Pomelo : l’interview de Benjamin Chaud et Ramona Badescu

  • Publication publiée :28 février 2016
  • Post category:Archives

À l’occasion du douzième album mettant en scène l’éléphant Pomelo, la librairie L’Eau Vive a posé quelques questions à son illustrateur, Benjamin Chaud et à son auteure, Ramona Badescu.

MADELINE ROTH: Comment est né Pomelo?

BENJAMIN CHAUD: D’une envie commune de Ramona et moi de travailler ensemble. Nous sommes amis depuis longtemps et nous voulions faire un livre. Ça n’a pas été évident tout de suite, mais un beau matin, à la terrasse d’un café, Ramona m’a raconté avoir rêvé d’un petit éléphant sous un pissenlit. Un petit éléphant avec une grande trompe… Après quelques de dessins et échanges d’idées, l’histoire prenait forme. Un autre matin, Ramona buvait un jus de pamplemousse. Il était écrit Pomelo sur l’étiquette. On venait de lui trouver un nom…

RAMONA BADESCU: Oui, je travaillais alors au théâtre, comme comédienne, mais aussi pour une compagnie pour qui je co-écrivais des spectacles qui ressemblaient à des poèmes-partitions.  Benjamin sortait des Arts décoratifs et avait déjà publié un ou deux livres; c’est lui qui m’a ouvert la porte de la littérature jeunesse. Il a eu une patience folle en dessinant près de moi plusieurs matins par semaine au café, pendant que je cherchais mes mots. En tressant des vieux souvenirs, des impressions de café, des émotions fortes qui nous accompagnaient et en en chargeant un personnage petit, perdu et un peu ridicule, nous nous lancions dans un bain de fantaisie que l’on n’arrive plus à quitter depuis 13 ans, même si nos vies ont bien changé depuis…

«Nous travaillons joyeusement, avec pas mal de confiance en nos propres intuitions.»

MADELINE ROTH: Comment travaillez-vous ensemble?

BENJAMIN CHAUD: Nous travaillons côte à côte, pas à pas; nous échangeons des idées d’aventures, de dessins, de textes; nous nous égarons, nous rions, nous réfléchissons sans rien dire et petit à petit l’histoire prend forme. Depuis quelques années nous ne sommes plus voisins, c’est moins simple mais nous arrivons quand même à nous voir, ou nous travaillons sur Skype, ce qui est pratique mais moins sympathique.

RAMONA BADESCU: Nous travaillons joyeusement, avec pas mal de confiance en nos propres intuitions, comme dans les intuitions de l’autre – même quand les unes viennent percuter les autres ! Benjamin est bien plus structuré que moi. Au début on mettait une année à faire un Pomelo. Aujourd’hui il faut encore ce temps entre les premières intuitions et le cut final, mais on a moins besoin de discuter chaque détail. Notre vocabulaire est là, il suffit chaque année de repartir à l’aventure, et voir comment ces éléments vont se rassembler avec l’air du temps, les personnes que nous sommes devenues, nos envies ou nos lassitudes.

MADELINE ROTH: Pourquoi êtes-vous passé des recueils brochés du début, avec trois petites histoires, au grand format cartonné, avec une seule histoire?

BENJAMIN CHAUD: Nous faisons Pomelo depuis treize ans maintenant et nous avions besoin de renouveler la forme pour ne pas nous sentir enfermés. Nous avons décidé de parler de ce que c’est que grandir et c’était l’occasion de faire un livre plus grand. C’est une façon de continuer à expérimenter, de nous surprendre nous-mêmes…

RAMONA BADESCU: Ces questions de format revenaient souvent dans les discussions avec nos lecteurs, avec notre éditeur. J’ai longtemps résisté à l’idée d’un « album classique », de tout changement de format, et puis un jour j’ai découvert Moomin… Tove Jansson a raconté ces merveilleuses histoires sous forme de BD, de romans, de films d’animation… Vraiment, je me suis trouvée stupide de résister à cette question; Pomelo resterait Pomelo en grand, petit, long, large ou même petit gros carré! Et puis ça donnait de nouvelles contraintes à intégrer, ce que je n’avais pas vu comme de nouvelles possibilité d’amusements narratifs. Une sorte de cadeau… du format!

«Vous savez, je brode les dessins et je ris toute seule de vos histoires un peu folles.»

MADELINE ROTH: Avez-vous une idée de l’âge des lecteurs de Pomelo? Est-ce qu’ils grandissent avec lui? N’y a-t-il pas dans chaque livre plusieurs niveaux de lecture?

