« Je lisais, et il éclatait de rire derrière la vitre» – Une interview d’OIivia Ruiz et Benjamin Lacombe

  • Publication publiée :24 juillet 2015
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 Benjamin Lacombe © MatthieuDortomb

L’album La Mélodie des tuyaux, c’est une histoire d’amour, mais pas seulement. C’est une histoire contre les préjugés. C’est une histoire de famille. C’est l’histoire d’une vie. Flamenco, fougue, guitares enflammées… Il n’aura pas fallu longtemps à Benjamin Lacombe pour trouver la conteuse idéale pour son conte: la belle Olivia Ruiz. Le temps d’un enregistrement la jeune femme a délaissé le chant pour donner de la voix au bénéfice de l’histoire. Résultat: un CD élaboré comme un véritable album musical, comme l’expliquent Olivia Ruiz et Benjamin Lacombe à Sabrina Khenfer (librairie Apostrophe).

SABRINA KHENFER: Comment en êtes-vous venus à travailler ensemble sur La Mélodie des tuyaux?
 

OLIVIA RUIZ: Je suis une grande fan du travail de Benjamin et de ses collègues de La Marelle, avec tout ce qui est dérivé de leur travail. C’est comme ça que je l’ai connu. C’est venu à ses petites oreilles et comme il était en train d’écrire La Mélodie des tuyaux, il m’a sollicitée pour faire la lecture. J’ai accepté tout de suite.

BENJAMIN LACOMBE: Le compagnon d’Olivia, Mathias Malzhieu (chanteur du groupe Dyonisos) a fait appel à moi pour travailler autour de son livre La Mécanique du coeur. Il m’avait alors confié que c’était Olivia qui lui avait parlé de moi parce qu’elle aimait mon travail. À la même époque je travaillais sur La Mélodie des tuyaux. Je lui ai donc proposé de me rejoindre sur ce projet. Elle a accepté, et c’était énorme pour moi car je suis fan depuis son premier album.

Olivia, est-ce que d’une manière générale vous êtes sensible à la littérature jeunesse et à l’illustration?

O. R.: Oui, énormément. C’est Roald Dahl qui m’a donné l’amour de la lecture quand j’étais petite. Aujourd’hui très régulièrement j’achète un bouquin des Chats Pelés (ndlr : Christian Olivier, Benoît Morel et Lionel Le Néouanic, musiciens des Têtes Raides et La Tordue.) Ce sont tellement de bons bouquins, qui conviennent à tous les âges du point de vue graphique et de l’histoire. C’est un peu le même type d’exercice que pour La Mélodie des tuyaux: il faut savoir s’adresser aux enfants.

C’est un exercice sans doute plus délicat qu’on ne le pense. Est-ce que vous avez eu des difficultés à un moment ou à un autre?

O. R.: Non, je n’ai pas eu de difficultés particulières. Benjamin était là pour me diriger par rapport au sens qu’il voulait donner à son histoire. Quand je lisais parfois je le voyais qui éclatait de rire de l’autre côté de la vitre. Alors je me disais «C’est bon, ça fonctionne!». De toute façon j’ai toujours adoré raconter des histoires. Je le faisais très souvent pour mon petit cousin. Et puis j’ai moi-même l’impression, quand je chante mes propres chansons, que je fais ce travail de conteuse.

B. L.: C’était la première fois qu’Olivia réalisait ce genre d’exercice et elle l’a donc abordé de manière très neuve. Ça ne ressemble pas au travail de conteur classique où les voix, les sons, sont un peu forcés, ce que je ne voulais pas. À la première prise c’était quasiment impeccable. Parfois je lui donnais une indication et le ton se transformait immédiatement. On sent que c’est une grande chanteuse qui maîtrise parfaitement l’outil de sa voix.

Je crois que l’un comme l’autre vous avez accordé une grande importance à la qualité du CD qui accompagne La Mélodie des tuyaux. Il a été réalisé presque comme un véritable album…

O. R.: Disons que je suis habituée à travailler avec un ingénieur du son en particulier, dans un endroit qui m’est familié et que j’aime: le Studio Acousti à Saint-Germain. Ça a été l’occasion de faire découvrir ce lieu et son équipe à Benjamin pour la réalisation du CD de La Mélodie

B. L.: Ce sont des gens qui ont travaillé, entre autres, sur les disques d’Olivia Ruiz… et qui ont une grande exigence du son. Parfois en lisant un texte on peut avaler une syllabe par exemple. L’ingénieur du son enlève un «R», en remet un autre ailleurs, rend l’ensemble propre… C’est marrant à regarder mais ça demande beaucoup de temps et de compétences. Pour le chant et la musique, c’est pareil: je ne pensais pas mais il y a des centaines de façons de chanter une chanson. Il a fallu que je donne toutes les directives en studio. C’était étonnant pour moi qui travaille le plus souvent tout seul et qui ne suis pas issu de ce milieu.

