» Mer et merveilles

Il y avait ce livre inspiré d’une histoire vraie qui me terrifiait, un gars tombait de son bateau et se débattait au milieu de l’océan pendant des jours. L’aventure se finissait bien? mais je lisais avec la certitude que moi, à la place du gars, j’aurais mal fini. Le souffle coupé, je pensais aux requins, je disais à ma maman : « Et les requins ? », parce que moi, à coup sûr, j’aurais eu un requin ou un truc dans le genre. Un calamar géant. Je n’ai pas dormi pendant une bonne partie de mon enfance à cause des calamars géants, il y en avait un faux qui faisait vrai à Paris à la Grande Galerie de l’Évolution, et la première fois que je l’ai vu, je me suis dit, c’est sûr, je vais tomber sur un truc comme ça, maintenant c’est sûr, un jour, ce sera fini. Et malgré la peur, la fascination, le rêve et mes lectures ont fini par faire du calamar géant mon animal préféré pendant au moins un an. Puis un jour, plus tard, j’ai lu que ce n’était pas sûr, qu’ils n’existaient peut-être pas vraiment et que, s’ils existaient, les chances d’en voir un étaient infimes, et que de toute façon, il n’y aurait jamais d’aquarium assez grand pour en élever un en captivité et le montrer aux gens. Je me rappelle mon désappointement, le rêve qui s’effondre, mon animal préféré qui n’existait finalement pas et une certitude : voilà, encore une chose que je ne vivrai jamais.

Je ne regrette aucune de mes lectures, aucune de mes peurs, aucun rêve échoué. J’ai aimé toutes ces merveilles de l’enfance, les trucs terrifiants cachés dans la mer et dans les livres. J’ai aimé grandir, comprendre, rire et parfois pleurer un peu. Prendre la mer et partir en livre. »

– Martin, librairie Le Neuf à Saint-Dié des Vosges –