Une planche inédite de la BD Étoile de Rascal et Peter Elliott, parue en 2005 chez Delcourt

Étoile, Le Petit Cirque (Delcourt – 2005). Page 14 bis non parue parce qu’au final «elle entrait mal dans le découpage de l’album» (Peter Elliott)

Une BD pleine de tendresse, d’humour et de poésie à l’image de ses deux papas. Nous les avons rencontrés pour partager avec vous un peu de leur magie…

Avant de parler d’Étoile avec vous, je voudrais retracer brièvement quelques étapes de votre vie. Ma première question concernera donc l’enfance. Quel était votre rapport aux histoires à cette époque ?
Rascal : Tout petit déjà j’adorais les histoires. Vers 3 ou 4 ans, je me souviens avoir réussi à enchaîner trois séances consécutives de « Blanche-Neige » au cinéma. Ma mère a dit : « Le cinéma, plus jamais ! » J’aurais adoré vivre enfant à l’époque des DVD !
Peter Elliott : Moi, j’avais un oncle qui travaillait chez Disney. Dans son bureau, il y avait une grande pièce remplie de tiroirs contenant tous les modèles. J’y passais des heures. Mon père raconte aussi que quand on roulait le soir en voiture, j’imaginais ce que faisaient les gens dans leurs appartements. Je leur inventais des tas d’histoires.

Après, si je ne me trompe pas, une scolarité quelque peu mouvementée, arrive le moment du choix de vie. Écrire pour les enfants, était-ce une évidence dès le départ ?
Rascal : C’est arrivé par hasard… Pour mes 30 ans, j’ai reçu Les trois brigands de Tomi Ungerer et cela a été une révélation. Il y avait un véritable travail de graphiste auquel s’ajoutait de l’émotion. Jusque-là, je faisais des affiches de théâtre. Très vite, j’ai été fasciné par le processus de création, ces choses dont on n’a pas conscience et que l’on jette sur le papier.
Peter Elliott : À l’école, c’était la catastrophe. Mon père m’a donc proposé de finir mes humanités à Saint-Luc. Là, j’ai suivi un atelier d’illustrations de livres pour enfants. Le professeur a pris un rendez-vous pour moi chez Pastel. J’ai proposé un projet à Christiane Germain, la directrice. Elle aimait le dessin, moins l’histoire qu’elle m’a fait retravailler avec Claire Masurel. Mon premier livre est né : Sacha perd tout.
Rascal : Pour moi, cela n’a pas été si facile. Je voulais aller à l’École des Loisirs, puisqu’il était l’éditeur de Tomi Ungerer. J’ai donc rencontré Christiane Germain qui, après de nombreux rendez-vous, a fini par me donner ma chance. Elle fait un vrai travail d’éditeur en accompagnant les auteurs et illustrateurs. Au début, j’ai énormément publié pour me faire une place !

Vous avez plusieurs albums en commun, tous parus chez Pastel : Poussin noir, C’est l’histoire d’un loup et d’un cochon et Barbedure, comment est née cette collaboration ?
Rascal : Nous nous sommes rencontrés à une fête organisée par Pastel. Dans ce genre de fête, il y a ceux qui boivent du jus et rentrent tôt, et les autres. Nous étions parmi les derniers. Nous connaissions le travail de l’autre et nous avons décidé ce soir-là de travailler ensemble sur un projet. De là est né Poussin noir, un livre raciste d’après certains, paraît-il…

Quand on parcourt ton travail, Rascal, on est frappé par ton insatiable curiosité. Tous les styles, toutes les formes t’intéressent: les albums tout carton comme Mon doudou, les contes classiques, les albums thématiques comme C’est un papa, depuis peu le roman avec Les quatre saisons de Rose, sans compter le définitivement inclassables et très beau Au point du cœur. Sortira prochainement un livre CD et maintenant une bande dessinée. Alors, pour Étoile, quel a été est le point de départ: l’histoire ou un nouveau genre à explorer?

Rascal : Le genre. On avait envie de faire une bande dessinée ensemble. On a d’abord cherché un thème qui nous plaisait.

Peter Elliott : Je venais de voir le film « Freaks » de Tod Browning qui se passe dans un cirque avec une panoplie de personnages étranges. Le cirque nous semblait être un thème riche, un monde en soi qui permettait l’existence de personnages mystérieux, décalés.

