Rencontre avec Nicolas Hénin et Pierre Torres, auteur et illustrateur de Papa Hérisson rentrera-t-il à la maison?

Nicolas Hénin et Pierre Torres sont tout deux journalistes. Ils ont été capturés, puis retenus en otage en Syrie par l’État islamique. L’album Papa Hérisson rentrera-t-il à la maison? (lire la présentation de cet ouvrage ici) est né de cette aventure humaine douloureuse. Rencontre.

Il n’est pas facile de se retrouver devant deux ex-otages qui ont risqué leur vie pour servir au plus juste une actualité brûlante et complexe. On ressent une certaine impudeur à poser des questions. Elles paraissent bien détachées de la cruauté de ce qui a été vécu. Mais avant même de parler de l’histoire de notre papa hérisson, il fallait bien aborder les circonstances de la création d’un tel album.

Nicolas Henin est arrivé le premier à notre rendez-vous. Dans le brouhaha du salon du livre de Paris, il s’est penché vers moi pour presque chuchoter son récit. J’ai oublié mon émotion et tiré le fil de cette histoire peu banale.

«Une des facultés du hérisson, c’est d’avoir un sens aiguë de l’orientation. Des études ont démontré qu’éloigné de son lieu de vie, il était capable d’y revenir en parcourant de bien longues distances pour y parvenir.» C’est cette caractéristique si particulière de cet animal qui inspira Nicolas Hénin et Pierre Torres: ils y projetèrent probablement l’espoir indicible de sortir sains et saufs d’un chaos dans lequel ils étaient prisonniers depuis dix mois.

Pourquoi cette projection dans la vie d’un animal? C’est une histoire dans une autre histoire, et les deux sont intrinsèquement liées. Pour tuer l’ennui des longues heures de captivité et s’occuper l’esprit, les otages se sont inventé un jeu, trouver des analogies entre les comportements humains et les caractéristiques des races animales. Ils étaient trois à y jouer. David Haines, travailleur humanitaire britannique, en était l’instigateur. Il a été sauvagement assassiné en septembre 2014.

Ce simple jeu est devenu peu à peu un véritable travail d’introspection et de réflexion sur la nature humaine, amenant à imaginer de véritables situations qui, mises bout à bout, ont préfiguré la naissance d’une possible histoire. Une histoire qu’ils ont fini par habiter complètement, s’accrochant à l’espoir ténu d’en faire un livre, une fois libérés – un livre pour enfants. C’était devenu le but de toutes leurs journées.

Il peut paraître étonnant que le choix des auteurs pour porter témoignage se soit traduit par l’expression d’un récit pour enfant. Mais «éditer ainsi ce bouquin était sans doute pour nous la manière la plus décente de raconter ce qui nous était arrivé.»

La trame du récit a été annotée sur un morceau de carton d’emballage alimentaire: les personnages, leurs péripéties, résumés en quelques mots. Les auteurs s’exerçaient au quotidien et se remémoraient l’épisode de la veille pour les garder en mémoire. Ils étaient fréquemment déplacés, et voulaient donc à tout prix éviter, dans la précipitation et l’angoisse, de perdre leurs précieuses ébauches.

Au fil du temps, l’épopée du hérisson s’est peu à peu construite de rencontres avec d’autres personnages – ces expériences nourrissant à chaque fois son désir de retrouver sa famille, et la force qui lui permettrait d’y parvenir. Un pied de nez en quelque sorte à l’obscénité de leur situation. Pour Nicolas Hénin, qui a deux enfants, cette histoire faisait forcement sens – une manière aussi de s’acquitter auprès de sa famille de cette longue absence.

Dans ce récit, les auteurs se sont attachés à briser les idées reçues, à lutter contre les préjugés. Papa hérisson aura ainsi la chance dans un moment critique de rencontrer un rat qui contre toute attente prendra soin de lui. Lorsqu’il hésitera à repartir, goûtant bien agréablement à la nourriture et au confort, il le poussera gentiment vers la suite de son périple. Le chat se servira de lui, allant jusqu’à le trahir et le mettre en danger pour satisfaire sa gourmandise. Il sauvera une buse d’une mort certaine et du haut du ciel, elle l’aidera à son tour.

Toutes ces rencontres vont de manière implicite amener le lecteur/auditeur à ne pas se fier aux apparences. Un rebondissement nous fera craindre le pire mais la fin sera heureuse pour que l’enfant lecteur puisse imaginer en toute sérénité que, si l’absence peut être parfois longue, un papa même loin n’oublie pas sa famille et que son plus cher désir est de retrouver les siens.

Patricia Matsakis, librairie Le Bateau Livre à Montauban