Mardi 2 décembre, le jury du Prix Vendredi, « premier prix national de littérature ado », a révélé le nom du lauréat de l’édition 2020. Le 4ème Prix Vendredi est décerné à Vincent Mondiot pour son roman Les derniers des branleurs, publié aux éditions Actes Sud Junior. Le jury a salué « un texte à la construction magistrale. D’une forme inventive, et d’une écriture précise et insolente, le roman ne cesse de surprendre. »
Opinion partagée, notamment par la librairie Croquelinottes : « En apparence, Vincent Mondiot dépeint une jeunesse désabusée, en rébellion passive contre la société, animée par une soif autodestructrice, seule façon qu’elle a de se sentir vivante. Mais au-delà, l’auteur livre quatre vies fêlées et blessées, pas tout à fait à leur place dans le monde qui les entoure. On s’attache à ces gosses, finement croqués. Les dialogues, drôles, incisifs, saupoudrés d’un vocabulaire fleuri et servis avec une riche poêlée de culture populaire donnent la saveur d’authenticité des grands romans. Ceux qui comptent. » (chronique publiée dans le n°87 de la revue Citrouille)
Deux mentions spéciales ont été attribuées à Cathy Ytak pour Sans armure (Éditions Talents Hauts) et Éric Pessan pour Tenir debout dans la nuit (Éditions L’école des loisirs).
Nous publions à cette occasion, l’intégralité d’un entretien avec Vincent Mondiot, réalisé par Thomas Vernet pour la revue Citrouille :
« – Bonjour Vincent, depuis 2013, tu as écrit 4 romans pour les ados, pourquoi eux ?
Au départ, je n’avais pas pour but de spécialement écrire pour les ados. Mais, à de rares exceptions, quand tu écris des livres avec des ados, eh bien, éditorialement, on va te mettre dans la catégorie « livres pour ados ». C’est une règle tacite que j’ai depuis intégrée. Maintenant, pour te répondre plus précisément, l’adolescence est un âge où tu as envie d’expérimenter plein de choses, mais où tu n’en as pas encore forcément les moyens. Tu es limité par le fait de vivre chez tes parents, par l’école… Et les livres sont, peut-être, une façon d’aller chercher des expériences « autres » par le biais de personnages, d’étendre son champ de vision.
Et puis, les ados sont généralement des lecteurs très enthousiastes, dans le négatif comme dans le positif ! C’est toujours réjouissant d’avoir leurs retours, souvent plus instinctifs et francs que ceux des lecteurs adultes… Lecteurs adultes pour lesquels j’écris aussi, cela dit ! Je ne « refuse » jamais à un lecteur, quel qu’il soit, de s’intéresser à l’un de mes livres.
– En termes d’expériences « autres », tu as mis la barre haute, dans ton nouveau roman tes personnages touchent à tous les interdits.
Tu trouves ? Ils ne vont pas si loin, selon moi, et je ne dis pas ça pour provoquer ! Leur rapport au sexe est par exemple assez innocent, et s’ils consomment pas mal d’alcool, de cigarettes et quelques drogues, je crois que, quoi qu’on en pense, c’est effectivement au lycée, à l’âge qu’ont mes personnages, qu’on fait en général nos premières explorations de ces sujets. Minh Tuan, Chloé, Gaspard et Tina sont dans une démarche parfois un peu autodestructrice, à différents degrés selon les cas, mais elle ne me semble pas tellement irréaliste ni extrême par rapport au quotidien de certains lycéens.
Je voulais, dans ce roman, parler du quotidien d’adolescents un peu à la dérive, mais qui gardent quand même un bon fond, et qui ne sont pas si sombres dans leur manière d’envisager la vie… Les interdits auxquels ils touchent ont un prix, mais ils ne sont pas sans retour, je crois.
– Chloé, Minh Tuan et Gaspard sont plutôt désabusés face à la société d’aujourd’hui, peux-tu nous dire ce qui a motivé la création de ces personnages et de leur histoire ?
J’ai essayé de me souvenir de ma propre adolescence, et de mon état d’esprit d’alors ! J’étais un lycéen très énervé, un peu en guerre contre le monde, sans forcément trop de raisons pour ça. J’avais l’impression que personne ne comprenait rien à rien et pourtant, en parallèle à ça, j’étais également assez mou, je ne m’impliquais dans rien, trouvant tout dérisoire ou insuffisant pour mériter mon attention… C’est cet état d’esprit assez fréquent chez les adolescents, à l’âge où l’on commence à être déçus par le monde, soudain trop petit et trop mesquin à nos yeux, que j’ai essayé de retrouver pour ces trois personnages.
