Ce n’est pas le chef-d’oeuvre de l’année… mais j’aurais adoré qu’on me l’offre à quinze ans ! – par Véronique Benay, libraire Sorcière à Marseille)

  • Publication publiée :26 février 2018
  • Post category:Archives

Prosopagnosie (du grec prosopon, visage, et gnosia, reconnaissance), nom féminin: 1. Incapacité à mémoriser ou à reconnaître les visages des personnes familières, due en général à des lésions cérébrales. 2. Quand tout le monde vous est étranger.

Une pathologie assez grave, peu répandue et très handicapante dont souffre Jack.
Il a fait son diagnostic tout seul, en se rendant compte dès son plus jeune âge qu’il était incapable de reconnaître le visage de gens, mêmes des très proches, comme sa mère ou son petit frère.

Alors il compose, s’accroche à des signes distinctifs, des inflexions de voix et se met une pression de dingue toute la journée pour reconnaître ses potes ou sa petite amie.

«Toi tu peux prendre une photo mentale de quelqu’un et la garder en mémoire pour une prochaine fois. Alors que moi, si je prends ce cliché, il va directement à la corbeille. Là où il te faut une ou deux rencontres pour mémoriser quelqu’un, il m’en faudra une centaine… et peut-être même que je n’y arriverai jamais. C’est comme une sorte d’amnésie. Ou si tu essayais de distinguer les gens d’après leurs mains.»

Personne ne connaît son secret, sa maladie. Ni ses amis, ni ses profs, ni même ses parents. Au lycée, Jack s’est taillé une réputation de type populaire, plutôt cool et assez respecté. Toujours du côté des salauds tout de même, plutôt que des harcelés. Plutôt agresser et mordre le premier que risquer de se faire piéger et de dévoiler ses faiblesses.

Libby a à peu près le même âge que lui. Elle s’apprête à reprendre les cours après plus de trois ans d’absence. Trois longues années où elle a dû réapprendre à vivre sans sa mère, morte brutalement. Trois années de souffrance à se reconstruire moralement et physiquement après s’être réfugiée dans la nourriture sans jamais pouvoir s’arrêter, malgré les soins constants de son père, malgré les alertes des médecins.

«Vous avez sans doute entendu parler de moi. Vous avez dû voir la vidéo où les pompiers me sortent de chez moi. La dernière fois que j’ai vérifié, 6 345 981 personnes l’avaient regardée, il y a donc de fortes chances que vous en fassiez partie. Il y a trois ans, j’étais la plus grosse ado d’Amérique. A mon maximum, j’ai atteint les deux cent quatre-vingt seize kilos (…). Je n’ai pas toujours été grosse. Pour faire court: ma mère est morte, je suis devenue énorme.»

A force de travail et de courage, la jeune fille s’en est sortie. Elle est toujours grosse, certes, mais rien à voir avec ce qu’elle a été. Désormais elle peut sortir, bouger, s’habiller, danser même et reprendre sa vie là où elle l’avait laissée. Avec toujours cette trouille de flancher, de ne pas faire face aux regards des autres.

Jack et Libby vont se retrouver dans le même lycée, et par le biais d’un incident stupide que Jack va longtemps regretter, les deux jeunes gens vont se rapprocher, découvrir en eux la même rage et le même désespoir et dévoiler des choses qu’ils n’avaient jamais dites à personne.

Et vous savez quoi ? Ben y vont tomber amoureux ! (MAIS NON ?? DINGUE !!! ON S’Y ATTENDAIT PAS UN BRIN … MAIS OÙ VONT-ILS CHERCHER TOUT ÇA, LES AUTEURS ??!!)

Oui bon, la romance Harlequin on n’y échappera pas (garantie sans coucherie quand même, manquerait plus que ça).

Mais peu importe, parce que c’est chouette malgré tout. Les deux protagonistes sont bien campés, complexes et attachants. Le roman parle sans complaisance de l’obésité, du diktat de l’apparence physique tellement lourd à porter, surtout pour les jeunes filles.

Dans un schéma narratif somme toute assez classique, les deux personnages prennent tour à tour la parole dans ce copieux roman qui se lit comme ça, au fil des émotions de chacun, portés que nous sommes par la fureur de vivre de ces deux adolescents à fleur de peau, et leur désir de s’accepter tels qu’ils sont.

Ce n’est pas le dernier chef-d’oeuvre de l’année, vous l’aurez compris, un peu trop à l’eau de rose et un peu trop «à l’américaine» pour être tout à fait convaincant, mais un roman assez fort et remuant malgré tout, que j’aurais adoré qu’on m’offre à quinze ans.

Et puis «l’eau de rose» quand on y pense, c’est plutôt joli comme expression.