Rascal : Une sorte de grosse casserole dans laquelle on mettrait tout ce que l’on aime. Une fois le thème trouvé, j’ai fait une galerie de personnages. Avec mes enfants, j’avais été plusieurs fois au Musée d’histoire naturelle de Mons, un vieux musée poussiéreux dans lequel il y avait la dépouille d’un géant appelé Constantinus, qui a inspiré le personnage de Constantin. Je suis fasciné par les tatouages, d’où l’homme tatoué. Pour Étoile, je voulais un garçon. J’ai pensé à la phrase de Jules Renard : Tout le monde n’a pas la chance de naître orphelin et je me suis dit que si Étoile était orphelin, cela me laissait plus libre et m’évitait pas mal de justifications. Étoile vit au milieu de tous ses papas et ses mamans, comme si chacun était l’une des facettes d’un seul personnage. Zingaro est un peu différent. Il est rapidement devenu un personnage plus complexe, le personnage gris au milieu du noir et blanc. Il permet un autre ton, il permet d’élargir l’horizon.

Peter Elliott: J’ai commencé à travailler sur les personnages à partir de cette liste. Au départ, chaque personnage était représenté par une forme géométrique: un rond pour Étoile, un cœur pour Rose, un ovale pour Zingaro et ainsi de suite. Cela me permettait de les travailler sous tous les angles.

Rascal: Ensuite, j’ai écrit le synopsis. Peter réagissait au fur et à mesure. Enfin, on est passé au découpage. C’est un énorme travail qui nous a pris deux ans. Thierry Joor qui travaille chez Delcourt nous a beaucoup aidés au début.

Revenons-en à l’histoire. À 6 ans, Étoile entre à l’école. On y apprend le français et les mathématiques mais aussi la cuisine, la pêche, la philosophie, l’humour et l’art de la sieste!

Peter Elliott: Tout ce que l’on aurait aimé faire à l’école ! Étoile porte autour du cou, une demi-étoile magique, d’où son nom. Le livre se termine d’ailleurs par de la magie qui, sans le vouloir, rendra la parole à Constantin. D’où vient cette étoile magique?

Rascal: Personne ne le sait. Même pas moi. Quand on écrit, il y a une part de mystère, et c’est très bien comme cela. Au départ, elle devait lui permettre de faire des tours de cirque extraordinaires mais je me suis vite rendu compte que c’était complètement idiot. Dans le deuxième tome, il va d’ailleurs la perdre et perdre donc tout lien avec le passé.

Le deuxième tome est donc en route (article publié en 2005, ndlr)?

Rascal: C’est la politique des éditions Delcourt: faire des séries. Ils s’engagent pour trois tomes en général. C’est très gai car cela permet de s’attacher aux personnages, de créer des univers très riches. Beaucoup plus que dans un album. Dans le deuxième tome, on quitte un peu l’univers du cirque pour celui des contes. Quant au troisième tome, j’aimerais le consacrer à Constantin, à sa vie avant l’arrivée d’Étoile. Pourquoi a-t-il perdu la parole? D’où vient-il?

Rascal dit qu’il ne pense jamais à ceux qui liront ses livres. Il les destine à l’enfant qu’il a été. Est-ce aussi ton cas, Peter?

Peter Elliott: Pour moi, ce qui est important, c’est mon propre plaisir. Je ne pense jamais, moi non plus, aux lecteurs. J’aime travailler avec Rascal car ses livres s’adressent à tous les âges. Cela m’énerve quand on essaye de classer les livres par tranches d’âges. Chacun y trouve ce qu’il veut. Pour Étoile, par exemple, ma fille qui avait à l’époque quatre ans, a voulu que je lui imprime en grand la page représentant toutes les roulottes et Étoile passant ses nuits de l’une à l’autre. Zingaro dit : «Lorsqu’il ne dort pas ici, le petit me manque, monsieur Bulle. Je compte les jours, les heures, et si ce n’était pas si compliqué, je compterais chaque seconde ! Croyez-vous qu’il m’aime?» C’était au moment de ma séparation avec sa maman et c’était pour elle un moment très important du livre. D’autres prendront d’autres choses. À chacun son histoire.

Rascal: Michel Simon a dit : «Il faut être médiocre pour plaire à tout le monde».

Propos recueillis par Muriel Limbosch (un article publié dans Citrouille en 2005)