Marie Pavlenko : «J’écris à l’instinct, je ne construis pas les personnages à l’avance.»

Marie Pavlenko – Photo  Astrid di Crollalanza © Flammarion

Les héroïnes des précédents romans de Marie Pavlenko évoluaient dans des mondes imaginaires. On suit Déborah, celle de Je suis ton soleil, dans un univers bien plus réel, parce qu’il était le sien quand ce nouveau personnage est apparu à l’auteure. Patricia Matsakis (librairie Le Bateau Livre) a rencontré la romancière qui aimerait avoir la verve et l’humour de son héroïne…


PATRICIA MATSAKIS: Déborah, l’héroïne de cette histoire, est une personne très émouvante. Elle dresse un rempart moqueur parfois caustique pour tenir à distance le lecteur des meurtrissures de sa vie, mais il n’est pas dupe de cet artifice qui nous la rend très attachante. Cet humour piquant est-ce vous ou une figure de style?
MARINA PAVLENKO: La voix de Déborah et son humour si particulier (métaphorique, un brin cynique, et presque toujours teinté d’une précieuse autodérision) n’appartiennent qu’à elle. J’aimerais lui ressembler, mais je n’ai pas sa verve! À partir du moment où j’ai trouvé sa voix, cet humour a coulé de source. Il est donc viscéralement lié à sa personnalité fantasque et à sa façon d’envisager le monde. L’humour est une bouée magique, il empêche souvent de sombrer, il maintient la tête hors de l’eau dans les pires circonstances. C’est un de mes credo. Il m’est souvent arrivé d’avoir des fous-rires dans des situations atroces (enterrements, hôpitaux à la suite de graves accidents…). Pour me protéger, pour me souvenir que j’étais vivante. Nous évoluons dans une société où, en littérature comme au cinéma, l’humour est déprécié, il est estampillé «populaire», comme si le terme était honteux, en prime. Seul le tragique est noble, en tout cas, pour beaucoup d’élites. Or il me semble que c’est une erreur malheureuse. Une faute de goût, de connaissance de l’âme humaine. Faire rire est très difficile, beaucoup plus que faire pleurer, car l’humour est subjectif, au contraire de la tragédie. Et l’humour sauve. Rire quand on vient de pleurer, c’est reprendre vie, s’alléger. Je crois très fort en la capacité guérisseuse du rire. Déborah est ainsi. Elle peut sombrer dans des phases d’intense tristesse, mais son point de vue unique sur les choses, son recul, ou une situation burlesque tordant la réalité viendront la sauver. Et par ricochet, le lecteur. L’humour est le sien, la philosophie est mienne.


Vous avez fait la part belle aux personnages secondaires. Ils tissent l’histoire et c’est autant de clés qui ouvrent des portes pour la compréhension du personnage de Déborah. Comment sont-ils arrivés dans le roman?
J’écris à l’instinct, je ne construis pas les personnages à l’avance. Ils se façonnent au gré des événements et des obstacles. Leurs réactions les forgent. Par exemple, la personnalité du père, cet être tout droit sorti du XIXe siècle, est apparue peu à peu. Je n’avais rien prévu de sa distance, de son côté guindé difficile à cerner. À chaque fois qu’il apparaissait, ses traits se précisaient par touches. Idem pour les autres personnages. Le vrai visage de Lady Legging m’est venu à l’instant précis où j’écrivais le passage en question. «Bien sûr! C’est elle!». Voilà ce qui se passe. Je m’efforce de créer des personnages secondaires charnels parce qu’ils sont d’une importance cruciale. Ils apportent de la couleur, des nuances, et des problématiques différentes. Ma façon de travailler est très hasardeuse: je ne prévois rien, je m’immerge dans l’histoire, je la déroule. Les personnalités émergent et j’affine les détails. Une fois la première ébauche terminée, le personnage est cohérent, je reprends depuis le début et j’harmonise. Pas seulement pour les personnages, pour tout. Je n’ai trouvé la fin du roman qu’à la moitié du chemin, pour être honnête… c’est un peu fatigant, stressant, mais je ne sais pas faire autrement.


