention aussi à ne pas faire que tout soit mignon-aseptisé. Dans les Mitaines, entre le peureux, la bagarreuse, celle qui plane tout le temps… les héros ne sont pas parfaits. Le père de Kitsu est alcoolique, le père de Gonzague souvent absent, la mère d’Arthur élève seule son fils, la maman de Pélagie est dans une vraie misère sociale… Bref, je pense que je suis imprégné par les films des années 80 pour enfants, qui avaient l’immense avantage de ne pas être édulcorés. Je parle d’une époque où Bastien est un orphelin qui dit de vrais gros mots dans L’Histoire sans fin et où les Goonies sont une bande de freaks pas très populaires. J’essaie à ma manière de faire ce genre de littérature jeunesse là. C’est d’ailleurs bien plus facile en BD qu’en album illustré jeunesse, où je sens une grande frilosité des éditeurs quand on emprunte ce genre de chemin. C’est pour cette raison que j’ai dû adapter deux projets sur des thèmes difficiles (le deuil et la solitude d’une personne âgée et la dépression) en BD alors qu’initialement ils étaient écrits pour être des albums jeunesse. Me retrouver, comme on me le demandait, à couper des éléments de récit pour assagir le tout me rendait malheureux…
MARJORIE MOSER : Le premier tome porte principalement sur le personnage d’Arthur, le second sur Kitsu… Peut-on espérer trois nouveaux tomes autour des personnages de Willo, Gonzague et Pélagie ?
LOÏC CLÉMENT : Tant que ces livres trouveront leur public, j’imagine que l’on pourra poursuivre l’aventure éditoriale.
Concernant Anne Montel et moi-même, l’envie est là. Il faut juste jongler dans notre planning avec les différents projets par ailleurs pour garder une place pour les Mitaines [Loïc Clément et Anne Montel ont également réalisé ensemble les albums Les Jours sucrés et Chaussette, paru et à paraitre cette année chez Dargaud, N.D.L.R.]. Dans un monde idéal, il y aurait six volumes, soit un pour chaque personnage principal plus une grande aventure finale à plus forte pagination en bouquet final. Une histoire d’amour, le thème de l’immigration, un album purement comique, le retour d’un antagoniste… tout ça existe dans ma tête pour continuer à faire vivre les Mitaines.
Concernant Anne Montel et moi-même, l’envie est là. Il faut juste jongler dans notre planning avec les différents projets par ailleurs pour garder une place pour les Mitaines [Loïc Clément et Anne Montel ont également réalisé ensemble les albums Les Jours sucrés et Chaussette, paru et à paraitre cette année chez Dargaud, N.D.L.R.]. Dans un monde idéal, il y aurait six volumes, soit un pour chaque personnage principal plus une grande aventure finale à plus forte pagination en bouquet final. Une histoire d’amour, le thème de l’immigration, un album purement comique, le retour d’un antagoniste… tout ça existe dans ma tête pour continuer à faire vivre les Mitaines.
MARJORIE MOSER : Dernière question, pourquoi des mitaines ? Et pas des arrosoirs ou des barbecues ?
LOÏC CLÉMENT : Le « Temps des barbecues » ? Ha ha. Il y a plusieurs raisons à ce titre. Dans le premier volume, quand Arthur est encore un enfant avec ses deux parents, la vie y est plus douce et chaude et il habite Woolen Glove (soit « Gant de laine » en anglais). Lorsqu’il perd son papa et que l’adolescence et ses affres pointent le bout de leur nez, la vie devient plus dure et il habite les Mitaines. L’image est plaisante.
L’autre raison, c’est que les enfants qui disparaissent, le monstre avec ses grands yeux rouges sur la couverture, renvoient à la notion de Croque-Mitaine. Dernière raison, j’ai rêvé de ce titre et, au petit matin, je l’ai trouvé drôlement chouette et très évocateur. Il se trouve que, des mois après la sortie du livre, on a découvert une chanson d’Henri Tachan qui s’intitule également Le Temps des Mitaines et qui parle d’un loup et d’enfants dans la forêt… C’est fou, non ?
L’autre raison, c’est que les enfants qui disparaissent, le monstre avec ses grands yeux rouges sur la couverture, renvoient à la notion de Croque-Mitaine. Dernière raison, j’ai rêvé de ce titre et, au petit matin, je l’ai trouvé drôlement chouette et très évocateur. Il se trouve que, des mois après la sortie du livre, on a découvert une chanson d’Henri Tachan qui s’intitule également Le Temps des Mitaines et qui parle d’un loup et d’enfants dans la forêt… C’est fou, non ?
Propos recueillis par Marjorie Moser, librairie L’Autre Rive à Nancy