Xavier-Laurent Petit, Prix Sorcières Romans Ados 2017 : «J’ai voulu que mon personnage soit en décalage complet avec nos à priori.»

Xavier-Laurent Petit

ANNE PONTÉ: Comment vous est venue l’idée de ce roman (dont, pour l’anecdote, la thématique rejoint tout à fait celle de Maman, j’ai peur, un roman de Jean-Paul Nozière paru également chez Thierry Magnier en 2016)?
XAVIER-LAURENT PETIT: Il y a deux points de départ à ce livre, et qui n’ont pas de rapports entre eux. Le premier est que, tout simplement, en tant que rédacteur du site de l’école des loisirs, je suis amené à venir de temps à autre à Paris. J’ai croisé à plusieurs reprises, du côté du Faubourg-Saint-Antoine, un groupe (une famille?) de Roms vivant en plein hiver dans la rue. J’ai ressenti le malaise que l’on ressent tous plus ou moins lorsque l’on passe devant ces groupes d’adultes, de jeunes, d’enfants dont on ne sait ni de quoi, ni comment ils vivent (mendicité, vols, chapardages…?) mais dont la présence est devenue presque habituelle au sein de nos villes qui, le plus souvent, les acceptent mal. Le deuxième point est l’histoire singulière de Fahim Mohammad, enfant sans papiers, fils d’immigré clandestin, réfugié du Bangladesh, et surdoué du jeu d’échecs. Sans papiers, il ne pouvait pas participer à des tournois officiels. Interpellé sur son cas en 2012, le cabinet du premier ministre de l’époque (François Fillon)  va accélérer sa régularisation, celle de son père, et leur éviter l’expulsion. Fahim peut alors participer à des tournois, il deviendra champion de France junior, représentant tricolore au championnat d’Europe d’échec et champion de France pupille en titre. Pour avoir assisté à quelques tournois d’échecs junior, je me suis aperçu que personne ne s’étonnait que de jeunes joueurs d’origine asiatique (Chine, Japon, Inde…) s’avèrent être des joueurs hors normes, comme s’ils avaient ça «dans la peau». J’ai voulu que mon personnage de Cyprian soit l’un de ces joueurs… mais d’origine Rom, c’est à dire en décalage complet avec nos à priori et les codes auxquels on est habitué. Tout se passe alors comme s’il n’était pas à sa place. C’est son destin singulier que j’ai voulu raconter.

Votre roman, comme les précédents,  Be safe ou Mon petit cœur imbécile par exemple ne sont pas géographiquement situés…

J’ai pensé à la Roumanie, pays dans lequel j’ai voyagé récemment. Une part de la population Rom est originaire de là-bas, et donc certainement Cyprian. Mais en effet, c’est une constante chez moi de ne pas situer trop précisément la trame de mes intrigues, ce qui me laisse une grande liberté d’écriture. En revanche, dans celui-ci on reconnaît bien Paris et, pour tout ce qui est éléments réalistes comme la lettre  de protection de Sigsimond 1er à ces populations, ce sont des faits historiques. Les filières mafieuses de passeurs existent vraiment aussi, je n’ai pas inventé grand chose à leur sujet… Le nombre de personnes tombant sous leur coupe est malheureusement suffisamment important pour en faire un trafic juteux auquel la mafia s’intéresse.

C’est la troisième fois que vous êtes Lauréat d’un Prix Sorcières, après ceux décernés à Colorbelle-Ébène et  Be safe.
Oui, et c’est une reconnaissance qui compte pour moi. D’ailleurs en ce moment, question prix, je suis comblé, puisque Le fils de l’Ursari vient également de recevoir le Grand Prix SGDL (Société des Gens De Lettres) en jeunesse…
Propos recueillis par Anne Ponté, Bibliothécaire Sorcière, Réseau des médiathèques de Drancy


Les Ursari sont des Rom, capables de battre des ours et de les dompter. Ils se produisent sur les places de villages de l’Europe de l’Est. Ciprian et sa famille sillonnent ainsi les routes avec leur ours jusqu’au jour où leur antique voiture refuse de démarrer. Les ennuis se multiplient: ils sont harcelés par la police, rejetés par les habitants et deux mafieux leur intiment de fuir à Paris, là où l’argent coule à flot. La famille se retrouve embarquée avec d’autres dans un camion et aboutit dans un bidonville. La vie y est difficile. Ils sont pauvres, clandestins, sous la coupe d’escrocs. Chacun doit s’employer tous les jours (vols, chapardages, mendicité) à trouver les «zorros» pour survivre et rembourser la dette astronomique contractée lors du passage. Au cours de ses périples dans le «aireu haire», Ciprian découvre Paris, ses habitants, ses monuments mais c’est au jardin du Luxembourg qu’il a une révélation en contemplant, fasciné, les joueurs d’un jeu étrange fait de pièces blanches et noires.  Par cette passion soudaine pour les échecs et des rencontres heureuses, sa vie et celle de sa famille va prendre un autre cours… Xavier-Laurent Petit nous offre par son écriture tout en nuance et sensibilité, une fable pleine d’humanité qui change notre point de vue sur le monde qui nous entoure et sur ces êtres que l’on croise sans les voir.