Michaël Escoffier : «Les livres sont avant tout des espaces de liberté.»

Valérie Kempf (librairie Le Panier de Livres) a posé quelques questions à Michaël Escoffier, à propos de son album Princesse Kevin illustré par Roland Garrigue et qu’il conçoit, à l’image de la plupart de ses autres ouvrages «comme  des outils de partage entre l’adulte et l’enfant», dans le respect de la liberté des uns et des autres.


VALÉRIE KEMPF:  De manière générale, comment trouves-tu les sujets de ta très longue bibliographie?
MICHAËL ESCOFFIER: En général, c’est le titre qui s’impose en premier. Quand je trouve un titre qui me plaît, j’ai envie de découvrir l’histoire qui se cache derrière. Je commence alors à entrevoir différentes possibilités, je me laisse guider par les mots, le rythme des phrases. Parfois je fais de mauvais choix. Alors je reviens en arrière et je recommence. C’est un peu comme si l’histoire finale existait déjà et que je n’étais qu’un simple archéologue chargé de la déterrer pour la reconstituer (j’ai piqué cette métaphore à Stephen King, mais c’est vraiment ce que je ressens). Ce n’est qu’une fois l’histoire terminée que je parviens à prendre du recul et à saisir le véritable sujet de l’histoire. Sur mes premiers livres, il m’est même arrivé de comprendre ce que j’avais écrit en lisant les commentaires des lecteurs.
Parmi tous tes albums, il y en a peu qui soient aussi engagés que Princesse Kévin, qu’est-ce qui t’a incité à écrire sur ce sujet?
J’ai l’impression de mettre le même engagement dans chacun de mes livres. J’entends par là que j’essaie de ne pas tricher, de ne pas imposer de jugement moral et de remettre les choses en perspective pour questionner les stéréotypes dont nous sommes tous victimes, moi le premier.
Alors disons «peu de sujet autant en lien avec l’actualité»?
Princesse Kevin entre peut-être davantage en résonnance avec l’actualité et le questionnement médiatique autour des problématiques de genre. Mais c’est avant tout un livre sur la liberté d’être soi et le droit de faire fi du regard des autres. Je trouve que la plupart des livres qui s’affichent comme militants n’atteignent pas leur cible. Ils ne touchent que ceux qui sont déjà convaincus et laissent les  autres sur le bord du chemin.
Crains-tu de déclencher des polémiques?
Qu’un livre déclenche des polémiques me paraît être une bonne chose. Cela dit, ce n’est pas ce que je recherche. Ma principale préoccupation est de divertir le lecteur, ce qui est déjà très ambitieux, et de lui apporter un peu de légèreté pour dédramatiser certaines situations de l’enfance. Si en plus, on peut lui proposer quelques pistes de réflexions sur tel ou tel sujet, pourquoi pas? En tant que lecteur, je préfère les livres qui me questionnent à ceux qui m’apportent des réponses toutes faites. Donc quand j’écris une histoire, je m’efforce de ne rien imposer au lecteur, mais seulement de lui proposer différentes pistes à explorer, s’il le souhaite. Alors évidemment, chacun peut interpréter mes livres à sa façon, et j’ai parfois des retours assez surprenants. Mais les livres sont avant tout des espaces de liberté.
Lors de la parution de Zizi, Zézette: mode d’emploi, avais-tu eu des réactions négatives de la part de tes lecteurs?
Il m’est arrivé de lire quelques commentaires assez extrêmes, de la part d’individus qui n’avaient visiblement jamais ouvert le livre. Je n’accorde pas grande importance à ce type de réactions. En fait, pas mal de gens ont pensé que c’était un traité de sexualité à l’usage des enfants, alors que je n’aborde pas du tout le sujet. L’idée était plutôt d’aider les enfants à se sentir bien dans leur corps.
Pour toi, de tels albums ont-ils pour objectif de s’adresser uniquement aux jeunes lecteurs ou est-ce une manière de toucher également les parents?
La plupart de mes livres sont destinés à des enfants qui ne sont pas encore lecteurs. Je les envisage donc comme des outils de partage entre l’adulte et l’enfant. Il est essentiel que l’adulte qui va raconter une histoire à un enfant y trouve du plaisir et puisse communiquer ce plaisir à l’enfant. J’essaie donc, avec mes camarades illustrateurs et illustratrices, de toujours proposer plusieurs niveaux de lecture et de glisser des petits clins d’œil à destination de l’adulte.
Comment s’est passé la (première?) collaboration avec Roland Garrigue? Est-ce un choix de ta part ou une proposition de l’éditeur?
J’ai découvert le travail de Roland avec le livre Les blabliblablas de Tagadi & Tagada, qui m’a fait mourir de rire. J’ai ensuite eu la chance de le croiser sur différents salons, et j’ai compris très vite que j’aurais beaucoup de plaisir à travailler avec lui. Mais j’ai attendu d’avoir un texte qui lui correspondait avant de lui proposer une collaboration. Une fois l’écriture de Princesse Kevin achevée, je me suis dit que son style déjanté apporterait la légèreté nécessaire à cette histoire. Je lui ai donc soumis le texte et, à ma grande joie, il a accepté de l’illustrer. C’est toujours incertain de démarrer une nouvelle collaboration, même si on est fan du travail de l’illustrateur ou de l’illustratrice. Parfois on est sur la même longueur d’onde, et parfois non. Dans le cas de Roland, je n’ai qu’une hâte, c’est de renouveler l’expérience.  

Propos recueillis par Valérie Kempf, Librairie Sorcière Panier de Livres à Caluire-et-Cuire

Princesse KevinMichaël Escoffier Illustrations de Roland Garrigue Glénat Jeunesse
Pour Carnaval, Kévin veut se déguiser. Qui a décrété que seules les filles pouvaient se déguiser en princesse? La robe de grande soeur et quelques bijoux, les chaussures de maman et son maquillage et, hop, le tour est joué. Mais arrivé à l’école les problèmes s’accumulent: la tenue est trop chaude, les chaussures font mal aux pieds, Kévin s’empêtre dans sa robe et, surtout, aucun prince ne veut lui tenir la main! Parce qu’il est important de lutter dès le plus jeune âge contre les idées reçues et les rôles souvent dévolus par la société de consommation à travers la promotion des jeux et des déguisements, mais aussi, hélas, dans la littérature jeunesse, ce petit album aborde la problématique du genre avec délicatesse. Mine de rien, toujours avec son humour espiègle, par petites touches, le texte de Michaël Escoffier amène l’enfant à réfléchir. Oui, le costume de Chloé est complètement raté. Son papa n’est vraiment pas un bon couturier! Seulement ce n’est pas parce que c’est un papa, mais parce que sa spécialité c’est le couscous! Les illustrations de Roland Garrigue accompagnent et soulignent le propos avec fraîcheur et fantaisie. Comme d’habitude, Michaël conclut cet album par une jolie chute humoristique… ou plutôt un plongeon! À partir de 4-5 ans. — Conseillé par la Librairie Sorcière Panier de Livres