Un hommage à la nature: Fragile, d’Agnès Domergue et Lydie Sabourin – recommandé par Jeremy Barraud, Panda Lecteur

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Je suis blogueur spécialisé dans la jeunesse, et je vous propose ici mon commentaire sur le dernier album d’Agnès Domergue et Lydie Sabourin!

Fragile est le dialogue entre un vieil homme assis sur un banc, et un enfant qui joue. Le vieil homme se remémore tout ce qu’il a fait sur Terre, en bien, mais surtout en mal, et cherche la voie de la rédemption. S’il sait qu’il est trop tard pour réparer ses erreurs, il charge l’enfant d’être meilleur que lui et de rendre à la Nature son bel air d’autrefois, avant que l’homme n’arrive. Tous les deux alors, ils reconstruisent un paysage radieux, beau.

La forme du texte rappelle celle du théâtre, avec les didascalies, le nom des personnages. J’étais un peu habitué aux réflexions intérieures dans d’autres albums d’Agnès Domergue, alors qu’ici c’est différent: le dialogue permet d’apprécier une prise de recul sur le monde modelé par le vieil homme. Nous retrouvons une poésie déjà formelle, avec des jeux de sonorités, des assonances, des allitérations, du rythme, des répétitions. Mais l’emploi d’images, de métaphores, vient adoucir un propos relativement violent dans l’idée: quand le vieil homme dit qu’il a «taché les océans d’encre noir», ou encore «J’ai emporté mes rêves plus loin que la lune, si près du soleil, au risque de les oublier, au risque de les perdre…».

Les euphémismes dramatisent vraiment cette réalité: le pétrole sur les océans, la déshumanisation scientiste et scientifique… L’homme en tant que personnage est l’incarnation de l’Homme, l’humanité, d’ailleurs c’est ainsi qu’il est orthographié, avec la majuscule, pour bien signifier cette idée que c’est toute l’humanité qui doit se sentir concernée par la santé de notre planète. L’enfant incarne alors l’innocence, la pureté, l’optimisme, l’avenir: tous nos espoirs se fondent en lui.

Je ne connaissais pas Lydie Sabourin avant de lire cet album; c’est ainsi l’occasion de découvrir le travail de l’illustratrice. Je l’ai trouvé ici très expressif, il vient totalement corroborer le texte. J’ai deux préférences: une première double-page, où l’on voit une grande forme dans les teintes chaudes, avec, sur un petit bout de gris minime, des animaux de la forêt, et quelques branches chétives. Avec ça, on peut lire ce que dit l’Homme : «J’ai enflammé le cœur des forêts, un peu, beaucoup, passionnément, […], A la folie, oui.» On comprend alors que l’illustration est le brasier entrepris par l’homme, brasier tellement énorme qu’il en vient à abîmer la page de l’album, et les animaux sont contraints de se serrer dans tout petit morceau sauf.

L’autre double-page, tout aussi violente, représente un ourson blanc sur un petit morceau de glace, à peine grand pour qu’il puisse s’y tenir tout à fait, perdu au milieu d’un océan noir de pétrole. L’isolement de nounours est infernal, d’autant plus qu’on sait que c’est une triste réalité. Bon, je vous rassure, les dernières illustrations viennent reprendre l’optimisme du texte, par un mélange de couleurs, de sourires !

Il est aussi important de noter les textures. Il y a quelque chose d’assez brut dans ces pages, comme pour mieux accompagner vers la nature première de la Nature, également brutale. Pas lisse, pas douce, mais rugueuse. De cette manière, l’illustratrice rend hommage à la nature. C’est dans cette esthétique brute que réside la beauté, dénuée de toute la froideur de la logique humaine et de son mauvais goût pour l’ordre et la propreté.

J’ai bien aimé cette lecture! C’est un album à portée écologique, qui ne matraque pas le lecteur avec une morale toute faite, pour une fois: c’est toujours mieux de lire quelque chose qui se termine sur une note optimiste plutôt que sur un blâme de l’humanité.

Sans pour autant être le meilleur album de l’auteure (je lui préfère Mee, petite fille du matin calme, qui reste mon préféré… cette parenthèse est mal construite, je vais la fermer tout de suite), c’est toujours un plaisir que de retrouver sa plume, musicale à tout point de vue, appuyée par le beau travail de Lydie Sabourin. L’attente fut particulièrement longue, mais je peux affirmer qu’elle en valait la peine!!

Bien à vous,

Jeremy Barraud (le Panda Lecteur)
http://lesjeuneslettres.blogspot.fr/

 Fragile – Agnès Domergue et Lydie Sabourin – Éd. Philomène – Date de parution: avril 2015