Après La volte en 2014, les éditions Talents Hauts publient un nouveau roman de Yann Fastier, Le renard et la couronne. Quatre ans de travail et plus de cinq cents pages pour cette épopée qui parcourt l’Europe d’est en ouest (et retour!). Maryse Guimbard (librairie Rêv’en Pages) a rencontré l’auteur.
MARYSE GUIMBARD: Nous te connaissons surtout pour tes albums pour les plus jeunes, nous connaissons moins tes autres activités et passions… Auteur d’albums jeunesse (à L’atelier du poisson soluble notamment), mais aussi bibliothécaire, critique et éditeur (éditions On verra bien), tu viens de faire paraître Le renard et la couronne, un roman ado. Comment est né ce roman? Tu m’as dit que tu avais mis quatre ans pour l’écrire…
YANN FASTIER: Je n’ai pas fait que ça pendant quatre ans! Comme tu le soulignais, j’ai de multiples activités qui m’obligent à une certaine lenteur… Mais les éditrices sont patientes, à Talents Hauts, et elles ont bien voulu jouer le jeu d’un roman qu’elles découvraient à la manière d’un feuilleton, chapitre après chapitre. Je tiens d’ailleurs à souligner la qualité de leur relecture, qui m’a permis de considérablement améliorer l’ensemble, je pense. Je n’étais pas très satisfait de certains aspects de La volte, que j’avais écrit un peu «au fil de la plume». J’ai voulu corriger ces défauts avec Le renard… qui est beaucoup plus maîtrisé dans sa composition. Après, savoir comment est né le roman… Je crois que c’est toujours pareil, qu’il s’agissait avant tout de me raconter une histoire, comme je pouvais le faire gamin, avant de m’endormir. Une histoire qui me plaise à moi, tout en essayant par tous les moyens de la rendre aussi intéressante pour les autres! C’est un peu le principe du travail d’écrivain…
Tu te revendiques clairement de grands noms du roman populaire: Michel Zevaco, Paul Féval ou Maurice Leblanc, mais aussi Madeleine Brent, alias Peter O’Donnell. Comment te situerais-tu par rapport à ce type de littérature?
Le renard et la couronne se veut essentiellement un hommage personnel au roman populaire. Ce n’est en aucun cas une parodie, même s’il comporte des éléments parodiques. J’aime énormément le roman populaire, j’ai toujours baigné dedans, j’ai lu tous les Bob Morane! Je n’ai pas d’énormes ambitions «littéraires» et j’aurais tendance à donner tout Faulkner pour un seul tome des Habits noirs de Paul Féval. En ce sens, Le renard est une déclaration d’amour inconditionnel au genre, duquel je me suis efforcé de toujours respecter les cadres, jusqu’au cliché s’il le faut. Avec une prédilection pour Peter O’Donnell qui, outre ses Modesty Blaise (dont je suis un fan absolu) a écrit sous le nom de Madeleine Brent une dizaine de gothic novels parfaitement géniaux dont j’ai quasiment calqué la structure, elle-même héritée de Cendrillon, pour mon propre roman. Du fait de ces stéréotypes, on a souvent fait du roman populaire une sorte de véhicule pour les idées les plus réactionnaires. C’est sûrement vrai pour SAS ou pour les Delly mais ça n’a absolument aucune nécessité. Zevaco, par exemple, était un anarchiste convaincu et ses Pardaillan sont parsemés de piques contre les puissants de ce monde. Le Commander de Georges J. Arnaud est à ce titre tout à fait passionnant, l’une des rares séries d’espionnage de gauche! Après, mes sources d’inspiration sont multiples. Je suis un lecteur boulimique et je passe sans état d’âme de Jane Austen au manga, ou de Fantômette aux Liaisons dangereuses. Tout ça se retrouve, d’une façon ou d’une autre, dans Le renard et ailleurs, c’est inévitable. Pour résumer, je dirais que le roman populaire fournit avant tout des cadres, des structures qui sont un peu toujours les mêmes et pour lesquelles je garde énormément de tendresse et de respect, comme pour une vieille maison de famille. Même s’il y a évidemment des clins d’œil et du second degré dans tout ça, je m’identifie néanmoins à 100 % à mon héroïne, sans aucune restriction, jusque dans son orientation sexuelle. C’est peut-être l’aspect le plus «subversif» du roman: les deux héroïnes s’aiment et tout le monde trouve ça très naturel. Ce n’est même pas le sujet du livre, c’est un à-côté mais c’était important pour moi. Une façon de montrer que l’on pouvait faire «évoluer» le roman populaire tout en lui restant complètement fidèle.
Ton roman a reçu un excellent accueil par la critique, il est déjà en réimpression, mais je sais aussi que tu travailles sur un album un peu particulier, peux-tu nous en parler?
Zapata est vivant! paraîtra en novembre à L’atelier du poisson soluble. Dans le prolongement de Guingouin, un chef du maquis, je voulais explorer une autre grande figure de rebelle dans l’Histoire. Ce n’est toutefois plus un documentaire mais un véritable album, qui se veut un hymne à la Liberté et à cet increvable esprit de justice qui, pour s’être brièvement incarné dans la figure irréductible d’un Zapata lors de la Révolution mexicaine de 1910, ne cesse de renaître de ses cendres, et en particulier chez les Indiens du Chiapas, qui, depuis une vingtaine d’années, se revendiquent ouvertement de lui. Bien que le sujet puisse paraître au premier abord un peu trop «politique» pour satisfaire aux exigences de ce qu’il est convenu d’appeler la «littérature jeunesse» cela reste avant tout pour moi un album pour enfants, en ce qu’il fait appel à l’un des sentiments les mieux ancrés chez ces derniers: celui de la justice. D’aucuns y verront peut-être un simple tract. J’y vois – et mon éditeur aussi, je crois – un appel à la résistance dans un monde un peu désespérant et un pied de nez à tous ceux qui voudraient exclure les enfants du champ politique, quand ils en sont l’un des enjeux majeurs et parmi les premières victimes!
Bon, à part ça, je travaille également d’ores et déjà sur un autre roman pour Talents Hauts. C’est un roman historique, qui aura pour cadre la conquête coloniale du Dahomey, défendu par ses fameuses «amazones»! Mais je n’en dis pas plus…
Propos recueillis par Maryse Guimbard, Librairie Sorcière Rêv’en Pages à Limoges
Après un premier roman, La volte, sorti en 2014, Talents Hauts publie un nouveau texte de Yann Fastier. Quatre ans de travail et plus de cinq cents pages pour cette épopée qui parcourt l’Europe d’Est en Ouest… Croatie, fin du XIXe siècle. On découvre Ana, dix ans, qui vit heureuse avec sa grand-mère dans une modeste maison, une grand-mère qui lui apprend le français. Devenue orpheline, elle se retrouve sur les routes du pays et rejoint une bande d’enfants des rues conduite par Dunja, chef respectée et crainte. Mais Ana sait lire et écrire: une amitié naît entre les deux filles, ce qui provoque des rivalités au sein du groupe. Anna doit fuir. Elle rencontre M. Roland, un naturaliste français «vieux et doux» qui lui propose de venir en France avec lui. Et c’est le début d’une période heureuse. Mais dix ans plus tard, Dunja réapparaît, elle a un secret à lui révéler… Nous suivons Ana dans ses aventures les plus incroyables, de la prison de St-Lazare au Palais d’un petit royaume perdu, Draïna. Ana court à travers l’Europe, échappant chaque fois à un destin tracé par d’autres… jusqu’à prendre sa vie en main! — Librairie Rêv’en Pages