Ouvrez la porte des éditions La Pastèque !

  • Publication publiée :16 décembre 2018
  • Post category:Archives

La librairie Comptines a rencontré les éditions québécoises La Pastèque, chez qui est paru l’album L’abeille à miel. Entretien avec Élisabeth Tielemans (responsable France), Séraphine Menu (adjointe éditoriale), Marie-Soleil Granger (directrice commerciale), Frédéric Gauthier (éditeur).


ARIANE TAPINOS: La Pastèque fête ses vingt ans cette année. Qu’est-ce qui a présidé à la création de cette maison d’édition spécialisée, à l’origine, dans la bande dessinée?

ÉLISABETH TIELEMANS: Tout a commencé grâce à la passion, pour la bande dessinée et l’image en général, des deux éditeurs Frédéric Gauthier et Martin Brault. Ils étaient à l’époque libraires à Montréal et souhaitaient aider à faire émerger au Québec, réalisée par des québécois, une BD indépendante – un secteur qu’ils voyaient florissant en France, avec des maisons d’édition comme L’Association.

ARIANE TAPINOS: Comment s’est faite l’évolution de votre catalogue vers l’album jeunesse? Comment équilibrez-vous aujourd’hui vos deux catalogues BD et jeunesse?

FRÉDÉRIC GAUTHIER: C’est à travers Harvey de Janice Nadeau que nous avons fait notre premier jumelage littéraire entre un auteur et une illustratrice. C’est aussi à travers ce projet que nous avons expérimenté sur le déploiement visuel du récit. Les normes habituelles des albums jeunesse consistent à synthétiser des grands volets d’un récit dans une image. Ici, nous avons totalement fait l’inverse avec Janice, nous avons joué avec le temps en misant sur de longues scènes muettes et visuelles, sur des répétitions visuelles et conceptuelles, bref, nous avons développé un langage visuel et narratif qui croise notre expérience d’éditeur de bande dessinée et une approche visuelle de l’album jeunesse. Ce titre nous a valu deux prix du Gouverneur général, ce qui  était à l’époque une première au Canada. C’est aussi grâce à ce titre que nous avons commencé à nous faire connaître à l’international dans le marché des droits et de la traduction.

SÉRAPHINE MENU: Mais c’est Jane, le renard et moi, de Fanny Britt et Isabelle Arsenault, qui nous a réellement ouvert à la jeunesse en France. Il s’agissait d’une bande dessinée, mais l’illustratrice venait de l’univers du livre jeunesse. Ce livre a rencontré un immense succès et a permis de nous ouvrir à de nombreux autres projets. Le Noël de Marguerite de Pascal Blanchet et India Desjardins nous a ensuite valu un prix à la Foire du livre jeunesse de Bologne en 2014 et a définitivement fait de nous un éditeur de livres jeunesse.

ARIANE TAPINOS: Vos livres ont-ils d’emblée été diffusés en France? Et  sont-ils diffusés au Canada anglophone?

ÉLISABETH TIELEMANS: Nous avons été diffusés en France dès nos débuts en 1998, en fait quasiment avant de l’être au Québec! C’est une chance pour nous que notre production soit appréciée aussi bien en France qu’au Québec, cela tient simplement au grand talent de nos autrices et auteurs, illustratrices et illustrateurs, et aussi à notre amour des beaux livres. En revanche, le succès de la série Paul est vraiment énorme au Québec et a fait de nous l’une des maisons d’édition les plus importantes. En France nous n’en sommes pas là… mais on y travaille!

MARIE-SOLEIL GRANGER: Nos livres sont présents sur le marché anglophone au Canada. Les écoles et librairies francophones à travers le Canada nous connaissent bien! Il s’agit cependant d’un micro-marché puisque nos livres sont, pour la plupart, disponibles en version anglaise grâce aux ventes de droits. Nous entretenons également d’étroits liens avec plusieurs petites librairies spécialisées aux États-Unis.

ARIANE TAPINOS: Comment situez-vous votre maison d’édition par rapport à la production française, parfois pléthorique? Cultivez-vous une «différence»?

