Quand Rosa lit François Place

  • Publication publiée :1 janvier 2019
  • Post category:Biblios

Rosalie est une lectrice assidue, elle a neuf ans mais les gros livres ne lui font pas peur. Je l’ai associée à cette présentation de la série Lou Pilouface et à cette interview de François Place, son auteur, car elle en aime beaucoup l’héroïne. Elle avoue qu’elle est un peu grande maintenant pour cette collection, mais elle s’est attachée à ce personnage, son humour et ses aventures, et attend donc chaque tome avec impatience. J’ajouterais que Rosalie, comme nombre de lecteurs, se donne le droit d’aller et venir dans les livres en s’autorisant une amplitude de formats, de niveaux d’âge et de longueurs de texte. Le plaisir reste le seul moteur de ses choix. Par Patricia Matsakis.


ROSALIE CAILLAUD: Pourquoi avez vous choisi des animaux pour vos personnages?
PATRICIA MATSAKIS: Oui! Tiens! Pourquoi ce choix de l’anthropomorphisme?
FRANÇOIS PLACE: C’est très amusant à dessiner, les animaux-personnages, c’est très joyeux. Et ça me rappelle, aussi, certaines lectures d’enfance, des films d’animation. J’ai tout de suite eu l’idée d’embarquer cette petite famille dans un bateau et de raconter leurs aventures. Boniface le capitaine bougon qui se met toujours en colère, Lou impertinente et déterminée, Anastasie malicieuse et muette, Spidi qui marche au ralenti, Ticho qui ne pense qu’à manger, Aristide sentencieux, et Titus toujours discret. Et les méchants, indispensables, Gédéon le brutal, Boris Baramine, Marius Tapobec…


ROSALIE: Pourquoi avoir choisi un squelette pour le personnage d’Anastasie?
PATRICIA: Anastasie ne voulait pas sortir de l’histoire? Il semble qu’elle ait décidé de poursuivre les aventures avec Lou. Elle s’est imposée in-extremis à la fin du premier volume?
Anastasie arrive à la fin de la première aventure. Elle nage vers le Coriace, bien décidée à se joindre à l’équipage. Je n’avais pas prévu qu’elle s’inviterait sans me demander mon avis, quel culot! Lou et Anastasie se rencontrent comme deux amies à l’école ou au collège: elles deviennent vite complices et inséparables. Je n’imagine pas Lou sans Anastasie, surtout qu’elle vit dans un univers de garçons, et que sa maman est souvent absente.


ROSALIE:  «Nom d’une pipe de baleine, d’une torpille au piment, sacré bon sang de calamar frit!» L’oncle de Lou en plus d’être grincheux ne se gêne pas pour dire des gros mots. D’où vient ce personnage? Il existe dans votre vraie vie?
PATRICIA: Oui c’est vrai mais il est aussi maladroit versant tendresse, il a des failles et cache mal son jeu de dur à cuire!
Difficile de ne pas penser au capitaine Haddock, dans les aventures de Tintin. Quand j’étais enfant, dire des gros mots, être malpoli, c’était vraiment très mal vu, mais le capitaine, lui, avait trouvé la parade: il insultait ses adversaires avec des gros mots très polis, comme «moule à gaufre». Ces éructations accompagnées de moulinets de ses grands bras m’enchantaient. N’importe quel objet suivi d’un point d’exclamation se transformait en juron. Or, c’est un grand plaisir d’inventer des gros mots qui n’en sont pas. Il y a aussi des divinités auxquelles on peut s’adresser, comme à des saints ou des dieux improbables. Le vocabulaire marin offre un répertoire varié, avec des quantités de possibilités et de combinaisons. Mon préféré est «Par la grande serpillière des abysses».


