Servir sans se servir ni asservir – Une interview de Maurice Pommier

«Si je tiens à ce que les dessins soient les plus justes possible c’est parce que dans les livres « pour enfant », ils laissent des traces qui perdurent…» : Maurice Pommier explique sa façon d’illustrer à Annie Falzini, librairie L’Oiseau Lire d’Evreux.

ANNIE FAZINI : Maurice, tu es dessinateur de documentaires…
MAURICE POMMIER : Je ne sais pas. Chaque dessinateur se sert des outils qui lui plaisent et qui lui conviennent. J’aime les objets, les maisons, les meubles, les costumes des personnages. J’aime aussi dessiner le mouvement, je prends beaucoup de temps, pour dessiner l’emballage dans lequel évoluent les personnages. C’est parfois un casse-tête, mais aussi un plaisir, de passer des heures et des journées à chercher le détail qui bloque et que parfois, je n’arrive pas à trouver… Tout cela pour te dire que je n’aime pas trop le terme de « dessinateur de documentaires ». Ces classifications m’agacent. En ce qui me concerne, j’essaie d’appliquer la devise du Compagnonnage : « servir, sans se servir ni asservir », faire au mieux les petits miquets qui illustreront le texte que l’on m’a donné. Et ça, dessinateur de documentaires ou d’autres choses, c’est très difficile…

C’est aussi parce que toi quand tu dessines, même quand ce sont pour des fictions, tu cherches à être au plus près de la vérité.
Ça m’est indispensable. En dehors des propres informations contenues dans le texte que j’ai à illustrer, il y a aussi toutes les recherches que j’effectue par moi-même et qui constituent la nourriture de mon dessin, même si je ne me sers pas « directement » de ce que je trouve. Ça m’est arrivé de compulser plein de bouquins, d’aller fouiner sur Internet pour trouver un détail qui n’apparaîtra pas dans le dessin final, mais qui l’aura nourri. Je lis aussi des romans en rapport avec le sujet… Eux aussi sont aussi documentés et documentaires ! Il y a des dessins qui ne seraient pas ce qu’ils sont sans ces recherches, sans les histoires que je me raconte pour mieux les dessiner. Et si je tiens à ce qu’au final les dessins soient le plus juste possible c’est parce que dans les livres « pour enfant », ils laissent des traces qui perdurent et qu’ils sont des supports à leur imaginaire… Je fais donc attention à ne pas dessiner trop de conneries !

As-tu le souvenir de faits ou de scènes particulièrement difficiles à illustrer ?
La double page de la Saint Barthélemy ! C’est très difficile de dessiner quelque chose d’aussi horrible. La haine, la folie, la colère, la lumière des torches… Comment rentrer dans cette maison : en brisant les volets ? Comment représenter les victimes que l’on tire hors de chez elles ? Comment essaie-t-on de fuir, de sauver un être cher ? Il me fallait me mettre à la fois dans la peau des victimes et dans celle des bourreaux, imaginer le type qui prend son arquebuse et qui ne va pas se laisser trucider facilement…. Et puis il y a toute la recherche architecturale, il faut essayer d’imaginer Paris à cette époque-là, avec des maisons à pans de bois, et puis celles des gens qui avait de la thune qui se faisaient faire le petit palais avec petite cour intérieure pour garer le carrosse, et puis aussi se préoccuper de l’aspect des huisseries… Bref, surtout essayer de ne pas faire n’importe quoi ! Pour la double page sur la révolte des Parisiens je me suis raconté quelque chose qui m’a aidé à dessiner : «Qu’est ce qui se passe chez nous quand il y a une émeute ? On retourne les voitures. Bon et bien là ils vont retourner un tombereau, le véhicule du livreur de l’époque. Les émeutiers l’auront volé à un roulier – il faisait le coup de poing avec l’un des meneurs, pendant qu’un autre lui piquait son cheval. Ça se passe près de l’atelier d’un charron, c’est pour ça qu’ils ont facilement démonté les roues du véhicule ! Etc.» Les tableaux de Breughel m’ont aidé, parce que Breughel peignait la vraie vie. Les lieux et les objets représentés dans ses tableaux sont des témoins qu’il faut faire parler pour imaginer la vie à cette époque-là, et c’est bigrement excitant !

Tu utilises aussi la fiction pour écrire du documentaire : Le sac du mousse, par exemple…
Le sac du mousse, ça m’a pris au musée des Terre-neuvas à Fécamp. Je n’avais rien trouvé sur la vie des mousses « avec des dessins ». Alors j’ai raconté une petite histoire. De la fiction, d’accord, mais elle n’est que la boîte qui contient ce qui est important à mes yeux. L’intérêt du documentaire, puisque documentaire il y a, c’est que ça remet les choses en place. On a oublié le quotidien de nos ancêtres, et nous sommes prompts à donner conseils et leçons aux autres peuples, nous oublions vite d’où nous venons. Ce n’est pas du passéisme (note bien que je hais l’expression « le bon vieux temps » !), c’est du devoir de souvenir, ça permet de laisser des petites traces. Je trouve ça important de raconter la vie d’un gamin qui était mousse sur un terre-neuvas en 1900, de dire comment il gagnait sa croûte. C’est juste un petit post-it pour rappeler ce que notre société s’évertue de gommer. L’intérêt de l’aventure documentée, c’est qu’elle permet de passer le flambeau. C’est important, même si ça ne touche qu’un seul lecteur : il continuera lui-même de le raconter…

Propos recueillis par Annie Falzini, librairie L’Oiseau Lire à Evreux

Un article du dossier DIRE ET LIRE PAR L’IMAGE, Citrouille n°46