Pierre Créac’h : Le Silence de l’opéra (interview)

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Dès sa parution en 2007, l’album CD Le silence de l’opéra (éditions Sarbacane) nous avait vivement intéressés et fortement donné envie de rencontrer son auteur, Pierre Créac’h. Ce que nous nous sommes alors empressés de faire…




–  Le silence de l’opéra est votre premier album… Qui vous êtes, Pierre Créac’h ?
– Comme votre librairie, j’ai 30 ans…  [interview réalisée en 2008, ndlr] J’ai fait des études de musique et je joue du piano. J’avais l’intention d’en faire mon métier; rien d’autre ne me plaisait vraiment, sauf le dessin : j’avais un frère dans une école d’art,  mon grand-père et ma mère sont peintres, je dessine depuis toujours… Mais c’est au conservatoire de Montpellier  que je suis allé. J’y ai appris  la composition, l’analyse musicale, l’accompagnement, la musique de chambre… En fait un peu de tout !… J’étais boulimique, d’autant plus qu’ayant véritablement commencé la musique après mon bac,  j’avais quelque retard ! Donc cinq ans de conservatoire d’un très bon niveau, avec des profs de qualité… et l’expérience du direct, et de son corollaire le  trac qui me gênait même si j’en tirais beaucoup de plaisir !  Peu à peu je me suis rendu compte que ce qui m’intéressait le plus était l’écriture musicale, « le travail sur table ». Peut-être un goût qui trouvait ses racines dans ma pratique du dessin, discipline où je reconnaissais finalement avoir plus de « bagage » qu’en musique. C’est pourquoi, afin de ne rien regretter, je me suis ensuite inscrit l’ESAG-Penninghen, une école supérieure de graphisme à Paris.  Je m’y suis épanoui en dessin… mais la musique s’est mise à beaucoup me manquer. Au bout de trois ans je suis parti en échange scolaire Erasmus en Angleterre, où j’ai travaillé le dessin d’animation. C’est là que j’ai initié le projet du Silence de l’opéra qui répondait à mon envie constante de lier mes deux passions… 
-C’est en Angleterre qu’est né votre petit héros ?
-Oui, j’ai commencé à crayonner ce petit garçon dans mes carnets. A l’époque il était déjà doté d’un micro d’enregistrement qui lui servait à capter les bruits de monstres dans une maison hantée…  L’évolution vers les fantômes et l’opéra est venue du souvenir d’une expérience au conservatoire de Montpellier, à l’occasion d’une classe de composition avec des danseuses. Je m’étais promené de long moments dans l’Opéra de la Comédie vide, seul dans ce lieu gigantesque. Impression troublante et excitante, d’être dans ce silence chargé d’un tas de choses…  C’est en me souvenant de ça qu’en projet de de fin d’études j’ai choisi de créer un livre CD plutôt qu’une vidéo – ça correspondait davantage à ma personnalité. J’ai opté pour un travail en noir et blanc correspondant au monde du rêve. Le résultat a pris la forme  d’une « boite » contenant un album, dont j’étais l’auteur du texte et des dessins, et un CD audio avec un conteur, mon oncle (Gérard Bayle),  et un compositeur, Christophe de Coudenhove , mon prof de composition avec lequel j’avais déjà travaillé à partir de l’idée de « superpositions d’œuvres musicales » ( ). Frédéric Lavabre, des éditions Sarbacane, est venu pendant les journées « portes ouvertes » de l’ESAG,  où les travaux de fin d’études étaient présentés à un public de professionnels. Mon projet l’a intéressé. Il m’a donné rendez-vous pour une écoute/lecture. L’accueil du reste de Sarbacane l’équipe a été très bon, et on a décidé de retravailler le tout pour une publication. 
– Qu’avez-vous modifié par rapport à la première mouture ?
– Frédéric Lavabre et Emmanuelle Beulque m’ont beaucoup aidé à revoir le texte, les images intérieures et la couverture, notamment pour donner plus de continuité, plus de liant au conte. Pour la partie musique, s’est posé le problème des droits d’exploitation des extraits d’opéras, probleme qui n’existait pas tant que mon projet restait dans un cadre scolaire. Là, ça devenait très compliqué, voire quasi impossible. J’ai donc retravaillé entièrement la bande-son. Sarbacane a pris en charge la production musicale en s’adressant au producteur de musique Naxos, et j’ai pu utiliser des œuvres de leur catalogue. Cela a énormément simplifié le contrat, même si son coût restait très important. Et puis j’ai été obligé de m’en tenir  à des œuvres du domaine public. De ce fait, la partie musique contemporaine  ( le pianiste final) est de ma création et les moments de rock’n roll ont été gracieusement composés par un ami, Jean Bentkowski.


