PRIX SORCIÈRES 2019, CATÉGORIE CARRÉMENT SORCIÈRES FICTION

LE LAURÉAT

Duel au soleil – Manuel Marsol – L’Agrume – 20€
Le désert, un soleil de plomb, deux personnages se défient, un indien, un cow-boy. Entre les deux un cours d’eau, mais la tension est palpable. Qui va tirer le premier? Regard perçant de l’Indien, regard furieux du cow-boy puis… canard! Avec cet album, peu de texte mais des illustrations pleines pages aux couleurs chaudes, succession de contre-plongées, de gros plans qui posent le décor et font monter la tension dramatique, et de plans panoramiques montrant l’indien et le cow-boy, interrompus dans leur duel par ce fameux canard. On est plongé en plein western. Tout y est: la chaleur, le crâne de buffle, les chevaux, les colts, le défi, sauf que ce n’est que le début d’une longue suite d’événements perturbateurs et de contretemps qui vont troubler le combat et en faire une histoire complètement décalée. Comique de situation et de répétition, le premier western non violent pour les enfants, simple mais terriblement efficace et original, on entend presque la musique!

LES NOMINÉS

À travers – Tom Haugomat – Thierry Magnier – 20€
Cet ouvrage est un projet qui a pris du temps, plus de trois ans. Un roman graphique de cent quatre-vingt-quatre pages, très peu de mots, seulement les légendes des images. Un livre aux illustrations en trois couleurs, en tons directs, qui en font un objet à part, même si le travail de Tom Haugomat, reconnaissable entre tous, est déjà d’une singularité inouïe. Le livre commence en décembre 1955, en Alaska. Un petit garçon regarde par la fenêtre de sa chambre. Tout le livre est fondé sur le jeu de regards entre la page de gauche et celle de droite, tout est vu à travers le prisme d’une fenêtre, d’une loupe, de jumelles, d’un poste de télévision. L’enfant grandit. On assiste aux premiers pas sur la lune, puis à la mort de sa mère. Et puis à la fascination pour l’espace, le métier qui en découle, la rencontre avec une femme, l’enfant qui va naître… L’homme vieillit. On revient aux images de départ: la maison d’enfance, la loupe cassée. Le temps est une boucle. Toute la vie d’un homme, en somme, la petite histoire dans la grande, dans un livre splendide.

La forêt – Riccardo Bozzi, Violeta Lópiz et Valerio Vidali – Gallimard – 25€ «Au début ce n’est qu’un petit bois de jeunes pins» et les explorateurs, jeunes aussi, apparaissent sous nos yeux et sous nos doigts. Ils jouent, observent et grandissent dans cette forêt qui se transforme, s’épaissit. Ils s’enfoncent, se perdent même parfois et le lecteur continue son exploration avec son propre regard et son toucher. Tiens, c’est surprenant des rides apparaissent sur les joues de personnages et leurs mains sont griffées. La forêt les marque mais eux aussi laissent des traces sur les arbres et sur les pierres. Tantôt étouffante, tantôt lumineuse cette forêt permet des rencontres avec d’autres voyageurs… La forêt est un album magnifique à la fois livre-objet, au papier épais qui invite à la caresse, aux découpes judicieuses, mais également procédé allégorique qui nous raconte les chemins et l’épaisseur de la vie. Un texte élégamment poétique, des illustrations délicates et une mise en scène qui ne manquent pas de nous surprendre, de nous donner envie, à la dernière page, de reprendre l’exploration.

Le tracas de Blaise – Raphaële Frier et Julien Martinière – L’atelier du poisson soluble – 16€
Blaise est un citadin sérieux, portant cravate. Vêtu de teintes vertes, il s’est entouré de plantes, de cactus, de portraits d’animaux. Tous les autres personnages portent des lunettes (au fait, pourquoi?) mais pas lui. Et voilà qu’il ne supporte plus les encombrements automobiles, ni l’encombrement des lignes téléphoniques, ni la cohue du métro, ni la mécanique des serrures, ni même celle de son parapluie ou de son grille-pain. Tandis que le monde extérieur semble vouloir le contrarier, Blaise constate qu’il se métamorphose progressivement en bête velue et c’est en gagnant la forêt qu’il constate s’y trouver parfaitement à l’aise. Mais qu’arrive-t-il à Blaise? Le texte de Raphaële Frier cède volontiers la parole aux dessins étranges et fascinants de Julien Martinière, au point que, dans les dernières pages, le narrateur a disparu. Le trait, fin et méticuleux, s’associe aux couleurs assourdies d’une palette volontairement restreinte et à de vastes zones de blanc. Ce récit fantastique mêlé d’humour, au dénouement optimiste, séduira les petits comme les grands.

Une âme égarée – Olga Tokarczuk et Joanna Concejo – Format – 19,90€Une âme égarée commence dans un pays de neige où les promeneurs laissent des traces. Il est écrit: «Si quelqu’un pouvait nous regarder d’en haut , il verrait que le monde est rempli de gens pressés, qui courent dans tous les sens, fatigués, en sueur mais il verrait aussi leurs âmes égarées, à la traîne…» D’autres planches suivent et nous laissent observer ces promeneurs de plus près. Puis seulement l’histoire commence. Ce procédé atypique prépare le lecteur à prendre son temps et c’est là tout le sujet de cet album OVNI, qui nous renvoie à cette société frénétique qui nous presse et nous compresse. Le personnage principal de l’histoire, Jan, est un homme qui travaille beaucoup, vit à cent à l’heure, et finit par en oublier son nom. Sur les conseils du médecin, il va alors prendre le temps de vivre pour renouer avec son âme perdue et notre lecture se met au diapason de son rythme. Ce livre laisse une impression de plénitude, le temps est suspendu, la cadence ralentie, on se laisse littéralement happer et on referme le livre grandi, émerveillé et heureux …