Thomas Scotto : «Si mon âme en partant…»

  • Publication publiée :19 novembre 2018
  • Post category:Archives

«Quand mon âme en partant depuis toujours saura / Qu’on y va sans bagage à ce rendez-vous là / Croyez moi / Elle reviendra» chante Anne Sylvestre… Grâce à Jo Hoestlandt l’album de Thomas Scotto, Une somme de souvenirs, avait déjà vécu chez un petit éditeur, aujourd’hui disparu, sous le titre M.Wilson. Après un long temps de silence, l’auteur a alors reproposé son texte aux éditions Notari dont le catalogue est rempli de titres de ses amis, de «livres parfaitement soignés et forts». – Une interview proposée par Simon Roguet, librairie M’Lire.


SIMON ROGUET: Ce texte a-t-il été facile à écrire, vous est-il venu rapidement, ou son écriture fut-elle laborieuse – au sens noble du terme?
THOMAS SCOTTO: Tout d’abord, je suis tellement heureux que vous lui donniez cette lumière-là. Parce qu’au bout de vingt ans d’écriture (cette année même!), cela confirme ce qui me tient à coeur: les textes d’une autre vie sont ceux d’une vie entière… et c’est d’autant plus vrai pour les textes d’albums, ceux que je n’écrirai pas différemment aujourd’hui. Je ne me souviens pas de difficulté d’écriture pour celui-là. J’ai pris le temps. Comme beaucoup de textes, l’idée de celui-ci est assez ancienne. Je crois même que le début du tout début m’est venu à la fac: l’histoire d’un homme qui décide de vendre ses souvenirs.Tout de suite j’ai voulu lui donner la forme d’un conte moderne.


Pourquoi avoir situé cette histoire en Angleterre? Ce cadre géographique vous permettait-il d’aller plus loin dans une histoire?
C’est exactement cela! Tout pouvait, bien sûr, se dérouler en France mais décaler une histoire d’un lieu, d’une époque, d’un monde lui donne une autre ampleur. Celle du voyage, du mystère voire d’une légitimité. J’ai l’impression qu’on croit plus facilement à l’impossible quand il se passe ailleurs. Du reste, la majorité de mes histoires n’a que très rarement de repère fixe. Le flou permet aussi cela… Ne pas mettre de barrière à l’imagination des lectrices et des lecteurs.


C’est un texte qui est très évocateur de ses propres images. Il a dû être très compliqué à illustrer pour Annaviola Faresin. Comment avez vous procédé? Avez-vous échangé sur vos envies, sur ses pistes de travail?
Après l’avoir lu, Luca Notari m’a proposé de confier ce texte pendant un an à une ou un élève du Master d’illustration de Macerata, en Italie. Sans me promettre qu’il serait publié. Écrire, c’est apprendre la patience. Il ne s’agit pas de «faire» un livre de plus sans y croire passionnément. J’ai dit oui. Parce que l’aventure et la richesse d’un premier travail de publication ne peut être qu’enthousiasmant. Mais je n’ai eu aucun lien avec Annaviola Faresin, je n’ai vu aucun croquis, aucun crayonné. Beaucoup de distance de la part de l’éditeur… Il a fallu presque trois ans avant que je commence à découvrir un bout d’image, déjà en couleurs, que le livre ne sorte et que j’en sois, heureusement, totalement conquis par le trait et les couleurs, les matières et l’inventivité. Peut-être aussi parce que tout s’est fait, de loin, sous le regard de l’illustratrice Joanna Concejo, qui intervenait dans cette école. Une belle manière d’être en confiance… Annaviola Faresin a ajouté à ce jour de brocante de nouveaux souvenirs. J’espère qu’ils n’ont pas été trop douloureux pour elle! Il faudra lui demander…


Comme d’habitude avec ceux dont vous êtes l’auteur, ce livre est un plaisir à lire à voix haute. Vous qui êtes écrivain mais qui proposez aussi des lectures publiques, une première lecture de vos textes à voix haute, chez vous, est-elle un passage obligé dans votre processus d’écriture?
C’est même viscéral, je crois. Nous sommes beaucoup à écrire de cette manière, à voix haute. Une somme de souvenirs est un conte. Avec des phrases longues, un rythme qui berce. Peut-être qu’il se prête encore plus naturellement au cadeau de la voix. À l’écriture, c’est évidemment la possibilité d’appréhender la musique même d’un texte, les silences, les images nouvelles que provoquent deux sonorités entre elles. Je verbalise ici quelque chose qui se fait naturellement et plus simplement au quotidien! J’ai longtemps dit que je lisais à voix haute mes textes comme je les avais écrits. Et c’était un peu idiot! Puisque, finalement, chaque lecteur lit les mots comme je les ai écrits sur le papier. Ma voix d’auteur n’est qu’une voix parmi des milliers d’autres possibles. Dans ce sens, j’ai la chance que cette histoire soit par ailleurs emportée plus loin et d’une autre manière par la Compagnie de la Bobêche, que dirige Mathilde Henry, sous la forme de théâtre d’objets et de marionnettes*.


Dans cette histoire M. Wilson veut d’abord se débarrasser de ses vieux souvenirs qui l’embarrassent, puis il se rend compte que ce n’est sans doute pas une bonne idée. Quelle vieille personne voudriez vous devenir? Avec quels souvenirs?
Vers quinze ans, j’ai pensé qu’il fallait que je me trouve des modèles pour «bien vieillir». Que je fasse confiance à celles et ceux qui pouvaient me tracer un chemin constructif, plus joli, plus fort, plus émouvant. C’est surtout passé par le cinéma et la chanson. Avec des titres qui parlaient de vieillesse justement ou, déjà, de jeunesse perdue. Et je n’ai jamais trouvé ça triste. Simplement se rendre compte assez tôt, qu’à l’évidence, on n’a pas d’autre choix que de grandir… puis de vieillir. Mais de grandir encore! Alors bien sûr si je peux avoir, autour de mes quatre-vingts, la force des mots d’Anne Sylvestre, la voix le lecture de Jean-Louis Trintignant, l’engagement de Joan Baez, la malice de Maggie Smith, l’humour de Sempé, la classe de Sean Connery et, jusqu’au bout, l’autonomie de vie qu’a eue ma grand-mère maternelle à qui j’ai dédicacé Une somme de souvenirs… Ça frôlera sans aucun doute l’indécence mais j’aurais vraiment bien grandi! Ah… J’ai oublié la mémoire de l’éléphant… Sa discrétion des derniers jours aussi… Une chose est certaine, dans ces souvenirs-là, il y aura chaque centimètre de moment passé avec mes deux filles. Et puis aussi «mes amis, mes amours, mes emmerdes»!


Propos recueillis par Simon Roguet, Librairie Sorcière M’Lire à Laval


Une somme de souvenirs
Auteur : Thomas Scotto
Illustratrice : Annaviola Faresin
éd. Notari
M. WILSON – Mémoire de mon grand-père en 81 objets. Un spectacle bilingue français / LSF, tout public à partir de sept ans. facebook.com/labobeche