À la source de Madeline : Une clé cachée quelque part

  • Publication publiée :16 juillet 2017
  • Post category:Archives

© Stéphane Servant

L‘histoire commence en 2007, l’année où Stéphane Servant publie ses trois premiers albums. De nombreux autres suivront, et beaucoup des mots qu’il a écrit font partie de ceux que je relis souvent. Parce que, sans doute, il doit y avoir une clé cachée quelque part. Et je me dis que ça devrait faire ça tout le temps, d’ailleurs, la lecture. Ce sentiment – une fois que l’on a refermé le livre – qui est comme une attente, un temps suspendu où viendraient s’accrocher les rêves, les silences et… les questions. Vous lisez Ti Poucet, vous relisez Envolée, vous re-relisez Le Masque, vous n’avez aucune certitude – et c’est plutôt bien: vous avez plein de questions.

Juillet 2012, j’embrasserais presque le facteur (et vous ne l’avez jamais vu, le facteur, mais j’en connais qui vont rire), et à l’heure du déjeuner, je cours me réfugier chez Charly avec un manuscrit sous le bras. Ça s’appelle Le Cœur des louves. Le Rouergue le publiera en 2013. Et moi – nananère – je le lis déjà. Les deux premières pages, je pleure. Chez Charly, c’est blanc, rose et vert – vert pomme, rose bonbon – et le texte de Stéphane Servant que je lis, il commence avec la nuit, avec la boue, le noir, le feu, la cendre. Tout en haut de la troisième page, il est écrit: «Les histoires, c’est ça le problème, les histoires».

Dans Le Cœur des louves, vous êtes dans la lumière et puis d’une ligne à l’autre dans la nuit noire, dans la forêt, dans le village, vous marchez avec Célia dans l’espoir de l’aube, du lendemain, et d’un instant à l’autre, elle vous ramène à Tina, au passé. Quand je demande à Stéphane d’où vient cette histoire-fleuve (oui je sais, je suis nulle en question, je dis: «tu l’as inventée?»), il répond que rien n’est jamais complètement inventé. Quand j’essaie d’opposer ses albums et ses romans, en bafouillant parce qu’au moment d’argumenter, je sens bien que c’est n’importe quoi (je lui dis que les albums seraient dans le rire, la joie, le clair, quand les romans explorent les silences, le sombre), Stéphane dit que ses albums, comme ses romans, parlent de la même chose – enfin, il ajoute: «je voudrais qu’ils parlent de la même chose»: de la liberté. Des choix qui rendent plus ou moins libres. Que ce soit de façon humoristique, comme dans La Culotte du loup, ou plus intime, dans Le Masque. Il me dit que c’est juste l’angle qui change.

Il y a un très beau texte de Stéphane sur le site de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse. Un texte à clés (encore). Un poème qui commence comme ça: «J’ai dix ans. J’ai dix ans et j’habite sous un livre». Un portrait de lui qui parle des livres comme des terriers ou des phares, «pour se tenir le cœur un peu au chaud / blotti sous son toit d’enfance». Comme Stéphane y convoque la rue Mouffetard et la chocolaterie de Mr Wonka, hop, j’en profite pour lui poser une question que j’ai entendue la veille sur France Inter et que j’aime bien (je suis nulle en question), et là, Stéphane sèche. Je lui dis: pas grave, tu réfléchis et puis tu me dis. Quelques heures plus tard, il répond: «Le personnage de fiction avec lequel j’aurais aimé être ami??? Bon sang. Aucun.» Et encore un peu plus tard: «Il y en a bien dont j’ai été amoureux muet. Et encore. Pas tant que ça.» Et encore encore plus tard: «Si j’ai pu être amoureux de certains personnages, c’est peut-être que je suis tombé plus amoureux encore de certains auteurs.» J’ai essayé d’avoir des noms, mais sans succès. Même si j’ai bien quelques idées.

Stéphane dit que «l’écriture est un chemin, un chemin de montagne. Étroit et escarpé.» Et si moi je croyais aux livres comme aux pierres? Comme aux cairns que l’on croise sur ces chemins, qu’une personne a mis là avant vous, pour vous et pour les jours à venir? Moi je crois aux livres quand ils ont la vie en eux. Et quand, dans cette vie, il y a, un peu tout mélangés, les rires, l’enfance, demain, les doutes, les crafougna, la poésie, les loups sous le lit, et les louves. Et ces cadeaux, presque silencieux, dans les mots, et même – dans les silences, entre.

Madeline Roth (2012)