Pierre Coran : «J’avance dans l’hiver à force de printemps.»

A l’occasion de la parution du nouvel album de Pierre Coran, Sven et les musiciens du ciel (que vous pourrez notamment découvrir dans le cadre de la Quinzaine des Librairies Sorcières consacrée à la musique), nous republions un portrait de l’auteur par Luc Battieuw (directeur du Centre de littérature de jeunesse de Bruxelles, président d’IBBY Belgique), paru en 2003 sur le site de Citrouille.


Sven et les musiciens du ciel, illustré par Célia Chauffrey, édité par L’École des loisirs : Sven, le petit gardien de la montagne, était joueur de flûte. Lorsqu’il jouait la mélodie qu’il avait composée, les notes s’envolaient. Mais ce jour-là, lorsqu’il joua, un tourbillon gigantesque s’éleva de la Vallée Blanche. Sven se sentit aspiré, emporté. Une force inouïe lui collait les paupières. Quand Sven rouvrit les yeux, il se retrouva dans un couloir sans fin. Sur chaque porte, des noms chantaient : Bach, Grieg, Brahms, Chopin, Mozart…



J’avance dans l’hiver à force de printemps

A l’orée du bois d’Erbisoeul (près de Mons, en Belgique), Pierre Coran écrit depuis des années des poèmes, contes ou romans qui d’emblée séduisent petits et grands.

“J’avance dans l’hiver à force de printemps” est une de ses phrases qui collent à la personnalité du grand Pierre. Au beau milieu de la soixantaine, son âme d’enfant s’émerveille à la vision du monde. Quand il trace ses poèmes et comptines, ou rédige ses romans, l’écrivain tisse avec ses mots lumineux des histoires tirées d’un amour vrai de la vie et des gens.

Avec Irène, son épouse et complice en poésie, il cherche la trace des émotions et les transmet aux enfants. Avant de choisir l’écriture, Pierre Coran avait été instituteur puis directeur de l’école d’application de l’école normale de Mons. Mais les mots lui tendaient la main et le goût de la liberté l’a emporté loin des tracasseries administratives.

Cette audace lui a souri. Les livres pour enfants, publiés chez Casterman et traduits en japonais et autres langues, les scénarios de films pour la télé et les romans qui ne s’étiolent pas dans les rayons des librairies et des bibliothèques.

Mais comment en vient-on à écrire pour la jeunesse ?
“Par hasard, simplement parce qu’un petit bonhomme de mes élèves, en plein cours de mathématique, me demande : pourquoi vous n’écrivez pas pour nous ?”

A ce moment là, Pierre Coran avait déjà écrit un roman pour adultes, L’Ephélide (Editions Luce Wilquin). “Mais effectivement, pourquoi ne pas s’intéresser aux enfants ?” Il imagine Trois petits chinois. Les élèves apprécient et en redemandent. Un par jour…

Pierre éprouve le plaisir d’écrire pour les jeunes. Du plaisir, mais pas de la facilité. Car le livre pour les jeunes est un genre littéraire à part entière. “Les enfants ont leurs exigences et les soigner est indispensable. Ne faut-il pas rappeler qu’ils seront les adultes de demain ?”.

Depuis, ses textes sont appris par cœur par des écoliers des quatre coins de Belgique, de France, du Sénégal et de Louisiane. Parce que les poèmes sont universels.

Pierre Coran est également un animateur hors pair.
Là où il passe, rien ne sera plus pareil. Car les enfants en garderont un excellent souvenir. Ils ressentent dans cet homme l’amour qu’il leur porte. Proche d’eux, Pierre Coran sait très rapidement faire passer le courant, il les amuse en composant des comptines que ses auditeurs se plaisent à répéter. 
Aux questions posées, Pierre Coran apporte des réponses claires comme l’eau de source. “Lire, écrire, faire des jeux de poèmes, c’est comme le sport : ça conserve !” dit-il. 
Très jeune, il a toujours voulu exprimer ce qu’il ressentait de la vie. “ Faire savoir comment, lorsqu’on était gosse, on vivait sous l’Occupation, comme aujourd’hui les enfants bosniaques. On s’amusait entre la peur et le rire.” Il fait référence ici à sa trilogie Le commando des Pièces-à-trous, publiée chez Milan, inspirée de son enfance pendant la seconde guerre mondiale.
Pierre Coran émerveille également les jeunes en leur racontant des anecdotes et que, d’un simple fait divers, peut jaillir l’idée d’un roman où chaque fois il faut se mettre dans la peau du personnage et vivre l’action comme si on y participait. “Un roman c’est comme une maison… Il y a l’artiste, c’est l’architecte, il y a l’artisan, c’est le maçon qui apporte, en cours d’exécution, quelques retouches…” Chaque animation de Pierre Coran est un véritable petit cours, une petite littérature vivante.
Pour Pierre, “les poèmes tiennent à de petits détails”. Et pour le prouver, il enroule un pull autour de son bras et demande à son assistance ce que c’est. Tous les enfants répondent “un chien, un singe, une girafe…”. En imaginant tout un tas d’autres possibilités, les enfants venaient de faire de la poésie… Ils ont ensuite ajouté après chaque mot une belle rime. Ce qui a donné, en temps réel, des poèmes. Une pure merveille !
Pierre Coran est aujourd’hui un de nos grands écrivains pour la jeunesse. Il donne une âme aux mots, souhaite qu’au travers des phrases, les jeunes s’ouvrent au monde. “Par le jeu de l’anagramme / sans une lettre de trop / tu découvres le sésame des mots / qui font d’autres mots”

Prophète à Paris.

