«Ma famille vous répondrait qu’Ava, c’est moi!» – une interview de Maïté Bernard (+ extrait roman)

Il y a un peu plus de deux ans, j’ai découvert une nouvelle héroïne de papier créée par Maïté Bernard, dans sa première aventure intitulée Ava préfère les fantômes. J’ai immédiatement été séduite tout comme je l’ai été par les trois tomes suivants. Lire un roman est pour moi une invitation au voyage, à la rencontre, à vivre de nouvelles expériences. Je retrouve dans la série Ava ce que j’apprécie tant chez d’autres auteurs: un personnage en évolution, des intrigues bien composées, un cadre dépaysant, des personnages secondaires étoffés et un constant renouvellement. J’ai donc cherché à en savoir plus sur cette auteure discrète, qui publie pour adultes et pour la jeunesse.

Maïté Bernard, j’ai effectué quelques recherches vous concernant et je n’ai trouvé que peu d’informations. Que pouvez-vous me dire de votre enfance et votre adolescence?
MAÏTÉ BERNARD:
Enfant, je vivais dans un tout petit village du sud de la France, dans une maison entourée de cerisiers et de vignes, avec ma famille et mon chien. Je travaillais bien à l’école, je faisais du piano, je lisais ÉNORMEMENT mais j’adorais aussi être dehors. À treize ans, nous nous sommes installés à Buenos Aires. Je suis alors passée de la garrigue à une ville de dix millions d’habitants! Buenos Aires est la ville où j’ai appris à prendre un taxi et un bus toute seule et à aller au cinéma toute seule. J’ai alors commencé à devenir très cinéphile, ce que je suis toujours et je lisais toujours ÉNORMEMENT.

Quels livres, quels auteurs vous ont accompagnée durant ces périodes?
Petite, j’ai lu les séries de la Bibliothèque rose et de la Bibliothèque verte mais ce que j’ai vraiment aimé à l’époque, comme toutes celles de ma génération, c’est Fantômette. J’avais déjà un esprit systématique; quand un roman me plaisait, je lisais toute la série. J’avais surtout des parents qui lisaient énormément aussi, et donc qui me fournissaient tout ce que je demandais.

Adolescente, la coupure avec les romans pour enfants s’est produite lorsque mon professeur de français au collège, mademoiselle Thibon, nous a fait lire un extrait des Mémoires d’une jeune fille rangée. J’ai demandé à mes parents de me l’offrir, ce qu’ils ont fait, et je l’ai dévoré tout comme j’ai dévoré le Journal d’une fiancée d’Anaïs Nin, offert par mon père. Lorsque nous sommes partis pour l’Argentine, il a fallu faire des choix. J’ai pris mes peluches, et mon exemplaire des Mémoires d’une jeune fille rangée et celui du Journal d’une fiancée. Ce sont donc deux livres qui tracent vraiment quelque chose, deux livres que j’ai lus plusieurs fois.

Une fois à Buenos Aires, comme je ne parlais pas encore espagnol, je n’avais «que» la bibliothèque du lycée français à ma disposition. J’ai donc lu Romain Gary, Dostoïvesky, Alexandre Dumas, Victor Hugo et le reste des mémoires de Beauvoir. J’avais bien conscience que je lisais de grands auteurs parce que le regard de mes parents et de mes profs valorisaient ces lectures. J’en avais conscience aussi parce qu’il suffisait de les lire pour s’en rendre compte, mais je les lisais surtout parce que j’adorais et j’adore toujours les gros romans où on s’oublie.

Je pense que j’aurais été une candidate idéale pour la littérature pour ados et la Young adult d’aujourd’hui. Je suis sûre que ça ne m’aurait pas empêché de lire le reste.

Quand est née l’envie d’écrire?
J’ai écrit mon premier poème à six ans; il a plu et ça m’a plu. Alors, je me suis dit «Plus tard je serai écrivain». Puis, à dix ans, j’ai écrit une histoire qui m’a plu, qui a plu sauf que j’avais un peu mûri et j’ai commencé à prendre conscience qu’être écrivain c’était dur. Paralysée par ce désir énorme et vital, je n’ai plus rien écrit jusqu’à dix-huit ans. Là, à la sortie de ma khâgne, je me suis dit «Maintenant j’ai du temps, c’est important pour moi donc j’essaie vraiment». Et je n’ai plus jamais cessé d’écrire.

Nîmes-Santiago, deux villes qui composent le titre de votre second roman, publié par les éditions Le passage. Dans vos livres, on sent un certain attachement pour les lieux où se déroulent les histoires. Leur choix ne me semble pas anodin. Le voyage a-t-il contribué à votre désir d’écrire?
J’ai vécu trois ans à Buenos Aires, et deux aux États-Unis. J’ai déjà écrit sur l’Argentine dans Et toujours en été, et normalement, je devrais encore écrire dessus. En revanche, je n’ai jamais écrit et je crois que je n’écrirai jamais sur les USA. Ce qui est important, c’est d’avoir un regard sur un pays, une ville ou un lieu. J’ai un regard particulier sur l’Argentine, donc des romans à écrire, sur Versailles également, où j’ai vécu treize ans, qui m’a inspiré Un cactus à Versailles, ou sur les îles anglo-normandes. J’ai trouvé dans ces trois lieux quelque chose qui est profondément moi et en même temps qui m’est étranger. Je suis bouleversée par quelque chose dans ces lieux, donc j’ai envie d’écrire, mais j’ai aussi un avis sur cette émotion.

