Roman graphique très épuré, Etenesh raconte le périple d’une jeune Éthiopienne quittant Addis Abeba en 2004 pour rejoindre, deux ans plus tard, les côtes de Lampedusa en Italie. Son auteur, Paolo Castaldi, nous raconte comme il l’a rencontrée et comment il a décidé de raconter son histoire.

«Tout commence par le fait que je vis à Milan. On peut vivre à Milan dans deux mondes distincts. Maintenir à distance ces deux univers est hélas très facile. Il y a le Milan du shopping, de l’apéritif pris entre amis, de la vie nocturne et des événements culturels, le Milan du divertissement et des paillettes. Et puis, si on y regarde d’un peu plus près, si on y prête un peu plus d’attention, on découvre qu’il y a un Milan parallèle et silencieux. Le Milan de celui qui arrive chargé d’un espoir, d’un rêve caché au plus profond de lui, le Milan de celui qui est en quête d’un futur. L’immigration est un élément important de ce Milan-là – et cela dérange certains… Avec cet album, je souhaitais raconter une histoire qui fasse caisse de résonance avec toutes ces histoires semblables à celle vécue par Etenesh. Pour beaucoup d’entre nous le drame de ces «voyages» reste en réalité méconnu, si ce n’est leur ultime étape parce qu’elle est la plus médiatisée: la traversée de la Méditerranée. Mais celle-ci ne représente qu’un faible pourcentage du parcours infernal de celui qui, par un chemin ou un autre, migre vers l’Italie.
Etenesh, la première fois que je l’ai rencontrée, c’est à travers mon écran de télévision. J’étais en train de regarder un reportage d’Andrea Segre et Dagmawi Yimer, Comme un homme sur la terre, un documentaire poignant qui aborde de front la thématique des personnes qui migrent en traversant d’abord le Sahara puis la Méditerranée. Est alors apparu sur l’écran le visage d’une jeune exilée au regard mélancolique mais fier, qui était  interviewée. Un déclic s’est aussitôt opéré en moi. Cette jeune fille avait une histoire énorme sur les épaules. Je ne pouvais pas me satisfaire des deux minutes de visibilité que lui avait offert ce documentaire. Via le site de la production, j’ai pu entrer en contact avec Dagmawi et avec la jeune fille. Nous avons fixé un rendez-vous à Rome. Et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés face à face.
Nous avons eu une longue discussion, dense, émouvante, entrecoupée des larmes des uns et des autres. Après trois heures d’enregistrement j’avais l’histoire d’Etenesh entre les mains, l’histoire d’une odyssée dont je devais prendre soin. C’était une grande responsabilité. J’avais dans cet enregistrement deux années de la vie d’un être humain. Deux ans de douleur, de sacrifice et d’espoir. Mais qui étais-je, pour me permettre de m’approprier ainsi son histoire? La question ne faisait que commencer à m’obséder…
J’avais le projet de dessiner et divulguer le récit qu’Etenesh m’avait confié, et ma plus grande peur était de lui manquer de respect. Je pouvais peut-être me laisser emporter ou guider par le métier d’écrivain, rendant trop spectaculaires certaines scènes, romançant trop certaines autres, créant une histoire accommodante et spectaculaire afin de charmer le lecteur. Et c’était tout ce que je voulais éviter. En ce qui concerne le dessin, l’apport et le soutien de Dagmawi ont été précieux. Aujourd’hui Dagmawi est réalisateur en Italie. Mais lui aussi a fui l’Éthiopie et traversé le désert. Son voyage fut très semblable à celui d’Etenesh. Sa description des paysages, des lieux, et même des parfums, m’a été très précieuse. Cela m’a permit de «voir» ce que par chance je n’ai pas eu à voir de mes propres yeux. Il m’a décrit minutieusement chaque détail. Celui des camions qui transportaient les migrants à travers le désert, les uniformes des soldats libyens, les visages…
Et puis j’ai fait de nombreuses recherches pour trouver un traitement qui soit graphique, synthétique mais poétique en même temps. J’ai fait de nombreuses études de visages. J’ai éliminé aussi le passage à l’encre de chine sur les planches, laissant le dessin au trait pur du crayon, libre de raconter, sans la rigidité typique du feutre noir… Ainsi est né l’album dans lequel j’ai essayé de rapporter sur le papier, l’histoire qu’Etenesh m’avait racontée. En étant simplement sincère et honnête comme elle le fut avec moi.»
Paolo Castaldi, traduit par Nathalie Baillot

Etenesh, l’odyssée d’une migrante Auteur: Paolo Castaldi
Collection Histoire
Éditions Des ronds dans l’O 
en partenariat avec Amnesty International

De l’Éthiopie en passant par le Soudan et la Libye, Paolo Castaldi, nous livre l’histoire tragique d’Africains de l’Est, pris dans l’engrenage des circuits de l’immigration clandestine pour rejoindre l’Europe. Avec le récit de leur traversée, dont peu réchappent, le lecteur mesure un peu mieux les enjeux, les rêves, les espoirs portés par ces migrants. Au fil des pages, nous suivons ainsi Etenesh et Yimer Dagmawi, jeunes Éthiopiens en quête de nouveaux horizons, de nouveaux possibles, passant des mains d’esclavagistes à ceux de trafiquants d’hommes. C’est plus d’un an de leur vie dont nous sommes témoins. Aujourd’hui tous deux vivent en Italie et cherchent à transmettre cet épisode de leur vie. Avec cette BD, et particulièrement ses dessins, Paolo Castaldi les accompagne dans cette démarche. Il nous offre des plans rapprochés qui nous plongent dans l’univers effroyable des personnages, mais sans voyeurisme. Les planches, en alternance de couleur sable, kaki et bleues sont tout en sensibilité. Seule couleur chaude, le rouge du vêtement d’Etenesh semble symboliser la détermination et le courage de cette héroïne. – Librairie Jean-Jacques Rousseau