Stéphane Michaka: «Je me demandais que faire de cet imaginaire et il est devenu Faustine»

Cité 19, le roman de Stéphane Michaka (deux tomes), nous fait faire un bond dans le Paris de 1860 – en pleine mutation haussmannienne – par l’intermédiaire de Faustine, ado d’aujourd’hui qui, à la veille de son bac, est projetée à cette époque. Où Stéphane Michaka est-il allé chercher cette idée? (interview réalisée à la parution du premier tome, présenté ici. Extrait du second ) – Maryline Colombet, librairie Autrement Dit à Dijon – un article paru en novembre 2015

MARYLINE COLOMBET: Quelle est, Stéphane, la genèse de ce premier tome que votre éditeur présente comme aux confins du thriller, de la science-fiction et de l’histoire?
STÉPHANE MICHAKA: L’envie d’écrire Cité 19 m’est venue il y a longtemps. Je venais de publier mon premier roman qui était déjà une plongée dans une grande ville, New York, ainsi qu’une enquête policière. En écrivant Cité 19, j’avais envie d’aller à la fois plus près et plus loin. Faire un voyage dans Paris, la ville de mon enfance, et me libérer du réalisme. Je ne savais pas que ce livre allait devenir pour moi une initiation à ma propre ville, et prendre la forme d’un diptyque.

MARYLINE COLOMBET: Comment Faustine, l’héroïne de Cité 19, s’est-elle imposée à vous? Quelle proximité entretenez-vous avec ce personnage?
STÉPHANE MICHAKA: Je ne résiste pas à l’envie de répondre «Faustine, c’est moi», parce que je m’identifie totalement à elle: à sa timidité et aussi à son audace qui reste cachée mais se révèle sous la pression des circonstances. Adolescent, je passais beaucoup de temps au musée d’Orsay à rêver comme elle du XIXe siècle. Son imaginaire est le mien. Je me demandais que faire de cet imaginaire et il est devenu Faustine.

MARYLINE COLOMBET: Bluff, faux-semblants, avatars, manipulations, simulacre: il y a tout au long de Cité 19 comme une mise en abîme de l’intrigue qui passe de notre époque au XIXe siècle, où les rêves ont des impacts dans la réalité et inversement, où les certitudes sont ébranlées. Quelles sont ici vos sources d’inspirations?
STÉPHANE MICHAKA: Cela peut faire sourire, mais je suis très myope, et je crois que cela a une réelle influence sur mon écriture, mes thèmes: la vision qui a besoin d’être ajustée, la crainte de «mal voir» et le besoin concomitant de voir au-delà, de percer à jour. Dans cette perspective, le Second Empire a une résonance particulière avec notre époque: la place que prend l’image, la mode, l’avènement de la photographie… Être assailli par les images peut susciter à la fois de la fascination et de l’angoisse. Le besoin de recourir aux mots devient alors très puissant. Et bien sûr, dans Cité 19, il y a des échos d’auteurs que j’aime beaucoup, comme Jules Verne, Kafka ou Philip K. Dick.

MARYLINE COLOMBET: Le découpage de votre récit n’est pas sans rappeler celui de la littérature populaire et des feuilletons publiés dans la presse… Votre style, très évocateur, la reconstitution historique créent immédiatement une image et un mouvement. Cela vous vient-il de votre expérience sur France Culture où la radio doit créer des images pour frapper l’imagination des auditeurs ou d’une parenté directe entre la littérature «y-a» (young adult) et le cinéma?
STÉPHANE MICHAKA: Il est vrai que je cherche une immédiateté visuelle, une transparence de l’écriture pour que le mot suscite des images. En même temps, j’en fais l’expérience tous les jours, les mots, comme la réalité, ont une opacité qui leur est propre, une étymologie qui peut être cachée, mystérieuse, obsédante. J’aime donner à voir, mais j’aime aussi que les mots aient une résonance particulière, qu’ils «accrochent» l’oreille, dans une tension entre le sens premier et des sens plus flous qui peuvent venir du passé. J’espère que cette tension est à l’œuvre dans Cité 19.

