M. Benoit Minville, je ne vous félicite pas !

  • Publication publiée :4 juillet 2016
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Non, M. Benoit Minville ci-dessus en photo, je ne vous félicite pas.

Vous le savez : je vous l’ai dit depuis que nous avons quelque peu échangé à cet endroit [texte publié à l’origine ici sur le FB de Simon Roguet, ndlr], j’apprécie vos romans, j’apprécie généralement vos goûts, vos coups de cœur, votre façon de le montrer, de les crier, bref la façon de faire votre métier et de rendre cette toile comme vous me l’aviez dit un jour, plus belle.

Mais cette fois, je dois vous le dire, je ne vous félicite pas.

Voici pourquoi.

Je viens de finir votre prochain roman et je me devais de vous dire que cette lecture fût extrêmement gênante pour moi, qui suis d’ordinaire assez timide et assez réservé (si, si!)
Dois je vous dire pourquoi ? Oui je sens bien que je vous le dois.
En voici donc le contexte : Tard un soir, après avoir quémandé auprès de cette chère Anaïs et même de ce sacré Tibo le privilège de vous lire bien avant parution, me voici prêt à commencer Les belles vies, votre prochain roman à paraître chez Exprim’ Sarbacane. Je lis les deux premiers chapitres et très vite repose les épreuves de ce livre en me disant : «demain sera plus propice à cette lecture. J’ai envie de tout lire d’une traite : tu as deux heures de train. Ce sera un vrai plaisir.»
Car oui j’aime lire dans le train. J’aime cette tranquillité apparente qui règne la plupart du temps dans les wagons. J’aime me plonger à l’intérieur des ambiances romanesques tout en étant moi-même en mouvement, tout étant moi-même statique, en mouvement, statique. J’aime cet état. J’aime lire en train. Voilà.

En revanche, il y a une place que je ne goûte point, c’est celle dite du «carré». Parfait pour une famille, pour un déplacement professionnel à plusieurs, cet espace est beaucoup moins adapté à la lecture. Déjà car on y est sacrément mal installé. Rares sont les voisins d’en face devant lesquels nous ne nous sommes pas excusés pour lui avoir frôler la jambe au mieux, broyer les doigts de pieds au pire. Bien souvent cela se termine avec les jambes allongées au travers de l’allée et c’est généralement à notre tour de se faire écraser les pieds par une valise malpolie. Mais je m’égare.

Me voici donc, le matin en question, mon manuscrit sous le bras (enfin plutôt le vôtre d’ailleurs), prêt à me mettre dans mon petit cocon ferroviaire et à déguster votre prose déjà admirée. Quelle est ma déception quand je me retrouve dans un carré place 87 voiture 10, place fenêtre ! La présence de deux charmantes demoiselles en face de moi ne me réconforte que peu puisque par délicatesse, je positionne d’entrée mes jambes sur le côté et me fais assez rapidement écraser les pieds par une valisette d’enfant.
Je reste positif, je compte pleinement sur votre roman pour m’éclipser complètement et savourer ce moment si attendu…
Et ce moment arrive. Je me plonge dans votre histoire, me passionne pour vos personnages, me délecte de votre été, rêve au mien, oublie ce pourquoi je suis dans le train, où je vais, pars vivre avec vous en Nièvre, comme cela pourrait être en Mayenne, une nouvelle fois…
Bref j’ai adoré votre roman.
J’ai aimé la description que vous y faites de votre pays. J’ai aimé me laisser porter le temps d’une lecture, le temps d’un été. J’ai aimé vos personnages, leurs hésitations, leur fragilité, leurs défauts (comme autant de chances). Que dis-je ? En fait j’ai adoré vos personnages, j’ai surkiffé vos personnages. On aurait envie de passer un été avec eux. Et puis non en fait. Et puis si en fait. En tout cas on voudrait vivre ce même type de moment, ce même type d’émotion.

Mais malgré tout cela, je ne vous félicite pas M. Minville, je ne vous félicite pas à cause justement de cette émotion. Car vous m’avez mis dans un bien bel état M. Benoit Minville. Vous aimeriez, vous, symbole de virilité (un peu comme moi je vous l’accorde) vous mettre plusieurs fois de suite à chialer comme un gosse de 3 ans ou une ménagère de 65. Car oui, j’ai pleuré en lisant votre texte. Oui, plusieurs fois en plus. Oui, de plus en plus vers la fin. Alors, vous imaginez un peu ma gêne devant ces voisins et voisines surtout qui me regardent en douce, se disant : « Tiens il doit avoir des problèmes de lentilles ce type en face… » ou bien plus dramatique :«Ô le pauvre, il a dû apprendre une mauvaise nouvelle ! » ou bien «Tiens, le gars il s’est pris une poussière dans l’œil… tiens c’est bizarre il en a une deuxième… bah il en a une troisième… qu’est-ce qu’il doit y avoir comme poussière dans ce train ! Et je vous passe le fatal «Mais il chiale quand il lit le mec !»…
Non mais franchement, vous imaginez, j’osais même plus m’essuyer à force. Tu m’en foutras de l’émotion et du roman qui fait du bien…

Donc voilà M. Minville tout ça pour vous dire que je ne vous félicite pas. Je ne trouve pas cela très fairplay de faire pleurer les garçons sensibles, M. Minville. Ce n’est pas très correct de ne pas les prévenir un minimum : Hey les gars, non seulement je maîtrise à fond le roman noir mais en plus je vais vous retourner avec une histoire juste et sensible.
Donc non M. Minville pour toutes ces raisons je ne vous félicite pas.

Je ne vous félicite pas mais qu’est-ce que je vous remercie !
allez bisou (parce qu’au fond de nous on est quand même des tendres…)


Simon Roguet, Librairie Sorcière M’Lire à Laval