Et puis, il faut dire aussi qu’en tant que lycéens de 2020, ils ont quand même pas mal de raisons d’être déçus par le monde, justement ! Je suis moi-même toujours très énervé, mais surtout pour les générations qui viennent après la mienne. Notre société est dans un état pré-apocalyptique, et on se contente de continuer à leur dire « passe quand même des diplômes, on sait jamais, ça te servira peut-être quand tu vivras dans une société à la Mad Max »… Les adolescents sont, à mon sens, parfaitement légitimes pour furieusement en vouloir à leurs aînés.
– Tina, elle, n’est pas du tout dans cet état d’esprit, quelle importance a ce personnage pour toi ?
Tina a plusieurs rôles. Le premier, c’est qu’en étant un élément extérieur au trio formé au départ par les autres, elle permet de modifier un peu leurs habitudes, leur fonctionnement. Elle sert de porte d’entrée au lecteur, afin qu’il puisse s’approcher plus près des personnages.
Et puis, effectivement, comme tu le dis, elle a des problématiques personnelles complètement différentes de celles des trois autres. En tant que jeune migrante isolée, elle doit gérer son quotidien, le peu d’argent qu’elle a, les visions d’avenir assez réduites que la France lui propose… Ce n’est pas qu’elle n’a pas de démons personnels, mais elle n’a simplement pas le temps de leur laisser trop de place. Pouvoir s’occuper de ses névroses et de ses angoisses, c’est un luxe… Et que, justement, ce luxe, elle ne l’ait pas, ça lui permet, je crois, d’être un peu la « voix de la raison » pour Minh Tuan, Gaspard et Chloé. Du fait que Tina se débrouille seule depuis déjà un moment, elle a de l’avance sur eux en termes de maturité et, paradoxalement, de foi en l’avenir.
Et puis, aussi, Tina m’a permis de parler un peu de la situation de ceux que les services sociaux appellent « les mineurs isolés ». C’est un sujet que je connais par ma soeur et ma mère, qui toutes les deux travaillent dans le social, et qui m’ont aidé à solidifier cet aspect du roman. C’est un sujet grave, qui concerne des gens en grande précarité, et j’ai essayé, autant que possible, de leur rendre justice. J’espère y avoir réussi, mais ce n’est pas à moi d’en juger !
Une des originalités de ton roman, ce sont les notes de côté de page, nombreuses, et qui se comportent comme une voix propre, tu peux nous en dire plus ?
Ces notes, qui sont effectivement un peu la « voix off » du roman, sont nées de plusieurs idées différentes, en fait !
D’une part, j’avais envie que visuellement, le livre ressemble au journal intime d’un lycéen, ou à des feuilles de cours dans les marges desquelles il aurait griffonné tout un tas de trucs sans rapport avec ses leçons.
Ensuite, je désirais retranscrire ce sentiment particulier qu’on peut avoir quand on est au collège ou au lycée : cette impression, pas totalement injustifiée, qu’une très large partie de notre vie quotidienne s’y déroule. Avec les années qui s’accumulent dans ces mêmes bâtiments, on a l’impression d’en connaître chaque détail, chaque visage… Des choses et des gens objectivement insignifiants pour nous se mettent à prendre de l’importance dans la toile de notre vie. Les notes de côté de page m’ont permis d’évoquer ce sentiment, de dessiner les ramifications du quotidien des personnages. Les lieux, les camarades de classe, les détails de tel endroit, les contours de tel souvenir… Tout un tas de petits éléments qui ne sont pas essentiels à « l’intrigue », mais qui forment, tous ensemble, le décor où elle se déroule.
Et puis, également, je voulais inscrire au maximum Les Derniers des Branleurs dans la réalité des adolescents d’aujourd’hui. C’est pour ça qu’il y a énormément de références à leurs rappeurs favoris, aux jeux vidéo auxquels ils jouent, aux films qu’ils regardent, aux mangas qu’ils lisent… Tous les éléments cités existent réellement, d’ailleurs ! A une ou deux exceptions près que je laisserai les lecteurs identifier…
Et enfin, la dernière raison à l’existence de ces notes, c’est que j’aime beaucoup les jeux formels, en littérature. Quand un auteur essaie de tordre un peu la forme classique du roman pour créer quelque chose de nouveau. Trop peu d’écrivains s’y risquent, je trouve. J’ai essayé, à mon échelle, d’aller dans ce sens et de m’amuser. D’ailleurs, la plupart des notes sont quasiment des blagues, et j’en profite régulièrement pour me foutre de la gueule de mes personnages ! Qu’elles puissent faire rire le lecteur, c’est tout ce que je peux espérer. »
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