Le ton est donné dès le départ. Vous affublez l’héroïne d’un chien pouilleux, qui semble la suivre comme son ombre. Sa relation avec lui, méprisante au début du roman, glisse doucement vers un attachement et une réconciliation. Il semble que ce soit une mise en abîme de sa propre histoire qui trouvera une fin apaisée et qui la tournera résolument vers son avenir après avoir passé son bac? Était-ce intentionnel de faire apparaître Isidore comme le reflet de Déborah?
Pas du tout! Un de mes proches a lu le livre et m’a révélé ce lien entre eux. Pour moi, écrire est un total lâcher-prise. Mon inconscient prend les commandes, c’est lui qui causera à l’inconscient de mon lecteur. Les mots et les personnages constituent la partie visible de l’iceberg. Je ne prétends délivrer aucun message, aucune morale, mais souvent des lecteurs déterrent des symboles, mettent en lumière des sous-textes, parfois très visibles, que je n’avais pas remarqués. Tant mieux. Je me concentre avant tout sur les émotions que j’aimerais susciter chez le lecteur. La signification n’est pas mon affaire. Mais j’avoue que les doubles-fonds, lorsque je les découvre, m’enchantent.


Vous avez quitté les univers fantastiques de vos précédents ouvrages. Je suis ton soleil est bien ancré dans la réalité avec des problématiques contemporaines. Vous surprenez vos lecteurs, ils vous découvrent dans un univers littéraire inhabituel. Comment passe-t-on de l’un à l’autre?
Je sais que de nombreux auteurs fonctionnent par univers. Ce n’est pas mon cas. À l’origine d’un roman, pour moi, il y a un personnage, souvent très flou, qui donne l’impulsion au récit. Le point de départ du Livre de Saskia, par exemple, était une jeune fille rousse, ailée. D’emblée, le roman s’enracinait de lui-même dans un registre imaginaire. Dans le cas de La fille-sortilège, ressorti récemment chez Folio SF, l’étincelle était une jeune femme vivant en déterrant des cadavres. Essayer de faire entrer le lecteur en empathie avec Érine, personnage a priori repoussant, me semblait intéressant. Mais la faire évoluer dans le monde réel était trop violent, alors je lui ai créé une ville, la Cité des Six, et Érine y a trouvé sa place. Déborah, elle, est née dans notre monde. Quand je l’ai imaginée la première fois, il y a plus de dix ans, elle vivait à Paris, dans un décor banal et familier. La démarche n’est pas de changer d’univers, mais de suivre un personnage dans son environnement naturel, là où il existe.

Propos recueillis par Patricia Matsakis, Librairie Sorcière Le Bateau Livre à Montauban, 2017


Des parents accaparés par leurs propres problèmes de divorce. Une mère qui semble absente, obnubilée par ses découpages. Une meilleure amie qui n’a plus qu’un seul sujet de conversation: son petit ami qui est aussi mignon qu’il est inintéressant. Un chien poubelle qui n’a de cesse de mettre notre héroïne dans l’embarras. Et le bac à la fin de l’année avec des résultats et une capacité de concentration proche du nul… L’année de terminale de Deborah, auto-proclamée reine de la scoumoune, ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. Mais la vie nous réserve toujours des surprises. Celui qu’elle commence par surnommer «Mygale-man» deviendra vite un ami précieux et va lui présenter le nouveau de la classe qui n’est pas si nul qu’il n’y paraît au premier abord. À eux trois ils vont se créer une bulle dans laquelle confiance et humour (à grande dose!) vont aider Deborah à passer cette année forte en émotions et en rebondissements. Un roman drôle, juste et émouvant, que l’on ne lâche qu’à la dernière page! – Librairie Le Bateau Livre