Quand j’étais enfant je fréquentais la petite bibliothèque OCB de mon quartier, adossée à l’église.La vieille dame qui s’en occupait mettait une éternité à noter chaque livre emprunté sur une petite fiche bristol en couleur. Les étagères et les tables de l’unique pièce étaient oranges, pur jus années 70.
Une autre vieille dame venait nous lire des albums dans des locaux attenants, ceux où le curé entreposait ses cierges! Cette dame c’était Nicole Ciravegna et je me souviens qu’elle parlait très fort, en exagérant les intonations.
Un jour elle nous a lu John Browne, Rose et le Chat de minuit.
Depuis qu’elle a perdu son mari, Rose vit seule avec son chien. Il s’appelle John Brown et il veille avec beaucoup de soin et d’attention sur sa maitresse. Il lui tient compagnie à chaque moment de la journée et la suit partout, que ce soit dans le poulailler pour nourrir canards et poules, ou juste sous le poirier du jardin pour prendre un peu le frais.
Chacun s’est habitué à la douce compagnie de l’autre, rien ni personne ne vient perturber cette petite routine domestique. «Ne sommes-nous pas heureux ensemble, John Brown ? demanda Rose. Rien que tous les deux».
Ils sont heureux, c’est vrai, mais un beau soir en jetant un coup œil par la fenêtre, Rose croit voir quelque chose bouger… Ne serait-ce pas un chat qu’il lui semble apercevoir? John Brown lui ne voit rien. Il est catégorique. Et refuse même de mettre une soucoupe de lait dehors, puisque dehors il n’y a personne.
Le lendemain soir pourtant, aux alentours de minuit, Rose aperçoit de nouveau le chat vers le poirier du jardin. «« -Regarde, John Brown, le voilà dit-elle, le vois-tu maintenant ? » Mais il ferma les yeux sans répondre.» Rose n’a pas rêvé, elle le sait bien, puisqu’elle revoit souvent le soir ,son chat de minuit qui vient la saluer sur le perron de la maison. Elle lui sert même un bol de lait. «Et chaque, soir, quand Rose ne regardait pas, John Brown d’un coup de patte, renversait le bol. « -Vous n’avez pas besoin d’un chat, disait-il, vous m’avez moi! »»
Impossible de faire entendre raison à son chien. John Brown, jaloux, ne veut rien savoir. La pauvre Rose, elle, se morfond dans son lit et décide même de ne plus se lever…. ce qui ne va pas tarder à alerter John Brown, qui commence à réfléchir…
Quelle jolie surprise et quel plaisir de relire cet album que j’avais tant aimé quand j’étais petite et que Nicole Ciravégna nous avait lu avec tant de conviction, son chien à ses pieds !
Cet album qui fait partie du patrimoine de la littérature jeunesse a été écrit et illustré par deux auteurs australiens que vous connaissez, je n’en doute pas, puisque je vous en avais parlé il y a quelque temps à propos du Bunyip, souvenez-vous!
Les illustrations au charme désuet traduisent bien la chaleur de cette petite maison un peu vieillotte et si tranquille: le feu de cheminée, les petits bibelots, le tricot posé dans un coin … Quand on y regarde de plus près on peut observer un dessin très travaillé où les couleurs sont rehaussées par des détails au trait noir.
Il y a une aura à la fois apaisante et un peu mystérieuse qui émane de ce texte, ce qui fait que lorsque le chien se met à parler…. ma foi, on n’est pas plus surpris que ça! C’est certainement dû à l’équilibre subtil qui s’établit entre les mots si justes et les illustrations si délicates.
Et puis les thèmes de la jalousie, de l’affection, de la place qu’on peut accorder à l’autre sans perdre la sienne, de la vieillesse, tout ceci est parfaitement évoqué dans cet album hors d’âge et parfaitement intemporel à mon avis. Bref, j’ai adoré! Merci aux éditions de l’Âne Bâté qui permettent à ce petit chef-d’œuvre de refaire surface.
[Pour la petite histoire, il était donc sorti une première fois en 1978 aux Deux Coqs d’Or (maison fantomatique maintenant tombée dans le giron d’Hachette, mais avant ça valait le coup) puis réédité en 2008 par une petite maison d’éditions très éphémère, Il était deux fois, dont le fonds a été repris en partie par les éditions de l’Âne Bâté.]
Nul doute, quoi qu’il en soit, que cet album saura séduire les jeunes lecteurs d’aujourd’hui amateurs d’histoires tendres où l’on se pose des questions.
John Brown, Rose et le Chat de minuit – Texte de Jenny Wagner. Illustrations de Brooks Ron. Editions de l’Âne Bâté. Collection Il Etait deux fois.