Tout pareil que Les petites reines, mais encore mieux. Et complètement différent.

  • Publication publiée :18 septembre 2016
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Vous n’avez pas pu rater Les petites reines , précédent roman de Clémentine Beauvais, lauréat du Prix Sorcières 2015 et prochainement adapté au théâtre et au cinéma (chouette !) Magnifique bouquin, drôle, émouvant, pertinent, savoureux et tellement bien écrit.

Et ce nouveau roman alors, Songe à la douceur, il est comment ?

Tout pareil mais encore mieux. Et complètement différent. Je crois que ça fait bien longtemps que je n’avais pas lu quelque chose de cette qualité.

Ils se sont rencontrés quand ils étaient ados. Elle, jeune fille timide, idéaliste et follement romantique. Lui, jeune homme nonchalant, un peu trop blasé, parfois trop cynique.

Tatiana tombe instantanément amoureuse. Eugène est séduit par cette fille intello un peu à part, toujours plongée dans ses livres. Les longues discussions qu’ils partagent tous les deux laissent croire à Tatiana qu’Eugène ressent ce même amour naissant, qu’il éprouve pour elle les mêmes sentiments.

La jeune fille se confie dans une lettre (magnifique passage…) qu’elle ose envoyer par mail à celui qui fait battre son cœur :

«C’est bête
mais c’est seulement quand tu es là que j’ai l’impression
d’être là où je dois être.
Le reste du temps, je suis comme quelqu’un à la fenêtre
qui se regarderait vivre dehors
et qui aurait l’impression que ça arrive
à quelqu’un d’autre ».

Eugène ne sait pas quoi répondre, ne veut pas s’avouer touché, préfère éluder en éconduisant maladroitement celle qui était presque devenue une amie, celle qu’il avait tant plaisir à fréquenter.

Ce même été, un drame survenu dans la bande de copains va mettre un terme définitif à cette relation.

Ils se retrouvent dix ans plus tard.

Dans la rue, comme ça.

Ils tombent l’un sur l’autre dans le métro, par hasard ou alors peut-être pas.

Lui part à l’enterrement de son grand-père. Elle part à la bibliothèque pour bosser sa thèse en histoire de l’art.

Ils se plaisent ou se replaisent instantanément et vont vite chercher à se revoir. Les conversations reprennent comme si le fil ne s’était jamais coupé, comme si dix ans ne s’étaient pas écoulés.

Eugène, jadis un peu froid et distant, se sent magnétiquement attiré par Tatiana. La jeune femme de son côté, si elle ne cesse de penser à Eugène, souhaite revenir sur leur histoire passée et ce drame qui a tout balayé.

L’éternel pas de deux amoureux peut commencer, avec les jeux de séduction, la valse des hésitations et le temps qui file.

« Et je suis sûre que parmi vous,
 il y en a qui pensent,
 parfois à des amours gâchées
 il y a deux, trois ou dix ans.
 Ce n’est pas pire après dix ans,
 ça n’augmente pas nécessairement avec le temps,
ce n’est pas
 un investissement,
 le regret ».

Y’a pas à tortiller : ce roman est superbe. Porté par la voix d’une narratrice (d’un narrateur ?) omnisciente qui nous plonge dans les pensées de l’un et de l’autre, nous donne son avis, nous questionne, bouscule la chronologie de l’histoire et bouscule notre propre lecture. On croirait presque entendre le chœur antique d’une tragédie grecque et ce n’est pas là le seul clin d’œil de l’auteure.

Très librement inspiré du récit d’Alexandre Pouchkine Eugène Onéguine, ce roman, magnifiquement écrit en vers libres, transcende tous les genres et s’affranchit de tous les registres de langue, des plus triviaux aux plus soutenus.

Truffé de multiples références littéraires implicites ou affichées, le texte joue habilement avec l’espace même de la page, improvisant sur le fil des effets de typographie et des mises en pages inédites qui bousculent la linéarité d’une lecture classique.

On est bien loin cependant du simple exercice de style tant la narration reste fluide, légère, nous embarquant instantanément dans cette love story moderne.

Tous les sentiments y sont dépeints: les sensations fugaces, les émotions fortes, les désirs enfouis, les contradictions lancinantes.

Même si tout semble parfaitement aisé et évident à la lecture, je n’ose imaginer le travail d’écriture incroyable qu’a dû représenter ce bouquin, sans parler du boulot de l’éditeur (Sarbacane, what else…)

Que dire de plus, si ce n’est que je crois n’avoir jamais lu un truc pareil. Terriblement audacieux, tellement émouvant et complètement bluffant.

Incroyable Clémentine Beauvais ! …

Véro, Librairie La Boîte à Histoires à Marseille

Lire l’interview de Clémentine Beauvais ici

Songe à la douceur. Clémentine Beauvais. Editions Sarbacane. Collection X’. 15,50