Raconter l’Algérie, mémoires de guerre, mémoires d’immigration (+ itw d’Isabelle Bournier par la librairie Cheval Crayon de Caen)


L’Institut de Recherche et d’Etudes Méditerranée et Moyen Orient de Paris organise le 12 février, de 18 à 20h, une rencontre croisée autour des ouvrages La littérature de jeunesse migrante, récits d’immigration de l’Algérie à la France (Anne Schneider) et La Main Rouge (Mako et Didier Daeninckx). A cette occasion, nous vous proposons de télécharger les PDF de deux dossiers de Citrouille : France et Algérie, mémoires croisées (paru en 2003) et 50 ans après l’indépendance, quand le livre jeunesse explore la guerre d’Algérie (paru en 2012).

La librairie Comptines de Bordeaux avait réalisé deux bibliographies très fournies pour ces dossiers : cliquez ici pour les consulter sur son blog

En 2011 le Prix Sorcières du documentaire avait été attribué à Isabelle Bournier, pour son ouvrage Des hommes dans la guerre d’Algérie. La librairie Cheval Crayon de Caen l’avait rencontrée.

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«Il y a beaucoup de manières d’appréhender l’Histoire. Il ne s’agissait pas d’énumérer des événements, mais de mettre en lumière différents parcours d’hommes et de femmes.» C’est ainsi qu’Isabelle Bournier a conçu cet indispensable documentaire, Prix Sorcières 2011 

Les traumatismes occasionnés par les guerres durant le XXe siècle furent tels que l’idée de créer un lieu de mémoire pour sensibiliser le monde à la Paix prit corps. En 1988, on inaugura à Caen le Mémorial pour la Paix qui se donnait des objectifs pédagogiques de compréhension du XXe siècle et de réflexion sur la fragilité de la paix dans le monde. C’est au cœur de ce Mémorial que travaille Isabelle Bournier en tant que directrice des affaires culturelles et pédagogiques. Ainsi, elle organise des expositions temporaires et permanentes, elle crée une programmation culturelle variée: conférences, projections de films, concerts, etc. L’humain étant au cœur de ses préoccupations, elle organise le concours des lycéens sur les droits de l’Homme, mais aussi le concours international de plaidoiries qui rassemble des avocats du monde entier. Parallèlement à ses engagements professionnels, Isabelle Bournier a le souci de promouvoir la Paix en écrivant pour les jeunes des documentaires ayant trait à des événements historiques qui ont profondément marqué notre époque. Sont déjà parus chez Casterman: Atlas de la Seconde Guerre mondialeLa Grande encyclopédie de la Paix, et  14-18 Des hommes dans la Grande Guerre. Ouverte au partage, Isabelle Bournier a volontiers accepté de nous rencontrer, et c’est tout simplement que nous nous sommes retrouvées autour d’une table,  dans une ambiance chaleureuse et conviviale pour parler de son dernier ouvrage: Des hommes dans la guerre d’Algérie, édité chez Casterman en mars 2010.
MARYLINE AGRA, ÉLISE PITETTE: Pourquoi avoir choisi d’écrire un documentaire sur la guerre d’Algérie à destination des enfants et des adolescents ?
ISABELLE BOURNIER: C’est un conflit dont on ne parle pas assez. Pendant longtemps qualifié «d’événements», il est devenu presque tabou, et…  je ne suis pas tellement pour les tabous! Les enfants connaissent mal la guerre d’Algérie, mais elle suscite chez eux des interrogations auxquelles les familles, voire l’école, ont souvent du mal à répondre. Ce documentaire se veut être un moyen d’appréhender ce conflit de manière apaisée, en mettant l’histoire à plat et en tentant de répondre à ces questions restées en suspend.
Mais peut-on se passer des adultes dans cette approche?
   Ce documentaire n’est pas fermé au lectorat adulte, bien au contraire! En créant une ouverture pour les enfants, en répondant à certaines de leurs questions, on en suscite d’autres qui créeront peut-être un dialogue avec leur entourage. Cela permet une sorte de passage de témoin, pour lutter contre le silence qui entoure cette guerre. Les enfants doivent savoir pour se construire, non seulement parce qu’ils ont peut-être un grand-père qui a fait la guerre d’Algérie, mais aussi pour devenir des citoyens responsables. Il faut en parler sans haine, et parler de tout. C’est pourquoi il était très important d’aborder aussi le thème de la torture pendant cette guerre. Il ne s’agit pas d’avoir un regard manichéen sur les événements, ni de condamner les uns et blanchir les autres, il s’agit de montrer que la violence était partout. Cela amène d’ailleurs à la réflexion finale du documentaire, peut-être plus destinée aux adultes qu’aux enfants, qui est: comment voit-on les choses aujourd’hui?
Pourquoi ce documentaire est-il sorti cette année? A-t-il profité de la vague lancée par la rentrée littéraire 2009 avec notamment Des hommes de Laurent Mauvignier, qui a été en lice pour le Goncourt?
   La date de sortie a été décidée par les éditions Casterman bien avant la sortie du livre de Mauvignier. Mais ce qui est certain, c’est que l’on va connaître une vraie montée en puissance de ce thème puisque dans deux ans, nous commémorerons le cinquantième anniversaire des accords d’Évian.
Vous avez fait le choix de ne pas faire un documentaire chronologique, pour quelle raison?
   Mise à part une petite partie au début du livre qui permet de fixer le cadre historique, il n’est effectivement pas chronologique. Ce travail porte sur l’humain, sur le témoignage. Vous avez peut-être remarqué que le titre de chaque double-page commence par un verbe… pour être au plus près de la réalité. C’est un livre fait pour être pédagogique, dans le bon sens du terme. Il a pour but d’intéresser les enfants, en leur proposant différentes ouvertures, mais aussi en leur montrant qu’au cœur des guerres, il y a toujours des hommes. Il n’y a pas les bons et les méchants, mais des hommes avec chacun un parcours différent, une famille, une vie. Les dates ne doivent être que des repères temporels et non ce que l’on retient d’un conflit.
Quelle a été votre démarche d’écriture?
   Ma démarche d’écriture est variable. Le sujet est, la plupart du temps, proposé par l’éditeur. Les éditions Casterman travaillent dans le dialogue permanent, ce qui est très agréable pour l’auteur, et très rassurant. Les délais sont souvent courts, mais, heureusement, la recherche iconographique se fait ensemble, et je peux également donner un avis pour la maquette. Au passage,  je trouve que la maquettiste a su apporter une dimension supplémentaire au livre, bien au-delà d’un simple travail esthétique. Quant à ma démarche personnelle, c’est une immersion totale dans le sujet à travers des lectures (documentaires, romans, poésie…), des films. La liste figure d’ailleurs à la fin du documentaire. De ce fait, ce livre pousse à l’interdisciplinarité, déjà très présente dans le milieu scolaire actuellement. Je suis historienne de formation, mais spécialisée en histoire ancienne. Les sujets que j’aborde dans les différents documentaires que j’ai écrits ne sont donc pas des thèmes que je possède sur le bout des doigts. J’essaie de découvrir les sujets comme les enfants peuvent le faire, cela me permet d’avoir un regard neuf sur le thème, de l’appréhender sans prétention, et de simplifier mon discours pour aller à l’essentiel. Pour chaque double-page, il y a une idée forte que je m’efforce de transmettre. Mon travail est ensuite relu par un historien.
Pourquoi avoir choisi de travailler en collaboration avec Ferrandez?
   Cela a été à la fois un choix de l’éditeur et un choix personnel. Jacques Ferrandez a publié chez Casterman la magnifique saga Carnets d’Orient, qui retrace l’histoire de l’Algérie, de la colonisation à l’indépendance. Il a le ton juste pour en parler, on a l’impression qu’il raconte sa propre vie . Et puis, c’est quelqu’un de très sympathique! Un documentaire, pour les enfants, c’est difficile. Le dessin permet d’apporter un discours complémentaire et décalé, c’est une autre entrée possible dans le livre. Il  faut laisser les enfants libres de lire ce qu’ils veulent dans l’ouvrage. L’aspect pédagogique de ce documentaire réside aussi dans la diversité de ses entrées: par le texte, le dessin, ou les documents d’époque. Il ne faut pas oublier qu’avec un documentaire, les enfants ne sont pas à l’école: il faut que la lecture reste un plaisir!
Propos recueillis par Maryline Agra et Élise Pitette, libraires du Cheval Crayon, Caen.