– Le conteur de cette édition n’est plus votre oncle…
– En réalité j’avais pensé à Jean Rochefort dès l’écriture ; il me semblait pouvoir apporter beaucoup de choses sur tous les plans. J’ai proposé cette idée à Sarbacane qui l’a contacté. Jean Rochefort a accepté d’une manière assez altruiste, en ne grevant pas le coût par une demande qui aurait pu correspondre à son statut et sa notoriété. Pour des raisons d’emploi du temps et de simplicité, nous avons enregistré chez lui ( ). Après relecture du texte et réécoute de la bande-son pour mettre au point les détails techniques, et effectuer les derniers réglages ensemble, Jean Rochefort a travaillé seul, en reprenant de lui-même quand il n’était pas satisfait. Il a un tel professionnalisme et un tel savoir-faire que l’enregistrement s’est déroulé très rapidement, et je n’ai eu qu’à redécouper au moment du mixage de la voix. Il a manifestement pris du plaisir à ce travail, même s’il m’a avoué à la fin son appréhension initiale. Son plaisir a été communicatif : cette expérience a été pour moi un pur moment de bonheur.
– Le mixage général a été aussi rapide ? 
– Non ! Il y a eu les repiquages de sonorités d’instruments ici et là chez des amis, les mixages des extraits d’opéras, de la voix et de ma composition musicale…  il y a eu pas moins de quatre versions ! J’ai été très content d’avoir un éditeur qui ait la patience et le courage d’attendre que j’accouche de la mouture finale et qui supporte mon perfectionnisme.

– Oui, vous avez eu la chance de rencontrer un interlocuteur qui fasse le vrai métier d’éditeur de création…  Et maintenant que vous vous trouvez face à la promotion de votre œuvre, comment cela se passe-t-il ?
– J’avais regardé un peu ce qui existait et pris conscience du nombre croissant de titres publiés dans ce domaine du livre-disque. J’avoue avoir été inquiet, surtout qu’on était parti pour un tirage de dix mille exemplaires…  Mais l’enthousiasme de Sarbacane m’a rassuré. La promotion elle-même a commencé par des réunions de présentation aux professionnels. Ensuite nous sommes allés présenter le livre dans un IUFM, puis à des scolaires. Ce premier contact avec des enfants m’a beaucoup ému. Près de deux cents enfants dans le théâtre de Neury Les Bains, avec projection d’images du livre, y compris de sa fabrication, et audition d’extraits musicaux. Il y a eu une réaction instinctive des enfants qui, par exemple, ont applaudi d’eux-mêmes lors du passage du rideau (applaudissements destinés à en faire sortir les fantômes). La suite -discussions, dessins et autres activités – a été un vrai bonheur. Ces enfants, qui en grande majorité n’avaient pas connaissance du monde de l’opéra, hors comédies musicales et opéra-rocks, ont été très sensibles au conte et au fait qu’il parle de musiques d’aujourd’hui et d’avant. Au final, je suis globalement très content du résultat de ce travail d’environ 3 ans, destiné autant à faire écouter des opéras qu’à jouer sur ce plaisir réel des mondes conjugués du conte et de la musique. Maintenant je peaufine la gamme d’activités que nous proposons autour du Silence de l’ Opéra :  dessin musique et histoire offrent 3 axes de rencontre. Et puis je prépare d’autres livres, dans ce domaine du conte musical illustré, et peut-être en couleurs cette fois. J’ai envie de travailler sur des projets longs mais de qualité…  et j’aimerais bien sûr  rester chez un ( ) éditeur comme Sarbacane, avec lequel le travail a été si passionnant.

Propos recueillis par Françoise Tribollet