Une interview d’Adrien Albert par la librairie Libr’enfant de Tours

Adrien Albert voit le jour le 30 juin 1977, à Nantes. Rien dans son entourage familial ne semblait le prédisposer à devenir dessinateur. Il suit des études de droit, puis intègre l’école des Beaux-Arts d’Angers. Il y étudie le dessin, la peinture, la gravure et la vidéo. Adrien s’installe alors à Paris pour travailler dans un laboratoire d’anatomie comparée… où il dessine des crânes de marsupiaux! Il rejoint ensuite un collectif de journalistes, Le Terrier, puis devient dessinateur de presse pour le magazine Terra Economica, mensuel consacré au développement durable. Après une exposition personnelle à Bruxelles, il réalise que le dessin illustratif a toute sa place dans son travail artistique. C’est en envisageant avec une amie l’adaptation d’un bestiaire fantastique chinois, Le Livre de la montagne et des eaux, puis en découvrant, dans un livre d’heures du Moyen Âge, une enluminure représentant un lapin couronné, qu’il crée en 2008 son premier album pour enfants, Seigneur Lapin. Depuis, trois autres albums ont vu le jour et Adrien continue de faire rêver petits et grands et nous fait découvrir un monde poétique teinté d’humour à chaque nouvel album. Ses héros, toujours en quête de leur propre identité, continuent de nous surprendre et de nous donner de belles leçons de vie.


RACHEL DIONNET : Est-ce que tu dessinais beaucoup très jeune?

ADRIEN ALBERT: Depuis tout petit, j’ai voulu être dessinateur. Et j’ai toujours beaucoup dessiné. Cela a été un véritable facteur d’intégration pour moi à l’école. À l’université, je dessinais sur les tables d’amphithéâtre… Pendant mes voyages, je pouvais rester des heures dans des cafés-librairies à reproduire des ouvrages de photos… Bref le dessin a toujours été là. Et il y avait toujours une charge narrative dans ce que je faisais. Quand je suis rentré aux Beaux-Arts, c’est un médium vers lequel je suis allé très facilement. Mais j’ai également fait beaucoup de gravures et de vidéos. La chorégraphie, la mise en scène sont d’ailleurs des éléments dont je me sers dans mes albums. J’aime structurer, mettre en place…


Quelles lectures d’enfance t’ont le plus marqué?
  Comme beaucoup d’illustrateurs, mon goût pour l’image est d’abord venu par le dessin animé, la bande dessinée et le cinéma. Chez moi il n’y avait pas du tout la culture du livre. Mes parents lisaient peu. La culture du livre pour enfants, je me la construis seulement depuis quelques années. Mais j’ai toujours été fasciné par le livre d’images, et j’ai tout de même le souvenir de trois livres. Moi, ma grand-mère, de Pef, qui me fascinait par le souci du détail, et surtout parce qu’à la fin la grand-mère faisait les mêmes tartines que la mienne! Ensuite, Ourson et les chasseurs d’Anthony Browne: je pense que ce petit personnage blanc en premier plan, où tout le reste est coloré, m’a influencé après coup pour Seigneur Lapin; inconsciemment j’ai reproduit dans mon premier livre cette construction iconographique. Enfin, La Maison hantée de Jan Pienkowski; il faut dire que, dès que l’on entrait dans une histoire magique ou horrifique, j’étais plus que happé!



Ce qui me frappe dans tes albums, c’est la diversité graphique. On ne reconnaît pas ta «griffe», est-ce une volonté? On croit deviner dans tes illustrations des influences comme celles de Tomi Ungerer, ou encore Yuichi Kasano, est-ce le cas?
  Mon dessin est très travaillé et construit, il ne vient pas spontanément. Je passe énormément de temps sur un livre, c’est très long. Je n’ai pas le coup de crayon naturel. Dans mon travail graphique, ce qui me plaît c’est d’être dans la recherche, aller découvrir et puiser à droite à gauche. Comme je débute, j’ai envie de tout essayer. Quand je commence une histoire, je ne me pose pas la question du style, c’est le genre du récit qui va donner le ton et c’est le ton du livre qui va amener le dessin. Pour Zélie et les Gazzi j’ai fait un dessin un peu «chewing-gum», gag, et des personnages un peu difformes, parce que c’était le ton du livre. Pour Cousa, j’étais plongé dans l’illustration japonaise, je venais de découvrir Yuichi Kasano… Je suis une vraie éponge, j’absorbe tout. Mais il y a quand même une chose que l’on peut reconnaître dans tous mes albums: c’est la présence de la ligne claire, rehaussée par des aplats de couleurs. Ce qui m’intéresse avant tout c’est le trait noir et le jeu de vibrations entre deux couleurs,  qui ne doivent pas brouiller la clarté du trait. Tout est réfléchi: la construction des images, leur enchaînement, la mise en scène, les cadrages. Là où je m’éclate, ce n’est pas dans la spontanéité, mais dans le jeu de construction. Je me considère avant tout comme un «constructeur d’images». Par exemple dans Simon sur les rails, la couleur sert la mise en scène, elle accompagne à la fois les variations de lumière du jour et de la nuit, l’humeur du héros…


