Lucile de Pesloüan : « Je suis sans pitié pour les stéréotypes »

Lucile de Pesloüan est autrice de poésie, de livres de littérature jeunesse et générale. Elle a publié en 2022 le roman en vers libres Une année pour toujours aux éditions Talents Hauts ainsi que Pourquoi les filles ont mal au ventre ?, premier volume d’un triptyque de romans graphiques illustrés par Geneviève Darling qui ont reçu plusieurs prix et distinctions.


Propos recueillis par Tatiana Lefebvre, librairie Rêv’en Pages, Limoges / Article publié dans la revue Citrouille, n°96, décembre 2023, dossier Questions des genres.

Lucile, comment t’es-tu construite en tant que personne, et comment as-tu entamé ta réflexion autour du genre ?
Je me suis surtout construite grâce à la lecture et aux discussions. Quand je suis arrivée à Montréal à 24 ans, je me suis tout de suite sentie plus libre et plus confiante, et cette ville a été pour moi un lieu de découvertes. Je me suis rendu compte tardivement que j’étais bisexuelle, car je n’avais jamais été confrontée à des représentations de personnes bisexuelles dans mon enfance. Je trouve que le Québec est en avance sur la question de genre, et qu’on trouve chez les Québécois une grande ouverture d’esprit sur des sujets tels que l’orientation sexuelle, le genre, le féminisme ou encore la liberté. Moi qui étais une grande timide, je me suis découverte militante, j’ai commencé à créer des fanzines afin d’exprimer ce que je ressentais, surtout concernant les injustices envers les minorités. J’ai pris la décision il y a plusieurs années de ne lire que des ouvrages écrits par des femmes, après des décennies à ne lire que des productions d’hommes. Et non, les femmes n’écrivent pas que des histoires d’amour. Oui, leurs livres sont de vrais livres. Depuis, je ne lis que des ouvrages écrits par des femmes et des personnes LGBT+. Ma grand-mère m’a transmis une partie de ses valeurs, puisqu’elle n’a jamais eu de tabous, notamment autour de la contraception. Je me rappelle avoir fait le questionnaire de Proust avec elle. On peut dire que c’est elle qui m’a mise sur les rails de l’engagement et de la déconstruction.

Comment décrirais-tu ta plume en quelques mots ?
Je dirais qu’elle est engagée, militante et rebelle, comme Malou, le personnage principal de mon roman Une année pour toujours. Ma plume est sincère, intime, et je l’espère, juste.Quels livres, quelles autrices t’accompagnent dans ta réflexion ?Je ne peux que conseiller All about love de bell hooks, traduit en français sous le titre À propos d’amour (Divergences), En apnée de Meg Grehan (Talents Hauts) et La cloche de détresse de Sylvia Plath (Gallimard). Par ailleurs, j’aime beaucoup les œuvres de Jo Witek, Annie Ernaux ou encore Virginie Despentes pour son radicalisme.

Tu as une petite fille de trois ans. Comment fais-tu pour éviter qu’elle intègre les stéréotypes prédominants dans la société actuelle ?
Je suis sans pitié envers les stéréotypes. Je reprends souvent ce que je dis, par exemple pour les métiers, qu’on a toujours tendance à masculiniser. J’essaie au contraire de lui faire intégrer ces expressions au féminin.

Dans la littérature jeunesse, je suis à l’affût de tous les clichés. Souvent, on met en scène des animaux pour pallier les représentations stéréotypées, ce qui n’empêche malheureusement pas de mettre les ours et les éléphants au premier plan tandis que les souris sont reléguées au fond de la scène, véhiculant le cliché de petites choses fragiles à admirer. J’aime montrer à ma fille des albums comme Les animales ou Rock’n Roll. Ils lui apportent de la confiance en elle et une ouverture d’esprit qui lui permettent de rêver qu’elle est une grande chanteuse qui remplit des stades. Récemment, elle est revenue de la crèche en me disant que les garçons pouvaient dire des gros mots, mais pas les filles. J’ai mis un point d’honneur à lui expliquer que personne ne pouvait en dire. Au parc, alors que les garçons prennent souvent beaucoup de place, je l’invite à s’imposer et à faire comprendre aux autres quand elle ne veut pas quelque chose. Non, c’est non.

Est-ce que, comme Malou, tu as écrit une lettre à ton toi du futur ?
J’ai retrouvé mes journaux intimes, que j’ai relus avant d’écrire le roman, et je m’adressais parfois à mon moi du futur. Pour l’anecdote, certains extraits du roman sont en fait issus de mon journal ! Chez moi, j’ai une valise avec mes journaux intimes. C’est un peu ma capsule temporelle à moi ! J’ai cependant écrit une lettre à Maxime, ma fille, qu’elle lira à ses seize ans.

Complète : « J’en ai marre… »
Que les hommes me disent quoi faire. De devoir expliquer pourquoi je suis féministe. De découvrir de nouvelles femmes ayant vécu une agression à chaque fois que j’ouvre Instagram. Des violences sexuelles sur les enfants (ce sujet sera d’ailleurs au centre de mon prochain roman), et que les pouvoirs politiques ne prennent pas position à ce propos. L’inceste est la clé de voûte du patriarcat, qui domine les femmes et les enfants, et les dirigeants ferment les yeux. C’est inadmissible et ça me révolte, car un français sur dix, et un à trois enfants par classe en sont victimes.

Complète : « Je ne veux pas… »
Me taire. Arrêter de me battre.

As-tu quelque chose à dire pour donner de l’espoir aux jeunes, qui sont souvent démoralisés face aux problématiques auxquelles ils sont confrontés au quotidien (environnement, société…) ?
Croyez en vous. N’écoutez pas toujours les adultes, ils n’ont pas la science infuse. Vous savez beaucoup plus de choses que vous ne le pensez, vous devez faire confiance à votre voix intérieure qui sait ce qui est bon pour vous, ce qui est normal et ce qui ne l’est pas ! •