Prix Sorcières 2014 Albums : La Petite fille en rouge (+ les nominés)


Lauréat Albums



La Petite fille en rouge – Aaron Frisch et Roberto Innocenti, trad. Catherine Gibert – Éd. Gallimard – 13,90€ – Le petit chaperon rouge revisité… Conte moderne, terriblement réaliste, dans une banlieue hostile truffée de pièges et de symboles. Parcours initiatique, au plus près du conte d’origine. L’histoire se passe dans une forêt, «une forêt de béton et de briques», que Sophia doit traverser pour aller rendre visite à sa grand-mère.« Ne t’écarte jamais de ton chemin» lui rappelle sa mère. Mais Sophia est encore jeune et la route est longue et remplie de merveilles… Au départ on est tendu, aux aguets, parce qu’on connaît l’histoire, mais au fil du récit, on sent que la petite fille se détend, relâche peu à peu sa vigilance (et nous avec!), jusqu’à ce qu’elle s’égare et que l’angoisse resurgisse. Des chacals vont alors l’assaillir, un loup brave et fort les fera fuir, et Sophia suivra son sauveur en toute confiance. Mais les chacals et les loups sont les mêmes. Seuls leurs appétits diffèrent… On a beau connaître la fin de l’histoire par cœur, ici on se la prend en pleine figure! Cet album est d’abord de toute beauté. Le texte, court, sobre et fort à la fois, fait contrepoids aux illustrations (somptueuses!) saturées d’informations et de personnages hétéroclites, qui sont autant de tentations et d’appâts susceptibles d’écarter la petite fille de son chemin… C’est ensuite un album d’une grande richesse, un outil pour accompagner la liberté qu’on acquiert en grandissant, accompagnée des responsabilités qui vont avec. Et puis, bien sûr, cet album est avant tout là pour nous prévenir du loup, le pire de tous, celui que l’on croit venu nous sauver des chacals, celui déguisé en chasseur… Dans cette version, on ne saura pas ce qui se passe dans la maison de la grand-mère, la question est laissée à l’imagination du lecteur, et c’est précisément ce qui est intéressant, mais une chose est sûre: le loup a mangé à sa faim. Un petit chaperon rouge glaçant, brutal, tragique. Époustouflant! (lire également ici)

Photo : Simon Roguet

Nominés Albums

Nils, Barbie et le problème du pistolet
Kari Tinnen et Mari Kanstad Johnsen – Éd. Albin Michel – 14,50€
Aujourd’hui c’est l’anniversaire de Nils. Il a le droit de choisir ce qui lui plaît au magasin de jouets et ça tombe bien car Nils sait exactement ce qu’il veut: la boîte rose avec des cœurs roses dessus et, à l’intérieur, une poupée Barbie. Cela fait rire son père… enfin, d’un rire nerveux, gêné! Car, on l’aura compris, si Nils est un garçon, il n’est pas un garçon comme on l’attend généralement. Il préfère donc danse et Barbies. Allez, Nils, tu ne vas pas me mettre la honte avec un jouet de fille devant la caissière, devant Bo et son papa, devant tous les autres clients du magasin! Choisis plutôt un pistolet, avec une casquette de policier! Fort heureusement pour son père (et lui-même!), Nils est futé et, tout en jouant le jeu de son père, il réussira finalement à obtenir sa fameuse Barbie!… Un album engagé pour parler du genre et de ses représentations dans une société codifiée et intraitable, de ce que ça implique d’être une fille ou un garçon, et de ce qu’un père est prêt à sacrifier pour coller à la norme. On y trouve un aperçu emblématique des mécanismes qui cantonnent chacun dans un rôle socialement acceptable, de ce que la norme parasite comme désirs, et toute la difficulté de ne pas se perdre soi.


Le Voisin lit un livre
Koen Van Biesen – Éd. Alice Jeunesse – 12,90€
Chhhuuut! Silence! C’est comme ça que commence ce livre. Un livre qui raconte l’histoire du voisin qui n’arrive pas à lire. Un livre qui conseille donc de se taire mais qui pourtant fait beaucoup de bruit. Enfin, c’est la petite voisine du fameux voisin qui voudrait bien lire tranquille, qui fait beaucoup de bruit. Elle dribble, elle chante, elle jongle et le voisin s’énerve, se fâche, tambourine contre le mur, s’effondre et… réfléchit. Alors il met son manteau et va simplement faire un cadeau à la petite voisine. Chhhhut! Silence!… Il y a du Tati, un soupçon de Queneau et une petite touche de théâtre de boulevard dans cet album. C’est absurde et tendre juste ce qu’il faut, juste le temps de nous laisser deviner l’autre, d’apprendre à le regarder, à l’écouter. Juste le temps d’oser aussi pour comprendre que, finalement, on a plein de choses à partager. Un album savoureux à mettre en scène sans modération.


Mon arbre à secrets
Olivier Ka et Martine Perrin – Éd. Les Grandes Personnes – 14,50€
Lorsque l’on réunit la géniale illustratrice Martine Perrin et le talentueux Olivier Ka cela donne un bel arbre, auquel un enfant confie ses secrets. Des secrets de toutes formes, des farfelus, en forme de poire, des tristes, multicolores ou vraiment terribles. Mais les secrets sont faits de mots qui s’envolent quand le vent souffle fort et, dans ce livre, ils vont passer, virevolter, de feuilles en feuilles, de branches en branches, de pages en pages grâce à d’astucieux mécanismes, des jeux d’ombres, des calques, des découpes subtiles et plein de petits papiers à soulever délicatement… Un livre objet au texte sensible, d’une poésie hors du commun, qui nous rappelle combien il est important de s’exprimer. Une vraie merveille à explorer tout seul, en cachette, ou à partager à plusieurs entre grands et petits et à feuilleter encore et encore.

Le Bandit au colt d’or
Simon Roussin – Éd. Magnani – 19€
Deux jeunes frères, Jess et Henri doivent apprendre à vivre seuls après le décès brutal de leurs parents. et c’est ensemble qu’ils vont affronter la rudesse de la vie dans le Far West américain. Cependant un jour leurs chemins se séparent, chacun décidant de vivre sa propre vie… L’un devient trappeur, l’autre bandit. Mais le destin les réunira à nouveau dans de dramatiques circonstances. Un superbe hommage aux westerns d’antan qui en assume tous les codes: attaques de diligences, de banques, règlement de comptes, saloon et grands espaces… Le tout servi par de fabuleuses illustrations en technicolor, Simon Roussin est assurément le roi des feutres! C’est à chaque fois une explosion de couleurs franches, ses doubles pages/paysages invitent à la contemplation, et son histoire tragique de deux jeunes frères touche par son classicisme assumé. Rien n’est en trop, la justesse du texte et le travail sur l’illustration en font un album remarquable!

Illustration : Sara

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