«Une polynie est un espace d’eau libre dans la banquise qui doit sa liberté au vent.» Une interview de Cholé Mary, directrice de la collection Polynie des éditions MeMo

  • Publication publiée :25 mars 2018
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ANNIE FALZINI: Une collection de romans chez MeMo, éditeur d’albums, c’est inattendu… Comment est née cette idée de Polynies, sur une demande, une rencontre? [blog de la collection ici]
CHLOÉ MARY: L’inattendu que vous évoquez est certainement le terme qui nous guide et qui, seul, circonscrit les territoires de Petite Polynie, Polynie et Grande Polynie. Les éditions MeMo avaient le souhait d’ouvrir le temps de la lecture, d’accompagner, encore, les lecteurs de leurs albums, et nous nous sommes rencontrés autour d’une passion pour la création, la connaissance intime des images de Christine Morault et Yves Mestrallet, mon goût pour le texte et ses recherches. Dans cette irruption d’un commencement, des auteurs ont rejoint l’aventure avec le même désir d’imprévisible et de sentiments intenses, littéraires et artistiques. C’est ce qui nous lie, cette volonté d’un coin, portes ouvertes aux auteurs et illustrateurs, couloir à courant d’air ou trou dans la glace, où l’on peut devenir autre, en aventures. L’émerveillement et la possibilité d’en faire une expérience, l’expérience du langage, rien n’est plus inattendu.
ANNIE FALZINI: Parlez-nous un peu de ces Polynies, qu’allons-nous y lire dans les prochains mois?
CHLOÉ MARY: Une polynie est un espace d’eau libre dans la banquise, qui doit sa liberté au vent. Les vents littéraires, les voix mobiles des auteurs y cherchent à emporter et bousculer, troubler et faire réfléchir, révéler, déstabiliser. Les deux premiers titres, Truffe et Machin d’Émile Cucherousset et son invention d’une société de fraternité ou plutôt d’une quête incessante de fraternité sur des modes drôles et impétueux, sur le vif, et La petite épopée des pions d’Audren, récit sur la société disciplinaire où le bois d’un pion devient matière humaine et vivante grâce à la force de la narration, seront accompagnés en mars d’un roman d’exil de Sigrid Baffert, La marche du baoyé, autour d’une famille de fermiers Manké contraints de fuir au coeur d’un désert rouge hanté par la mort et les respirations de la vie. En mai paraîtra Vendredi ou les autres jours de Gilles Barraqué, comédie sous la forme d’un jeu littéraire à plusieurs focales entre Robinson et Vendredi occupés à garantir joyeusement sur leur île déserte leur solitude camarade. Ces deux derniers textes posent en creux la question du bouffer-être bouffé, de l’être au monde, ces romans ont tous un grain, le grain de leur voix personnelle ardente, le grain de la dissension, mot qui frotte et accroche, bifurcation et désobéissance, contestation. C’est ce qui me plait chez eux, ils n’ont pas dompté leur langage. Ils prennent aux mots, sans délaisser leurs résonnances secrètes et leurs racines, les ombres et les fuites. Ils créent, fabriquent leurs agencements. Ils dilatent l’air et sa mémoire. Ils inventent des formes.
ANNIE FALZINI: Pour Petite Polynie, l’illustration est très importante et, esthétiquement, la collection est belle. La démarche sera-t-elle la même pour les autres Polynies?
CHLOÉ MARY: L’illustration a une place particulière dans les trois collections, plus encore dans Petite Polynie et Polynie; elle répond à ce désir d’aventure romanesque. Elle n’est pas sérieuse à divers titres: abondante et exubérante, sauvage et détonante, drôlement fantaisiste et se moquant du principe du raisonnable. En Polynie, en mars et mai, les peintures de Léonore et Adrienne Sabrier poursuivront, sous l’oeil du rêve, les fantômes du texte de Sigrid Baffert en un redoublement troublant, et Hélène Rajcak inventera une ponctuation ludique, à indices, dans Vendredi ou les autres jours. Ces compagnonnages artistiques compléteront ainsi le travail de Camille Jourdy dans Truffe et Machin, qui a tissé des liens serrés, imaginatifs, entre texte et illustrations. C’est une réserve de surprises, de détails, à chercher dans la page, d’interrogations au sein de vastes tableaux – la représentation du père est entre autres un jeu de piste –, une miniaturisation et un agrandissement permanents en cette balade qui fait et défait l’espace. Cédric Philippe, lui, a voyagé à l’intérieur du texte d’Audren, La petite épopée des pions, au point même de proposer un parcours souterrain, inattendu, avec cette histoire dans l’histoire. Le récit est soudain comme suspendu et l’illustration poursuit la phrase, offre sa propre grammaire et syntaxe, sa poétique, embarque littéralement; il s’agit d’une illustration des possibles propres à la rencontre artistique. Ces premiers romans illustrés sont totalement dissemblables et singuliers dans leurs styles d’écriture et d’illustration, et pourtant ils se répondent en tant qu’habitants de l’imaginaire et du langage.
Propos recueillis par Annie Falzini, Librairie Sorcière L’Oiseau Lire à Évreux

Blog de la collection :

http://nouvellesdepolynies.blogspot.fr/