Ava préfère les fantômes se passe à Jersey. Comment est née l’idée d’une série ancrée dans les îles anglo-normandes?
Je suis arrivée à Jersey parce qu’ado j’aimais Victor Hugo et j’avais lu qu’il y avait vécu. J’ai donc cherché sur une carte où c’était, et je me suis promis de m’y rendre un jour. Quand j’y ai enfin débarqué, vingt ans plus tard, ce n’était pas du tout pour écrire dessus. L’histoire d’Ava, l’idée d’une série en cinq tomes parce qu’il y a cinq îles principales, m’est venue quelques mois après. Du coup, je suis retournée à Jersey, et puis peu à peu j’ai aussi visité Guernesey, Sark, Herm et Alderney.


Les aventures d’Ava sont avant tout policières, les énigmes qu’elle résout, tout comme l’histoire personnelle des personnages secondaires, fantômes ou vivants, sont intimement liées au passé et à la géographie des îles. L’Histoire et la géographie sont des sujets qui vous passionnent?
Je n’aime pas la littérature sans contexte. En auto fiction par exemple, je n’aime pratiquement que Annie Ernaux, parce que chez elle il n’y a pas que du moi-je. Son moi-je est situé dans une époque et un milieu, tout en étant rendu universel par son intelligence et son écriture, bien sûr. C’est comme ça, je pense, que j’en suis venue en Adulte à écrire du roman policier. On y trouve quand même plus d’auteurs intéressés par le monde, que ce soit le contemporain ou non.

L’écriture des aventures d’Ava est compliquée parce qu’elle nécessite beaucoup de recherches. Cela me demande aussi un effort d’affinage parce que le but n’est pas d’étouffer les romans sous du savoir à ingurgiter. Le but, c’est de montrer que plus Ava accepte sa différence, plus elle se rapproche des autres.
Ava est un personnage que j’apprécie parce qu’elle est crédible, réaliste. Contrairement à bon nombre d’héroïnes de séries pour adolescents, ce n’est ni une peste ni une écervelée, ni une victime. Bien qu’elle voie des fantômes et communique avec eux, elle est plutôt ordinaire. Qui est-elle?
Ma famille vous répondrait qu’Ava, c’est moi! La création d’Ava marque un tournant parce que jusqu’alors, j’avais toujours inventé des héroïnes flamboyantes, donc très éloignées de moi, parce que je pensais qu’il fallait un personnage fascinant pour porter mes histoires. Avec Ava, j’ai laissé tomber les déguisements. Certes, elle voit les fantômes, ce qui la rend plus flamboyante et fascinante que moi, mais à part ça…
Pourquoi avoir choisi la figure du fantôme? Vous offre-t-elle une plus grande souplesse dans vos intrigues?
Je vous répondrai un peu comme je l’ai fait sur Buenos Aires ou Versailles. Je lis beaucoup de littérature jeunesse, j’ai donc lu bon nombre de romans avec des vampires, des loups garous, des anges, etc. Je n’ai pas de point de vue original sur ces créatures. En revanche, j’avais l’impression d’avoir un point de vue sur les fantômes qui n’avait peut-être pas été beaucoup exploité. Je voyais bien aussi qu’ils me permettraient de parler vraiment de la mort, comme le vampire permet de parler de sexe. Ce serait donc une série où on les prendrait au sérieux et où ils auraient une véritable existence après la mort. Pour certains, ce ne serait qu’une souffrance, mais pour d’autres, ça pourrait être l’occasion de tomber amoureux, de se faire des amis et même de s’épanouir enfin.

Les aventures d’Ava s’achèveront dans le prochain tome à paraître en 2015. Les lecteurs dont je fais partie, vont la regretter…
J’ai vraiment adoré passer du temps avec Ava. Elle m’a beaucoup apporté, notamment en me permettant de me libérer de certaines douleurs. Elle m’a rapporté une certaine reconnaissance, puisque la série a reçu de bonnes critiques et compte de nombreux lecteurs et enfin, du point de vue littéraire, Ava m’a donné un peu plus confiance en moi parce qu’écrire ces cinq tomes m’a demandé beaucoup d’efforts. Cela m’a galvanisée pour revenir à la littérature adulte. Je me suis déjà mise à l’écriture d’autres romans, de manière à ressentir le moins possible ce grand vide quand Ava s’en va paraîtra.

Propos recueillis par Caroline Hayot, librairie Larcelet à Saint Dizier.

Maïté Bernard a obtenu le prix du polar 2003 de Montigny-lès-Cormeilles pour son premier roman, Fantômes, paru à la «Série Noire» en 2002. Elle a également publié chez Le Passage le roman Monsieur Madone, en 2009. Aux éditions Syros, elle est l’auteur de Un cactus à Versailles (2009) et de Trois baisers (2010), tous deux dans la collection «Tempo+», et des aventures d’Ava avec Ava préfère les fantômes (2012), Ava préfère se battre (2013), La mort préfère Ava (2013) et Ava préfère l’amour (2014). – Lire un extrait de Ava préfère les fantômes