SÉRAPHINE MENU: Dans les livres de nos auteurs québécois, la différence se lit souvent bien vite! Il suffit d’ouvrir un album de Paul pour se sentir au Québec! Nous tentons de nous faire une place parmi la production française, et nous avons constaté que nous y parvenons plutôt bien, parce que nous apportons sans doute une certaine fraîcheur. Il est toujours intéressant de montrer, en effet, que la francophonie ne se limite pas à la France!

ÉLISABETH TIELEMANS: Beaucoup de libraires français nous félicitent justement de ne pas trop publier, de rester toujours exigeants quant à tous les aspects du livre. Nous ne cultivons pas une différence, nous essayons de faire «toujours mieux», en respectant les auteurs (aussi au niveau de leurs droits!) et en leur offrant une grande liberté d’expression.

ARIANE TAPINOS: Depuis deux ans vous publiez des documentaires, comme L’abeille à miel; avez-vous d’autres projets en la matière?

SÉRAPHINE MENU: Cette collection sert à faire naître des projets instructifs et très graphiques, qui laissent une grande liberté à la personnalité de chaque illustrateur. Nous travaillons actuellement sur deux documentaires pour l’année prochaine: l’un sur les volcans et l’autre sur le biomimétisme.

ARIANE TAPINOS: Avec cet album, L’abeille à miel, mais avec d’autres avant (je pense par exemple au très beau La Milléclat dorée de Benjamin Flouw, paru en 2017), vous semblez entretenir un rapport privilégié avec la nature. Est-ce que ce souci de la nature est une particularité que vous revendiqueriez? Est-ce un trait québécois ?

SÉRAPHINE MENU: L’abeille à miel et La Milléclat dorée célèbrent en effet tous les deux la nature, tout comme Les poissons électriques ou Le brouillard, ce livre magnifique de Kyo Maclear et Kenard Pak. On peut donc dire que nous avons un rapport étroit à la nature, mais nous essayons surtout, à plus large échelle, de parler avec sensibilité de la vie sous toutes ses formes, de révéler des émotions ou des réflexions. La nature fait partie de ces réflexions que nos auteurs et nous-mêmes menons, et elle ouvre la porte aux émotions.

ARIANE TAPINOS: Avez-vous, à cet égard, des exigences quant aux conditions de fabrication de vos livres, dont il faut dire qu’ils sont toujours de très belle facture?

MARIE-SOLEIL GRANGER: La Pastèque se démarque par la qualité de ses livres et le soin apporté à la production depuis ses débuts. Nous avons toujours cherché à satisfaire avant tout les envies de nos illustrateurs et de nos auteurs, c’est-à-dire à produire un livre qui leur ressemble et répond à leurs exigences. Nous impliquons les artistes dans pratiquement  toutes les étapes de la fabrication du livre. 
ARIANE TAPINOS: Comment vont les librairies au Québec? Et les librairies ou rayons jeunesse?

MARIE-SOLEIL GRANGER: Au Québec, il n’y a pas de prix unique. Les grandes surfaces ont le loisir de vendre à prix moindre. Nous refusons d’être présents chez ces commerçants puisque notre succès repose sur la confiance et l’appui des librairies depuis nos débuts. Après des années difficiles, il semble que les libraires indépendants aient trouvé une recette gagnante en misant sur des produits diversifiés et hors du commun, des activités littéraires  ainsi qu’un service personnalisé. L’ouverture de plusieurs petites librairies spécialisées témoigne de ce vent de renouveau. Les ventes des librairies indépendantes ont fait un bond de 7 % par rapport à l’an dernier. 

ARIANE TAPINOS: Pour finir, une question qui m’intrigue beaucoup: pourquoi ce nom de Pastèque qui évoque plus la méditerranée que le continent Nord Américain!

FRÉDÉRIC GAUTHIER: Le nom provient du roman Sucre de pastèque de Richard Brautigan. Nous cherchions un nom à l’époque (1997) qui ne faisait aucunement référence à la BD: bulle, phylactère, case… Nous cherchions un nom neutre, sympathique et nous avions noté très tôt La Pastèque dans notre liste et, au final, c’est lui qui l’a emporté. On voulait aussi que ça sonne bien en anglais et que ça puisse être facilement identifiable. Près de vingt ans plus tard, on est encore très fiers de ce nom!


Propos recueillis par Ariane Tapinos, Librairie Sorcière Comptines à Bordeaux