Propos d’Alain : Rien n’est aussi nocif pour un enfant que cette confusion des règnes, disait… Françoise Dolto.

  • Publication publiée :25 juin 2017
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Photo du site Le Magasin des enfants

En 2007 Alain Fievez, libraire Sorcière à Tours et chroniqueur de Citrouille, rappelle le paysage éditorial et de diffusion du livre jeunesse des années 70, qui ont également vu la création des premières librairies dont certaines allaient devenir Sorcières quelques années plus tard.

L’éditeur est celui qui prend le risque économique de publier tel texte avec telles illustrations, de transformer le manuscrit en un livre dont il détermine le format, la présentation, le tirage, et le prix (depuis 1982). Il doit par ailleurs assurer la diffusion de sa production (faire connaître le contenu de sa création par un réseau de représentants qui visiteront les librairies, voire par la publicité) et la distribution (stockage, expédition, facturation, gestion des retours éventuels). Diffusion et distribution peuvent être pris directement en charge par l’éditeur, ou sous-traitées. La durée de vie d’une maison d’édition ne dépend donc pas seulement de la nature de sa production mais aussi de sa capacité à être bien diffusée et distribuée.

Début 1970, la diffusion massive et populaire est plutôt le domaine des éditions Touret, Hachette (Bibliothèques rose et verte), Nathan (albums, contes et légendes), Gautier-Languereau (Bécassine), Deux Coqs d’Or (Petits Livres d’Or et d’Argent). De son côté, le Père Castor, au sein des éditions Flammarion, apporte (depuis 1931) une réflexion pédagogique (influence du Tchèque Bakulé) et de nouveaux artistes dans des livres maniables et financièrement abordables. Rageot (créé en 1941, associé à Hatier en 1956) publie La Bibliothèque de l’Amitié; La Farandole (créé en 1956) s’attache à couvrir la vie quotidienne, le monde du travail, la vie de la société, le combats des hommes et leurs engagements. Les années précédente (1965 et 1966) ont vu trois évènements majeurs, et qui vont compter pour la suite : la création de l’école des loisirs (au sein des Éditions de l’École), l’ouverture de la bibliothèque de Clamart, lieu “expérimental” jeunesse de La Joie par les Livres, et enfin la parution du numéro 1 du magazine Pomme d’Api (Bayard). Parallèlement, la rencontre d’Harlin Quist et de François Ruy-Vidal en 1966 (Patrick Couratin sera leur directeur artistique) permettra à des illustrateurs-affichistes de revisiter les auteurs classiques ou d’accompagner les nouveaux venus (Marguerite Duras, Eugène Ionesco) ainsi que d’aborder de manière corrosive les thèmes de l’école, de l’amour, de la mort…

Il ne faut pas pour autant oublier les précurseurs qui n’ont pas rencontré leur (grand) public : Robert Delpire [lire ici, majdlr], depuis le milieu des années 50, qui réunit des illustrateurs (Le Foll, Besson, Lemoine), des écrivains (Claude Roy, Bernard Noel) pour créer des œuvres artistiques originales (par exemple Multimasques de Noelle Lavaivre, en 1967; en 1965 il publie Max et les Maximonstres, repris huit ans plus tard par l’école des loisirs ). De tout ce bouillonnement créatif, Françoise Dolto s’inquiétera dans l’Express (1972) : «Graphisme, dessins terrifiants, fruits de désirs informulés, plaisirs inachevés, obsessions sexuelles refoulées…. Les arbres minéralisés, les animaux végétalisés, les hommes qui sont l’un ou l’autre, rien n’est aussi nocif pour un enfant que cette confusion des règnes. L’enfant qui trouve l’écho du monde chaotique et terrifiant qui peuple ses cauchemars, cela bloque l’évolution de son psychisme et son imaginaire… D’abord ne pas nuire ».

Fin 1972, Gallimard Jeunesse signe sa naissance avec la publication de quatre titres dans la collection 1000 soleils : Le Lion, L’Enfant et la rivière, La guerre des boutons, Le vieil homme et la mer. L’éditeur enchaîne en 1974 avec la collection Kinkajou, en coédition avec Dessain et Tolra, puis en 1977 avec la création de trente Folio Junior, romans en poche. L’arrivée d’un éditeur de littérature générale reconnu pour la qualité de sa production et de son choix donne alors des lettres de noblesse à la littérature de jeunesse.

Les innovations se multiplient : avec Adéla Turin, les Éditions des Femmes revisitent et attaquent les stéréotypes féminins; à partir de 1976, Le Sourire qui Mord “Collectif pour un autre merveilleux”, donne l’image d’une enfance riche de désirs, de rêves, de doutes, de peur. En 1974, c’est l’ouverture de la Fnac Montparnasse, une grande superficie de vente de livres où la littérature de jeunesse est visible. Les premières librairies spécialisées jeunesse l’avaient précédée: en 1972, La Lecture Buissonnière à Paris, en 1973 Les Trois Mages à Marseille, bientôt rejointe en 1974 par La librairie des Enfants à Versailles, puis par Chantelivre, L’Eau Vive à Avignon…. Des éditeurs créatifs continuent à naître : Ipomée, D’Au, La Marelle, Grandir, Léon Faure… En 1983 La faillite des éditions Garnier qui avait assumé le rôle de distributeur puis de diffuseur auprès de certains d’entre eux entraînera la perte de quelques uns (D’Au, La Marelle), et de grosses difficultés financières pour d’autres (Ipomée).
Alain Fievez