Il est 22h30, un soir d’octobre, le téléphone sonne ! Claude Roy, président du Grand Prix de poésie pour la jeunesse, lui annonce la décision du jury. Sur les envois des 422 écrivains du monde francophone, celui de notre poète belge avait émergé du lot. Pierre Coran avait bien reçu une lettre de Paris lui apprenant sa sélection parmi les 14 finalistes mais il n’avait jamais imaginé un instant être primé…
C’est à l’occasion de la première fête du livre “La Fureur de lire”, en 1989, que Pierre Coran reçoit ce prix décerné par le secrétariat de la Jeunesse et des sports et de La maison de Poésie pour le recueil inédit intitulé Jaffabules.
Pierre Coran accompagné de son épouse se retrouveront face au Tout-Paris, lui le poète amoureux de la campagne et de la sérénité, vedette d’un gala au cours duquel Jack Lang en personne l’a félicité ! Imaginez le comédien Daniel Mesguich récitant ses poèmes sur “France Culture”, imaginez la lecture d’un message du Président de la République, François Mitterrand, dans lequel il fait part de son sentiment que la littérature pour la jeunesse marquera la fin du XXe siècle, et encourage l’initiative de “La Fureur de lire”, manifestation qui fête son 11ème anniversaire et qui de surcroît a pris une dimension européenne…

On a tous un rêve.
Pierre Coran avoue que durant 10, 20 ans, il a gardé précieusement dans son cœur le rêve d’être publié dans la collection “le livre de poche”. Et voilà, à l’issue de ce prix, les éditions Hachette lui proposent un beau contrat : la publication en 5.000 exemplaires de Jaffabules.

Depuis, la France l’a adopté et l’invite à participer aux nombreux salons du livre de jeunesse. La publication de Mémoire blanche aux Éditions du Seuil s’inscrit dans le cadre et l’esprit de cette reconnaissance. Le texte de ce très beau plaidoyer pour le travail des Alcooliques Anonymes a été accepté en première lecture par Pierre Gutman, directeur de la collection Fictions au Seuil.

Le rêve continue avec sa trilogie des Pièces-à-trous devenue un film. Pierrot de Heusch, réalisateur bruxellois, a été séduit par ces trois romans où la guerre 40-45 est vue par des enfants. Daniel Prévost puis Galabru ont été sensibles, eux aussi, à ces histoires d’hier où le rire côtoie la peur, et tous deux ont accepté de tourner dans ce court-métrage réalisé au début de 1998.

Le talent de Pierre Coran récompensé par la Belgique ?
Il est vrai que la Belgique se fait toujours attendre pour reconnaître ses auteurs ! Pierre Coran figure, parmi les rares auteurs de jeunesse, dans la presse flamande. Des articles sont parus dans le Knack, Het Belang van Limburg

La presse francophone n’est pas restée indifférente et de nombreux articles lui ont été consacrés lors de ses passages en bibliothèque ou dans les écoles de notre pays. Le service du Livre Luxembourgeois de la province de Luxembourg lui a consacré un dossier spécial avec la complicité de son fils Carl Norac.

Le 7 avril dernier la Ville de Fontaine-L’Evêque (région de Charleroi) a inauguré la section jeunesse de la bibliothèque en lui donnant le nom de Pierre Coran.

Mais, ce qui a fait fort plaisir à notre auteur, c’est d’avoir été proposé comme candidat belge, par la section belge francophone de l’I.B.B.Y., au Prix Hans Christian Andersen 2000. Une nomination qui lui est allée droit au cœur, et même s’il n’en a pas été le lauréat, nous sommes heureux de l’avoir proposé !

Au lendemain des résultats, il nous a écrit ceci : “Bonjour à toutes et tous ! Je veux, à l’heure où les lauréats sont connus, vous redire ma gratitude pour la confiance que vous m’avez témoignée en me nominant aux Prix Hans Christian Andersen. Cette attention m’a ému et m’encourage. En sympathie vraie, P. Coran.”

L’aventure continue.

Aujourd’hui, Pierre Coran est un homme heureux. Plus de 100 ouvrages à son actif, reconnaissance des diverses maisons d’éditions qui le sollicitent : Labor, Magnard, Hachette, l’École des loisirs, Milan, Casterman… Et la dernière bonne nouvelle est celle d’être devenu grand-père avec la venue de la petite Else née en novembre 1999. Faut-il le rappeler : son fils, Carl Norac, le suit à la trace et figure depuis quelques années parmi nos grands écrivains belges….

Propos recueillis par Luc Battieuw, directeur du Centre de littérature de jeunesse de Bruxelles, président d’IBBY Belgique – Mars 2003