Propos recueillis par Maryline Colombet, librairie Autrement Dit à Dijon

Cité 19 – T1
De Stéphane Michaka
Pocket Jeunesse
Faustine va bientôt passer son bac. Passionnée par le XIXe siècle, elle a été à bonne école puisque sa mère, depuis disparue sans laisser d’adresse, en était une spécialiste. Son père, gardien en chef du musée d’Orsay, est retrouvé mort. Mais, lors de l’identification du corps, Faustine ne reconnaît pas ses mains. Persuadée qu’il a été kidnappé par un groupuscule intriguant – les Illuministes – elle part alors à sa recherche, une recherche qui va la conduire des quais du métro Cité à une plongée dans les rues de Paris… sous le Second Empire.Est-elle en train de rêver ou son rêve est-il manipulé dans un incroyable jeu que l’on appelle le «simulacre»? L’héroïne de Stéphane Michaka, indépendante et passionnée, est particulièrement attachante et ses facultés hors du commun – impossible d’en dire davantage – entraînent le récit. Par une virtuose mise en abîme, l’auteur nous entraîne dans une aventure complexe à suspense et rebondissements, au développement inattendu, dans une ambiance oscillant entre le steampunk et la science-fiction. Vivement la sortie du deuxième tome prévue en janvier 2016! – Librairie Sorcière Autrement Dit à Dijon



Cité 19 – T2
De Stéphane Michaka
Pocket Jeunesse

EXTRAIT :
«
— Qui ça, « ils » ?
— Comment ?
— « Ils vont finir par nous repérer », tu disais. Tu parles de la police ? Tu parles des agents de Lagrange ?
Elle eut envie d’ajouter : « Ou de Zapruder ? » Par prudence, elle se tut. Comme il restait silencieux, elle reprit :
— Allez, je te le jure sur ce que j’ai de plus cher. Je ne suis pas un espion déguisé. Je suis un bon gars. Je veux dire : une bonne fille !
Ils sortaient maintenant du palais. Faustine entendit à nouveau le ronflement de l’orgue, ses notes qui flottaient autour des arbres comme une brume musicale. Justement, la vapeur des chaudières les entoura bientôt jusqu’à la taille.
Elle suivait Florent sans chercher à savoir où il l’emmenait.
— Qu’est-ce que tu as de plus cher ?
D’un geste vif, il avait tourné la tête vers elle. Faustine attendit quelques secondes avant de répondre :
— Eh bien… Mon père et ma mère, tiens !
Il hocha le menton.
— Moi, je n’ai plus mes parents. Tous les deux dans le champ de navets.
Faustine se rendit compte qu’elle n’était peut-être pas mieux lotie que Florent. Elle croyait dur comme fer que son père se trouvait quelque part dans cette ville. Mais où ? Quant à sa mère… Elle ignorait ce qui s’était passé il y a douze ans, mais les chances étaient très minces que Sylvia soit encore en vie.
— Mes parents, je ne sais pas où ils se trouvent. Mais ils sont tout de même ce que j’ai de plus cher !
— Tu es seule, alors ?
Elle devina qu’il concluait à l’absence d’un petit ami. Cette remarque l’avait chatouillée. D’autant que depuis un moment, elle ne pensait plus du tout à Vikram.
— Je te le dirai, si tu me dévoiles qui se cache derrière ce « ils »…
Il sourit et continua de la guider à travers le brouillard. Cherchant à se repérer dans le parc, elle se tourna pour embrasser le palais du regard.
C’était, à travers la brume, un spectacle extraordinaire. On aurait dit le Colisée de Rome revu par des architectes du Second Empire. Ses arches jaillissaient de la fumée, en plein cœur de Paris, comme sous les doigts d’un magicien.
À ce moment, elle entendit la voix de Florent dans son dos :
— Ils nous épient, tu sais. Ils nous testent.
Elle se tourna vers lui. Son expression avait changé.
— Ils veulent savoir de quoi nous sommes capables. Toi en particulier.
— Les Veilleurs, prononça-t-elle à voix basse.
Il la fixa sans rien dire. Elle prit cela pour un oui.
— Tu les as vues, les images ? Ces gens au crâne rasé ? Toi aussi tu es un avatar, n’est-ce pas ? Un « dormeur », comme ils disent…
Elle ne comprenait ces mots qu’à moitié. Les prononcer devant Florent, c’était soulever un peu le voile qui les recouvrait.
— Ils nous retiennent prisonniers ?
— Désolé. Je n’ai pas le droit de te répondre.
Elle eut un frisson d’horreur. Quoi qu’il dise, elle savait maintenant qu’elle ne se trouvait pas sous le Second Empire, mais dans une gigantesque illusion façonnée pour elle et les autres. Avatars, Dormeurs, peu importaient leurs noms : on les manipulait comme elle.
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