ROSALIE: Passez vous plus de temps à écrire ou à dessiner?
PATRICIA: C’est pratique quand on sait à la fois écrire et dessiner! Ses propres dessins sont source d’inspiration pour l’écriture et l’inverse. Lorsque vous dessinez Lou sur le bateau, j’imagine qu’elle vous embarque dans ses aventures avant même que vous ayez terminé de lui dessiner les boucles de ses chaussures. Elle est volontaire cette petite!
Dans la série, je crois que c’est à peu près équilibré, mais je passe un peu plus de temps au dessin, peut-être 60 %, parce qu’il anticipe une partie de l’écriture sous forme de croquis. En fait, il faut découper chaque histoire comme pour de la bande dessinée, prévoir des chapitres qui la rythment comme dans un roman, doser les dialogues et l’action, bref, c’est passionnant à construire. Le premier chapitre est toujours le plus difficile à écrire. Je dois présenter les personnages, ce qui mobilise beaucoup de place, parce qu’ils sont sept sur le bateau, et je dois aussi lancer l’intrigue avec suffisamment d’élan pour qu’on en suive avec plaisir les rebondissements. Mon premier chapitre préféré est celui de Tempête sur l’Atlantique. Spidi est malade, un docteur monté à bord essaie d’établir un diagnostic, inquiet de ses oreilles qui tombent. Il ne cesse de le plaindre en ponctuant ses observations de «pauvre garçon», comme «le pauvre homme» dans Tartuffe de Molière. Finalement, le remède est lui-même le départ de l’aventure, puisque Spidi a le mal du pays (contagieux, dit le docteur) et que, pour le guérir, il faut revenir à Marseille en traversant l’Atlantique.


ROSALIE: Qu’aimiez-vous lire quand vous étiez petit?
PATRICIA : Bon là, fastoche la réponse quand on a lu la plupart de vos livres! Vos univers imaginaires sont récurrents, donc pas difficile de deviner vos références… Mais Rosalie n’a pas encore découvert Les derniers géants, La douane volante ou encore Angel, l’indien blanc, pour ne citer qu’eux! Les sources de notre inspiration sont aussi nourries par nos lectures, forcément!
Mon tout premier livre «préféré» était Apoutsiak le petit flocon de neige, l’histoire de la vie d’un  jeune Inuit, depuis sa naissance jusqu’à sa mort, après être devenu grand-père. Je crois qu’il y avait tout ce que j’aimais dans ce livre: la description d’un «ailleurs» (la vie d’un peuple inuit dans le Grand Nord, au Groenland), un éloge de la liberté (Apoutsiak dans les immensités blanches, sur son kayak ou son traîneau à chiens), un côté reportage (la vie de la tribu, la vie de la famille, les techniques de pêche et de chasse, les grands cycles du temps et de la vie), beaucoup de tendresse dans l’histoire et dans le dessin, bref, c’était une merveille à lire et à relire. J’aimais lire à peu près tout ce qui me tombait sous la main: illustrés, documentaires, contes, romans, bandes dessinées. Lire et dessiner étaient mes deux passions.


ROSALIE: Cette série est-elle la première que vous écrivez?  
PATRICIA: Ces dernières années, c’était les plus grands qui avaient l’occasion de vous lire. Une série pour les plus jeunes c’est inattendu! Nous y découvrons un autre aspect de votre personnalité, à savoir tout l’humour dont vous y faites preuve mais sans rien y perdre de la poésie et surtout de l’esprit d’aventure qui animent tous vos textes et vos illustrations.
Oui, c’est ma première série. J’avais très envie d’écrire une série pour les plus petits. Et je voulais qu’elle soit légère, vive, amusante. Lorsque j’ai trouvé le thème de cette petite famille embarquée sur ce remorqueur ( j’aime beaucoup la forme de ces bateaux, trapus et bourrus comme le capitaine Pilouface), j’ai su que je les accompagnerai aussi loin que possible. C’est un bonheur de les retrouver après quelque mois d’absence, et de les faire repartir vers d’autres aventures.


Propos recueillis par Rosalie Caillaud et Patricia Matsakis, Librairie Sorcière Le Bateau Livre à Montauban