Il s’agissait d’ailleurs pour beaucoup de diriger des membres de votre entourage en ce qui concerne la musique et le chant?

B. L.: Oui en effet. Ça peut passer pour du «pistonnage familial»! Mais je les ai choisis parce qu’ils sont doués. La personne qui a composé la musique est mon beau-frère, Alexis. Il est auteur flamenco depuis très longtemps et l’histoire de La Mélodie des tuyaux, c’est un peu la sienne: ce petit garçon qui se révèle par la musique gitane. L’autre guitariste est un ami d’Alexis et je peux dire qu’ils sont parmi les meilleurs en France. Ils ont composé un opéra flamenco avec une reprise du Cid. Le petit gars qui chante, lui, c’est mon neveu Loris. Il est hallucinant. À onze ans il chante, il joue de la guitare, il fait partie d’un groupe d’enfants sur Canal J. Lui aussi c’est un peu le petit Alexandre de La Mélodie: c’est un petit artiste qui a du mal à rentrer dans le moule scolaire. Graphiquement c’est lui qui m’a inspiré pour dessiner mon petit héros.

Et vous Olivia, avez-vous donné des conseils à ce chanteur en herbe?

O. R.: Non pas du tout. On ne s’est pas rencontrés. L’histoire et la musique ont été faites séparément. Et puis c’était surtout le travail de Benjamin de le diriger. Moi je trouve ça charmant, je suis sûre que ça va beaucoup plaire aux enfants ce petit garçon qui chante, mais c’est très éloigné de mon univers musical.

Vous parliez du planning d’enregistrement. Est-ce que ça n’a pas été difficile de faire coïncider vos emplois du temps pour l’enregistrement de l’histoire?

B. L.: Ça a été le plus difficile! Olivia venait de sortir son album Miss Météores et elle était en période de promo intensive. Il fallait aussi prendre en compte qu’elle voulait travailler dans son studio habituel… Ça n’a pas été simple, mais on l’a fait et elle a finalement été très rapidement sur le projet.

O. R.: On a réussi à bloquer deux ou trois heures en studio et on l’a fait. Pour un projet de cette qualité, on trouve toujours le temps. Ça s’est fait dans la course, entre deux autres projets, mais je pense que l’ensemble est réussi. Je ne l’ai pas encore réécouté depuis que je l’ai reçu. J’ai un peu le trac! Je crois que je vais d’abord le tester sur les enfants de mon entourage!

Propos recueillis par Sabrina Khenfer, librairie Apostrophe (Chaumont) 2010

La Mélodie des Tuyaux – un livre-CD de Benjamin Lacombe aux éditions du Seuil – Date de parution : octobre 2009


C‘est l’histoire d’Alexandre. C’est une histoire d’amour. L’amour de la musique, l’amour de parents pour leur enfant, l’histoire d’un premier amour, du Grand Amour. Alexandre, le «bon à rien», est voué à un avenir qui ne le fait pas rêver. Comme tant d’autres avant lui, il travail- lera bientôt à l’usine de la ville. Cette usine grise dans la ville grise, qui rythme les jours de chacun de ses bruits poussifs et métalliques…

Tout semble défini, tracé, immuable… Et puis un matin, un cirque arrive en ville et fait parler les gens. Ces «gens- là» sont différents, sûrement des voyous, des voleurs! Alexandre lui, est fasciné. Il observe la caravane et ses habitants: des sœurs siamoises, des lilliputiens, un homme fort comme Hercule, des trapézistes, une petite fille sans bras ni jambes… et puis, il y a cette jeune fille, Ellena, tellement belle, qui va le sortir de sa cachette et lui faire découvrir son monde, ses couleurs, sa musique! Avec elle et sa famille, Alexandre va découvrir la musique gitane et voir sa vie bouleversée…

La Mélodie des tuyaux est un album à la fois à part et universel. Les illustrations de Benjamin Lacombe encore une fois époustouflantes, nous font des clins d’œil com- plices: là un hommage au magnifique album de François Roca et Fred Bernard Jésus Betz, là un rappel du mythique film Freaks et d’autres qui plairont aux ama- teurs du genre. Mais que l’on voie ces allusions ou non, l’histoire nous porte, nous transporte, dans un monde coloré, gai, chantant.

Sur le CD qui accompagne l’album, Olivia Ruiz nous raconte l’histoire d’Alexandre. Les chansons, interprétées par Loris Vallois (tellement belles que l’on croit les connaître depuis toujours) restent à trottiner dans nos têtes et l’on voudrait savoir jouer de la guitare pour les faire vivre à notre tour.

La Mélodie des tuyaux est une histoire d’amour, oui. Mais pas seulement. Cela parle de différence, de richesses, de partage, de musique, du destin sans la fatalité, de la quête de soi et de la quête des autres. C’est une histoire contre les préjugés. C’est une histoire de famille.

C’est l’histoire d’une vie.

Soizic Epinay, librairie Pages d’Encre à Amiens