La littérature de jeunesse migrante. Récits d’immigration de l’Algérie à la France, par Anne Schneider, Paris, l’Harmattan, 2013. 
La littérature de jeunesse migrante renouvelle la littérature contemporaine et s’inscrit dans une dimension spatiale qui prend en compte la mondialisation tout en créant de nouveaux imaginaires fondés sur l’aller et le retour, le déplacement, l’exil, le voyage, l’entre- deux. Cet essai présente un corpus de 120 récits recensés entre 1971 et 2007, écrits par des auteurs issus de l’immigration, des pieds-noirs, des coopérants, des appelés du contingent, des harkis, des franco- algériens, dont les plus représentatifs sont A. Begag, J.-P. Nozière, L. Sebbar.  Anne Schneider, est Agrégée de Lettres Modernes, Maître de conférences à l’Université de Caen (IUFM) en littérature de jeunesse.  Elle est également Vice-Présidente de l’Institut Charles Perrault.


La Main Rouge, par Mako (illustrateur) et Didier Daeninckx (scénariste), Ad Libris, 2013.  La Main Rouge est une organisation criminelle mise en place par les autorités françaises pour affaiblir les mouvements nationalistes et singulièrement le FLN. Cet album raconte le drame de Martin Dequinquert, le 11 septembre 2001, lorsqu’un avion percute une tour du World Trade Center dans lequel se trouve sa femme, Sarah. Rattrapé par son histoire familiale 50 ans après les faits, Martin quitte New York pour la France. Il mène l’enquête et veut savoir pourquoi ses parents et sa soeur sont morts, victimes d’un attentat.