Philippe Lechermeier (nominé Prix Sorcières Roman Juniors 2016) : Et maintenant… the Till show !

Philippe Lechermeier © Rodrigo Ruiz Ciancia, 2015
Till l’Espiègle est un personnage de fiction, saltimbanque malicieux et farceur de la littérature populaire du Nord de l’Allemagne. La version la plus ancienne de son histoire fut publiée en 1510. Cinq cents ans plus tard Philippe Lechermeier et Gaëtan Dorémus ont entrepris de mettre le récit au goût du jour…


CAROLINE HAYOT: Lorsque je parle de Till, je remarque deux réactions. Soit mes interlocuteurs en ont déjà vaguement entendu parler, soit ils ignorent totalement son existence… Qu’est-ce qui t’a conduit à t’intéresser à ce personnage?
PHILIPPE LECHERMEIER: Till est un drôle de personnage, surtout célèbre dans les cultures germaniques et flamandes, c’est une sorte de Toto du Moyen-âge, qui passe son temps à faire des bêtises. C’est Gaëtan Dorémus, qui est originaire du Nord, qui m’a proposé de travailler sur ce personnage qui appartient à son enfance.


CAROLINE HAYOT: Qu’est-ce qui te plaît chez lui?
PHILIPPE LECHERMEIER: J’ai tout de suite aimé son côté frondeur, irrévérencieux et espiègle mais aussi son côté fragile; c’est  un gamin qui affronte un monde dur, injuste et cruel. Et puis, il est à la croisée de beaucoup de choses qui me plaisent et qui influencent mon travail: il me renvoie aux saltimbanques, à la commedia dell’arte, aux fourberies de Molière, aux récits de Scarron, à l’univers rabelaisien.


CAROLINE HAYOT: Que peux-tu me dire du travail de réécriture? Du choix de la versification? Pourquoi avoir choisi ces trois épisodes en particulier?
PHILIPPE LECHERMEIER: Je n’ai pas choisi d’épisodes en particulier: j’ai relu plusieurs versions assez décevantes du texte. Si le personnage est riche, la construction du récit ne me convenait pas, ni l’écriture, ni le côté trop scatologique. Du coup, j’ai choisi comme principe d’écriture de garder à chaque fois un élément des histoires initiales dans chacun de nos exploits et d’inventer le reste en puisant dans le vivier des fabliaux du Moyen-âge, dans les canevas du théâtre à tréteaux et dans mes souvenirs d’enfance. Le style est celui que j’ai déjà utilisé dans Une Bible, dans la scène de Suzanne au bain, et je tenais à y revenir car j’aime cette écriture qui, au fur et à mesure que je trouve le rythme, sonne, résonne… Gaëtan et moi avons une admiration partagée pour Max und Moritz de Wilhelm Busch, un auteur allemand du XIXe siècle. Lui s’est inspiré de la maquette de cet ouvrage précurseur et moi de ces rimes de tous les jours souvent utilisées par les Allemands. Ces rimes à deux sous donnent des textes qui se prêtent parfaitement à des lectures à voix haute, mi-hiératiques, mi-comiques. Quel plaisir de moderniser la versification, de faire rimer bifteck avec kopeck, bing et nothing, inventer des noms de ville et des jurons en m’inspirant du flamand, de l’allemand et de l’alsacien, «Kokotvercleck» !


CAROLINE HAYOT: Tu parles du plaisir… Vous proposez, il me semble, des lectures dessinées…
PHILIPPE LECHERMEIER: Oui, nous avons monté un petit spectacle que nous avons commencé à tourner en ce début d’année. C’est une lecture dessinée où nous mettons en scène notre collaboration et qui nous permet avec humour de montrer comment se fabrique un livre, comment se fait la collaboration entre l’auteur et l’illustrateur, tout en laissant une part d’improvisation où le public intervient et agit sur notre production. Il s’agit de montrer la création en direct, une page sur Facebook présente notre projet: The Till Show. Et puisque nous avons envie de faire vivre ce personnage sur la durée, d’en faire une série, ce procédé nous permet de le réinventer, de lui trouver de nouvelles situations, de nouvelles aventures en profitant de la rencontre avec les enfants ou les plus grands.


Propos recueillis par Caroline Hayot, Librairie Larcelet à Saint-Dizier

Trois exploits de Till l’espiègle
Auteur: Philippe Lechermeier
Illustrateur: Gaétan Dorémus
Éditions Les fourmis rouges – 14€
Les piquantes fourmis rouges nous proposent une fois encore un livre hors du commun. Les deux artisans à l’œuvre, Philippe Lechermeier au texte et Gaëtan Dorémus aux illustrations, nous font découvrir un personnage méconnu du grand public et pourtant haut en couleur. Vaurien, voleur, responsable de toutes les misères, c’est ainsi que Till est considéré dans sa ville de Groskrotmemehr. Mais gare à ceux qui le houspillent car Till est rancunier et ne manque jamais d’idées lorsqu’il s’agit de se venger. À peine a-t-on mis un œil dans le recueil que le rythme nous emporte: les auteurs jouent sur l’humour, le grotesque et l’accumulation pour mieux mettre en évidence l’absurdité des comportements humains, tels les fabulistes du XIVe siècle. Ce livre est un vrai régal, un concentré de malice, d’humour et de poésie à déguster sans attendre. Et parce qu’il en parle beaucoup mieux que moi, lire ci-contre ce que Philippe Lechermeier a accepté de me confier… – Librairie Larcelet