BENJAMIN CHAUD: Il y a bien évidement plusieurs niveaux de lecture. Quand nous travaillons sur une histoire de Pomelo nous parlons de choses qui nous touchent, nous ont touchés, nous amusent, sans perdre de vue que le lecteur peut être un enfant, mais nous ne nous adressons pas à une tranche d’âge en particulier. Ce sont des livres dans lesquels tout le monde peut entrer avec son regard, ses expériences, ses goûts…

RAMONA BADESCU:  J’ai toujours refusé de faire des livres « pour une tranche d’âge », et j’ai toujours refusé qu’un âge quelconque y soit indiqué. Cette chose ne pose de problèmes qu’à quelques personnes en réalité. Pourquoi la littérature jeunesse serait la seule forme d’art limitée par l’âge de ses lecteurs? Auriez vous l’idée de ne pas faire écouter Purcell à un bébé? De ne pas montrer Matisse après 4 ans ou Rembrant avant 12? Au fond un livre, comme toute forme de création, est adressé ou non. C’est notre seule responsabilité. Après on ne peut pas deviner qui va le recevoir. Et de fait on n’arrête pas d’être surpris. Nous avons aussi bien des retours de crèches qui lisent ces histoires tout en faisant évoluer les personnages redessinés en plastique dans le théâtre de leur potager, des retours de maternelles en pagaille, d’autres de CP qui apprennent à lire avec Pomelo, de CE ou des CM qui l’utilisent pour des ateliers philo, de CLISS, parfois de jeunes adultes… ou de vieux adultes aussi! Dernièrement une dame un peu âgée me demandait une dédicace sur un salon. Quand je lui ai demandé pour qui c’était, elle me dit comme une évidence: «Bah pour moi, tiens! Vous savez, je brode les dessins et je ris toute seule de vos histoires un peu folles.»

«Qu’est-ce qu’un papa? Qu’est-ce qu’une maman?»

MADELINE ROTH: Est-ce que vous jouez avec le mystère autour des parents de Pomelo, ou leur histoire est-elle très claire pour vous?

BENJAMIN CHAUD: Au commencement nous ne savions pas qui étaient les parents de Pomelo et nous ne voulions pas le savoir, ni en parler. Puis Pomelo a évolué, il a grandi, il est parti à l’aventure et il nous a semblé important qu’il rencontre ses parents pour voir d’où il venait et pouvoir continuer son chemin.

RAMONA BADESCU: Enfant, j’imaginais souvent partir à l’aventure du grand monde. Seule, avec ma réserve de biscuits et mes amis imaginaires. De fait mes parents m’ont souvent rattrapée en chemin, et j’en ai ressenti une assez grande frustration… Alors en écrivant Pomelo est bien sous son pissenlit, qui était il y a 13 ans notre premier titre, j’ai fait jurer à Benjamin que, jamais, des parents n’auraient leur mot à dire sur la vie de Pomelo: il était petit, il était libre, il allait se débrouiller! Pas de parents, pas d’école, pas de maison! Mais beaucoup de jeunes lecteurs nous demandaient dans les rencontres: «Elle est où sa maman? Qui est son papa? Pourquoi il n’a pas de parents?» Je répondais souvent: «C’est un personnage, il n’a pas besoin de parents comme vous et moi». Et puis je suis devenue maman… Un jour cette réponse ne m’a plus satisfaite. Alors Dans Pomelo et la grande aventure on s’est attaqué à cette question fondamentale: «Qu’est-ce qu’un papa?» Et puis dans Pomelo et l’incroyable trésor à la question «Qu’est-ce qu’une maman?»… Nos réponses peuvent en surprendre plus d’un, mais nous nous sommes mis d’accord sur le fait que son papa lui a donné sa forme et sa maman sa couleur… Selon nos propres expériences de la question nous en avons conclu qu’un papa était quelqu’un capable de dire «Bonjour fiston! » tout en fabriquant un radeau pour nous mettre sur les flots de la vie, et une maman d’apparaître à l’improviste et de nous couvrir de baisers tout en préparant une fête pour l’amoureuse qui prendra sa place à la page suivante. Et que les deux ne sont pas une entité…

MADELINE ROTH: Reviendra-t-il dans le jardin de sa première aventure? Avez-vous déjà la prochaine en tête?

BENJAMIN CHAUD: Il pourrait bien sûr revenir dans son jardin. Nous ne savons pas encore si ce sera le cas… C’est une idée intéressante, mais comme nous avançons pas à pas, nous ne savons pas encore ce qui se passer. Et nous sommes curieux de le découvrir!

RAMONA BADESCU: Nous attaquons bientôt une nouvelle histoire… Et je dois dire que comme à chaque fois, nous partons à l’aventure, les poches vides, le nez au vent et «une envie qui fait pshiiiiit dans le ventre»!

Propos recueillis par Madeline Roth, librairie L’Eau Vive à Avignon

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