Extrait 1: « Avant, j’étais un gorille sauvage et j’en ai toujours l’air.
C’est perturbant, je sais. Moi aussi, je trouve difficile de croire qu’à travers le temps et l’espace, je puisse avoir des branches communes avec une race de clowns grossiers. Les bouffons… Rien ne peut les excuser.»
Des singes et des perroquets l’entourent, mais sa véritable amie c’est Stella la vieille éléphante, qui sait si bien raconter les histoires «d’avant».
Et puis il y a aussi Bob, ce chien un peu minable qui n’a pas de maison, pas de maître mais qui passe toutes ses nuits sur le grand ventre chaud et doux d’Ivan.
Tout autour de lui il y a les humains, Mack le directeur du centre commercial et surtout la petit Julia, la fille du monsieur un peu fatigué qui est en charge du ménage.
Elle ne le regarde pas comme les autres enfants et sait reconnaître ses talents d’artistes. Car Ivan dessine sur de grandes feuilles, comme une vieille réminiscence des peintures à la boue qu’il faisait autrefois.
Devant sa cage les gens défilent et Ivan les regarde passer.
Mais ce petit cirque et ses animaux vieillissants peine maintenant à attirer les foules. Il faut du sang neuf et de nouvelles attractions pour relancer l’affaire. C’est ainsi que Rudy, une petite éléphante qui vient tout juste d’être capturée fait son entrée dans la ménagerie.
Dès lors plus rien ne sera comme avant; les yeux tristes de Rudy, son innocence et sa fragilité vont avoir raison une fois pour toutes de la résignation mélancolique d’Ivan.
C’est le redoutable Dos Argenté qui se réveille, celui qui doit protéger et veiller sur les siens, leur assurer une vie meilleure. C’est Ivan, le seul et unique, qui doit maintenant honorer sa promesse.
Quelle jolie surprise que ce roman et quelle sensibilité dans ce récit! J’avoue que le nom d’Applegate m’avait pourtant au départ un peu refroidie: c’est l’auteur de la collection des Animorphes chez Gallimard, qui avait fait un tabac il y a une quinzaine d’années et qui est le type même de bouquins qui me tombe des mains. Comme quoi …
La narration à la première personne portée par de courts chapitres nous plonge dans les pensées mélancoliques de ce gorille, plus humain que tous les spécimens qui défilent devant sa cage. Les autres personnages qui gravitent autour de lui, humains ou animaux sont eux aussi esquissés avec beaucoup de justesse et de profondeur.
Sans pathos mais avec une émotion palpable, le roman nous interroge mine de rien sur les notions d’humanité et de liberté. Ce texte fluide et direct, délivré sans fioritures se lit dans un souffle et se conclut par une belle fin lumineuse. Ouf… A lire dès 9 ans !
Le seul et unique Ivan – Texte de Katherine Applegate. Illustrations de Patricia Castelao – Editions du Seuil – Date de parution : 15 janvier 2014
Extrait 3: «Il n’y a pas grand-chose à faire dans mon domaine. Jeter des boulettes sur les visiteurs a fini par me lasser. Je les fabrique avec de la crotte que je laisse sécher. J’en garde toujours quelques-unes sous la main.
Pour une raison étrange, les gens qui viennent me voir n’en apportent jamais avec eux.
J’ai un pneu qui sert de balançoire, un bassin rempli d’eau sale, une balle de base-ball, et même une vieille télé. J’ai également un gorille en peluche. C’est Julia, la fille de l’homme fatigué qui nettoie tous les soirs le centre commercial, qui me l’a donné. Il a les yeux vides et un corps tout mou, mais je dors avec chaque nuit. Je l’ai appelé Pas Ma Sœur. (Car j’avais une sœur jumelle.)
Julia a dix ans. Ses cheveux brillent comme du verre noir et son sourire est un quartier de lune. Nous avons beaucoup en commun. Nous sommes tous deux des grands singes et des artistes.
Julia m’a offert mon premier crayon, glissé dans une feuille de papier pliée qu’elle a introduite par le trou dans le coin de la paroi. Je savais déjà l’utiliser car j’avais eu l’occasion d’observer Julia dessiner. Quand j’ai traîné le crayon sur la feuille, la mine y a laissé un long serpent bleu.»