Propos d’Alain : les ciseaux empoisonnés de Marie-Claude Monchaux.

  • Publication publiée :25 juin 2017
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Dans une chronique consacrée à la médiatisation de la littérature jeunesse, parue en 1999 dans Citrouille, Alain Fievez, alors libraire Sorcière à Tours, en rappelle quelques heures sombres…

Le 24 mai 1985, Louis Pauwels présente dans Le Figaro l’ouvrage de M .C. Monchaux, Écrits pour nuire – littérature enfantine et subversion, publié par l’Union nationale interuniversitaire (UNI). «La gangrène de la subversion n’a pas seulement atteint l’économie, la presse, la radio, la télévision voire la théologie, elle s’est attaquée à l’enfant. Beaucoup de parents achètent des livres sans se rendre compte qu’ils véhiculent les pires idées sur le plan social ou moral, et qu’ils détruisent lentement et sciemment les valeurs du monde libre. Un plan visant à s’emparer de l’enfance a été mis en place il y a bientôt soixante ans (Maxime Gorki, Nadedja Kroupskaia, femme de Lénine, Romain Rolland)… Destruction de la famille, de l’idée de patrie, apologie de la drogue, de toutes les déviances sexuelles, obsession gauchiste de la morbidité et de la mort .»

Dans Écrits pour nuire, l’auteure analyse plusieurs dizaines d’ouvrages en citant quelques passages ayant trait à ces questions litigieuses. M.C. Monchaux publiera ensuite chez Le sang de la terre une brochure Liras-tu ? (numéro 1 mars- avril 1987), comportant les rubriques À lire et À éviter

Le 17 octobre 1986, le maire de Montfermeil, Pierre Bernard, convie ses collègues de Seine Saint Denis à une réunion-débat initiée par le groupe “Bibliothèque – lecture – épanouissement”, qui lutte contre la perversion morale (la présidente en est sa femme). «Ayant repris une ville étant aux mains des communistes pendant cinquante ans, j’avais de bonnes raisons d’en rechercher partout les effets pervers… Littérature enfantine : les authentiques horreurs dont est “nourrie” notre jeunesse. … C’est pourquoi je crois nécessaire d’insister pour que vous preniez le temps de venir vous informer d’une des plus dangereuses (parce qu’insidieuse) action marxiste, destinée à influencer l’esprit de nos enfants dès leur plus jeune âge ». Des livres seront retirés de la bibliothèque.

La ville de Paris, de son côté, réagira favorablement à ces idées. Madame Solange Marchal, conseillère, élue du 16ème arrondissement, vice-présidente du Conseil Général, organisera des conférences avec M.C. Monchaux. À partir de juillet 1986, le Directeur des Affaires Culturelles mettra en place une commission de 28 personnes (14 bibliothécaires, 6 personnalités qualifiées, 8 élus et administratifs ; la présidence revient à l’adjoint à la culture, Madame de Panafieu). Il s’agit d’établir des listes d’ouvrages que les bibliothécaires pourront acheter : méfiance institutionnelle et politique à l’égard de l’autonomie et de la compétence des professionnels… Des débats auront lieu lors du salon du livre en mars 1987. La presse relaie ces interrogations, soit favorablement à M.C. Monchaux (Le Figaro, Le Figaro- Madame, Minute, Santé- Magazine), soit critique à son égard (L’Evénement du Jeudi, Libération, Télérama, Le Monde) : des espaces de discussions s’ouvrent en dehors des revues professionnelles spécialisées. La tournée de conférences de M.C. Monchaux à travers la France démultipliera les articles dans la presse régionale, et fera réagir libraires et bibliothécaires. C’est à cette époque qu’est créé le mouvement “Renvoyer la censure”. 1985-86-87 : trois années ou la littérature jeunesse suscitera des articles, des émissions, des débats, des réflexions sur son contenu… En 1995, la volonté de contrôle politico- culturel renaîtra énergiquement dans les municipalités d’extrême droite, avec un rejet systématique des écrits provenant de l’extérieur de l’Europe.

Alain Fievez