Parle-nous plus précisément de la naissance de Simon sur les rails
  Après Cousa, cela faisait trois albums qui naissaient «au petit bonheur la chance», avec un jeu d’inspiration. Pour mon quatrième album, je voulais faire l’expérience de l’adaptation. Je suis allé vers les contes traditionnels, la mythologie… Mais rien ne m’inspirait. C’est Anaïs Vaugelade qui, me connaissant un peu, m’a proposé de lire Les Enfants Tanner de Robert Walser. Elle est maligne, ce livre m’a tout de suite plu: ce jeu entre la ville et la nature, ce personnage qui sort de l’enfance, qui cherche sa place dans la vie active… L’univers me parlait et l’on était encore dans une quête initiatique… Voilà, j’avais ma trame. Au départ, j’ai pensé Simon plus comme un ouvrage de la collection Mouche, d’une soixante de pages. Et je l’ai commencé dans cet esprit. Mais ce n’était pas abouti et j’ai retravaillé, redécoupé les scènes, produit un enjeu, un suspense narratif plus soutenu, plus fort, restant toujours dans la poésie. J’ai tenu compte du jeu de tableaux du roman de Walser, une scène d’intérieur (correspondant à la vie citadine), une scène d’extérieur (plus dans un élan poétique, plus contemplative) mais sans vouloir me rapprocher de la fable Rat des villes et Rat des champs, de cette opposition ville/campagne. Mais le story-board ne plaisait toujours pas… Je n’avais que des animaux anthropomorphes. Puis il y a eu le déclencheur: un vrai petit lapin dans un monde d’humains. Du coup cela a donné un contraste, un monde parallèle où les lapins vivraient en société avec les hommes.




Simon est-il un descendant de Seigneur Lapin?
  Pour cette adaptation, ce jeu avec l’espace, il me fallait un animal petit, chétif, mignon. Très rapidement le lapin m’a semblé l’animal le plus évident. Et dans mon esprit, cette quête avec un jeu sur la couleur dans les doubles pages signifie le temps qui passe, un jeu sur l’enchaînement de mondes, effectivement comme dans Seigneur Lapin. Cela m’amuse de penser que Simon peut être un descendant de Seigneur Lapin et de sa quête héroïque. Tous mes albums sont d’ailleurs conçus comme une quête initiatique. Les personnages ne savent pas quoi faire de leur vie mais s’appliquent, s’efforcent, veulent apprendre. Ce sont des personnages qui font tous à un moment donné une démarche volontaire pour sortir de leur territoire, appréhender le monde et en ressortir grandis. Les Gazzi descendent à l’étage du dessous, Seigneur Lapin quitte son château, Cousa la maison de grand-mère, Simon la ville. Ils sont «valorisés» pour avoir affronté les peurs de l’extérieur.


Dans Zélie et les Gazzi tu évoques d’une jolie façon l’importance de la lecture. Selon toi, de quoi les enfants ont-ils besoin pour se construire et grandir? Quelle est ta conception de l’enfance?
  À la naissance de mes idées, je suis purement égoïste, je ne me pose pas la question de l’enfance. J’ai surtout envie de provoquer du plaisir. Je veux des héros pour qui j’ai de la tendresse et de l’affection. Mes dessins retranscrivent ensuite la façon dont je voudrais raconter cette histoire aux enfants. Et je ne vais pas border mes images de fleurs, d’arc-en- ciel et de poneys magiques! L’enfant n’est pas un être mièvre, c’est une personne réfléchie avec son caractère, ses goûts. Je pense mes albums avec les valeurs qui me touchent et que je veux transmettre: allez-y les enfants, faites les choses même si vous avez peur, plus vous essayerez, plus vous en sortirez grandis. Il faut tout accueillir, même de mauvaises expériences!


As-tu un recul sur ton travail après tes quatre albums?
  Je me suis surtout affirmé en tant qu’auteur/illustrateur. Je trouve une légitimité, une confiance en moi que je n’avais pas auparavant. La sortie de Simon sur les rails, sur lequel j’ai travaillé un an, m’a permis de comprendre bien mieux où je veux aller et ce que je veux faire en littérature jeunesse. Simon m’a réellement donné cette assise, c’est le premier livre où j’ai relu et exploité mon travail. J’ai tenté l’expérience d’avoir comme références le jeu de mes livres. Avec Simon, je voulais approfondir mon travail, j’ai écrit et réécrit plusieurs scenarii, un véritable exercice de style pour moi. Je pense peut-être avoir terminé un cycle, une boucle avec Simon.


As-tu un nouveau projet?
  Bon… Ne te moque pas mais j’aimerais bien faire un album d’action gratuite, avec un vrai méchant. Je dois cependant trouver la brèche pour que le livre ne soit pas bête et creux. Faire de ce genre quelque chose d’intelligent. Je le mûris tout doucement: un héros, un méchant, de l’explosion, du pistolet laser, du robot… Comme quand tu es garçon et que tes bonshommes tu les tapes les uns sur les autres. Je voudrais inscrire ce genre, un vrai livre de garçons qui plairait aux filles!


Propos recueillis par Rachel Dionnet, librairie Libr’enfant de Tours


Une autre interview d’Adien Albert par la librairie Croquelinottes de Saint Etienne à lire ici