Utilité des romans pour amuser l’âge et donner le goût des lectures (conseils datés de… 1735 !)

  • Publication publiée :7 avril 2014
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De l’usage des romans : où l’on fait voir leur utilité et leurs différents caractères

Extrait d’un ouvrage de Nicolas de Lenglet Du Fresnoy, daté de 1735  (consultable et téléchargeable à partir de la base de données textuelles Frantext réalisée par l’Institut National de la Langue Française (INaLF).

CHAPITRE 5 – Utilité des romans pour amuser l’âge et donner le goût des lectures. «(…) Une des choses les plus difficiles que je connoisse est d’amuser utilement la jeunesse des personnes de condition, et de leur donner le goût des lectures : car pour les autres on en vient aisément à bout. Fatiguées par des études gênantes, dont le désagrément est augmenté par le peu de talent de ceux à qui l’on confie leur instruction, elles ne peuvent souffrir un livre dès que le moment de leur exercice est fini, ou quand elles ne sont plus sous le joug d’un impitoyable précepteur. (…) La plûpart craignent si fort de trouver des livres pareils à ceux qui les ont rebuté dans la jeunesse, qu’elles ne connoissent pas d’autre moyen d’éviter ce nouveau piége, que d’abandonner entiérement la lecture. Cela me fait souvenir de ce qui est arrivé à un grand prince l’honneur de la France par sa respectueuse soumission pour le roi son père, par la bonté toujours égale de son caractere, la douceur liante de ses moeurs, son atachement sincere pour ses amis, sa tendre compassion pour ses inferieurs. Dès qu’il fut marié en 1680 il ne pût s’empêcher de s’écrier avec joye Oh ! Nous allons voir à present si Mr Huet voudra m’obliger encore à étudier l’ancienne géographie. Et l’on peut avoüer que depuis qu’il fut sorti des mains de ses précepteurs, un livre le rebutoit, tant on avoit fatigué sa jeunesse docile et soumise, par des études dégoûtantes et peu conformes à son auguste naissance. Je riois malignement un jour de voir que la saillie ingenuë, mais prudente de ce prince avoit tellement frapé M Huet, qu’au bout de quarante ans il en conservoit encore le ressentiment et l’aigreur jusqu’à s’en mettre en colere. Si l’on avoit eu soin de manier sagement et adroitement son esprit par une agréable et utile variété de lectures, tantôt instructives, tantôt amusantes, on lui auroit conservé ce goût si nécessaire aux personnes de son rang. La verité vivante et organisée redoute souvent de se presenter à eux ; et peut être seroient-ils ravis de la trouver dans un livre. Alors s’ils en rougissoient, la honte leur en seroit salutaire et ne feroit tort à personne. Ils auroient le tems de la digerer, de la meurir, et même de l’embrasser ; (…)

Base textuelle FRANTEXT, ATILF – CNRS & Université de Lorraine. http://www.frantext.fr