Trois livres conseillés en 2004 par la Librairie Sorcière Comptines à Bordeaux


Un beau jour pour être riche
Si être pauvre reste une souffrance dans quelque partie du monde que ce soit, l’est-on de la même façon ici et ailleurs… avec la même philosophie ? Serait-ce le rêve qui pourrait faire la différence ? Pourrait-on, par exemple, mettre ce dialogue dans les bouches d’un père et de son fils français, saltimbanques à qui un inconnu aurait abandonné un billet de dix euros :
– On pourrait peut-être s’acheter quelque chose ? Quelque chose dont on a toujours rêvé ?
– Oui mais quoi ?
Jagan et son père examinèrent la question. La proposition n’était pas mauvaise, mais ils n’avaient jamais rêvé à rien qui pût s’acheter. A quoi bon, quand on a toujours les poches vides !
Dix euros, c’est environ 500 roupies en Inde. Et c’est avec un billet de ce montant que se retrouvent Jagan et Sriram, ce fils et ce père qui n’ont jamais rien rêvé qui pût s’acheter… A quoi dépenseront-ils alors cette somme? La dépenseront-ils ? Quand on ne possède rien, même pas le rêve de posséder, n’en deviendrait-on pas plus riche d’autres choses, de savoirs, de générosité, de partage ? C’est ce que l’Inde semble avoir enseigné à Patrice Favaro. Et c’est ce dont cet éternel voyageur témoigne auprès des petits lecteurs de France, avec ce récit à l’allure de conte de sagesse et aux illustrations soignées et adéquates. Non pas pour que ses lecteurs finissent par louer la pauvreté, mais peut-être bien afin de les inviter à regarder l’argent et leurs rêves d’un autre oeil : celui de l’aveugle qui vient de recouvrer la vue.
Un beau jour pour être riche
Patrice Favaro, Renaud Perrin
Demi-Lune, éd. Nathan


Si c’est une petite filleUn roman à proposer à partir de dix, onze ans mais qui peut sans doute être lu à un enfant plus jeune. Une mère et sa fille de six ans se parlent. Mais rien n’indique qu’elles s’entendent. C’est normal, la mère est morte et s’adresse à sa fille depuis un au-delà qui ressemble à une salle d’attente – une « armoire » pour les défunts qui n’arrivent pas encore à se séparer de ceux qu’ils ont laissé derrière eux. La mère ne peut supporter d’avoir abandonné sa fille. Elle l’observe et formule des souhaits pour sa vie future, cette vie dont elle ne fera pas partie. La petite fille parle à sa mère morte comme si elle consignait sa vie, son quotidien, pour le retour prochain de sa mère. Le livre dure le temps d’un deuil. Un double deuil. Celui de l’enfant qui comprend que sa mère ne reviendra pas, celui de la mère qui accepte de savoir que son enfant grandira sans elle. Les paroles se succèdent et s’entremêlent. Elles parlent d’amour, de souvenirs et d’avenir. Au travers de ce dialogue, ou plutôt de ce double monologue – attesté par la quasi absence de ponctuation – Beatrice Masini aborde, avec infiniment de finesse, toutes les questions liées au deuil. Comment survivre à l’absence, comment l’apprivoiser et cultiver le souvenir tout en avançant dans la vie. Et si les morts souffraient eux aussi de cette séparation avant l’heure ? « Ils disaient que l’on ressent une grande paix lorsque l’on passe de l’autre côté, mais c’est faux, comment puis-je être en paix alors que je t’ai laissée seule ? ». Ce livre est magnifique parce qu’il est aérien. Tout y est suggéré avec délicatesse et pourtant on ressort bouleversé de cette lecture pleine d’espoir.
Si c’est une petite fille
Béatrice Masini, traduit de l’Italien par S. Gallo-Selva
éd. La joie de lire


Tant que la terre pleurera…
Samy est un adolescent français comme les autres jusqu’au jour où il se fait agresser parce qu’il est juif. Il décide alors de quitter la France pour poursuivre ses études en Israël. Kamal est son meilleur ami. Il est français, d’origine marocaine. Intissar a le même âge que Samy et Kamal. Elle est palestinienne et vit près de Bethléem. Elle supporte de moins en moins de voir son père travailler pour les Israéliens. Sa révolte grandit face aux conditions de vie des siens. Leïla est une petite fille palestinienne qui doit, trois fois par semaine, subir les contrôles au checkpoint, pour se faire soigner dans un hôpital israélien. Au travers de ces vies parallèles qui avancent vers un destin commun et dramatique, Yaël Hassan réussit le tour de force d’aborder presque tous les aspects du conflit israélo-palestinien et de ses répercussions en France. Grâce à ce roman, le décor est planté pour un échange avec les plus jeunes sur ce dont on parle chaque jour dans les media. On peut regretter le choix radical de Samy, mais oui, l’antisémitisme existe en France et oui, dans certaines cours de récréation, on confond « juif » et » israélien ». Oui encore, la violence est chaque jour présente en Israël et les populations civiles, israéliennes et palestiniennes en sont les premières victimes. Oui, enfin, la misère et l’absence totale de perspectives d’avenir sont le terreau du fanatisme de certains palestiniens. Yaël Hassan montre avec beaucoup de talent l’endroit où la vie bascule entre tolérance et intolérance. Ses personnages sont complexes et habités par des sentiments contradictoires. Comme les héros des tragédies grecques, ils sont emportés par des événements qui les dépassent. Mais l’espoir demeure et un jour il faudra bien faire la paix avec ses ennemis parce que « tant que cela durera, tant que la terre pleurera, il y aura des enfants qui mourront… ». (Préface de Samia Messaoudi, dossier historique de Martine Prosper)

Tant que la terre pleurera…
Yaël Hassan
Roman Junior, éd. Casterman

Librairie Sorcière Comptines à Bordeaux