Sarah Cohen-Scali : «Mon premier lecteur (et juge) n’est autre que moi-même»

  • Publication publiée :22 juillet 2018
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Une interview – et un peu plus – par Gaëlle Barbosa, parue en 2013 sur le blog de la revue Citrouille.


1. Les prémisses – J’ai d’abord rencontré Sarah par mail. Au moment de l’annonce des prix Sorcières, il m’est apparu comme une évidence qu’il fallait lui donner la parole à propos de Max. Les auteurs jeunesse, fantômes des médias n’ont que peu de tribunes pour s’exprimer. Et puis j’étais agacée des quelques attaques que je lisais à propos de Max. Lorsque Gallimard m’a informée que Sarah attendait mes questions, j’ai été un peu prise de court car je n’avais jamais vraiment envisagé que mon idée se concrétiserait. Puis tout est allé très vite. Les questions ont somme toute jailli et les réponses de Sarah aussi. Longues et généreuses. Un vrai bonheur pour moi de voir que cette idée prenait une si jolie tournure.


Le Prix Sorcières du Roman Ado 2013 a été remis pour Max à Sara Cohen Scali lors de la fête du livre de Villeurbanne. J’ai eu pour cette occasion le privilège de rencontrer Sarah accompagnée de son ėditrice et Victor Dillinger l’attaché de presse de Gallimard jeunesse. Tous ont été charmants et d’une gratitude extrême à propos de l’article rédigé sur notre blog concernant Max et cette interview. Je me suis sentie bien trop importante tout d’un coup. Comme une journaliste qui ne l’est pas. Maintenant que ce nouveau site de l’ALSJ voit le jour,  je suis heureuse de vous livrer cet entretien ainsi que ce portrait de Sarah à cette occasion.

2. Le Portrait de Sarah Cohen-Scali – Difficile de rédiger le portrait d’une personne que l’on  connaît à peine, pourtant il y a des choses que je sais d’elle et qu’on ne trouve pas sur internet. Parce qu’on le sait souvent déjà et qu’il suffit d’un clic pour savoir où et quand est né un auteur et ce qu’il a fait de sa vie avant, je vous propose un portrait différent garanti zéro % wikipédia.
Sarah est très polie, elle ne parle pas comme Konrad, sauf peut-être quand elle est énervée mais ça, je ne l’ai pas vu.
Sarah ne fait pas de fautes d’orthographe dans ses mails.
Sarah n’aime pas beaucoup voyager en train mais elle est quand même venue chercher sa Sorcière à Villeurbanne.
Sarah aime partir bien à l’heure à la gare.
Sarah est généreuse, il n’y a qu’à voir la qualité et la longueur de ses réponses pour s’en apercevoir.
Sarah est patiente, elle peut attendre un hamburger-frites pendant une heure en écoutant de la musique forte au restaurant, sans broncher.
Sarah apprécie de parler de son travail aux adolescents et les visite dans leurs classes mais des fois elle est atterrée par le niveau de leurs interrogations.
Sarah est modeste.
Sarah doute.
Sarah met quand même des talons bien qu’elle soit grande, sans.
Sarah aime les boucles d’oreilles et la couleur grise (information sans vérification sérieuse, c’est juste une impression.)


3. Extraits de Max et interview de Sarah Cohen-Scali – Lorsqu’on m’a suggéré d’ajouter des extraits à cette interview j’ai trouvé que cela apporterait un plus. Puis il m’a fallu en choisir quelques uns… Pas facile vu que j’avais l’embarras du choix.
Par exemple :
«Et maintenant qu’il est minuit passé j’y vais.
Je sors !
Vite ! Le plus vite possible ! Je veux être le premier de notre Heim à naître le 20 avril. Dans les salles d’accouchement, j’ai déjà plusieurs rivaux potentiels. Il me faut les devanceŕ ne serait-ce que d’une seconde.
Encouragez-moi !
Pensez à ce que je vous ai dit : je DOIS être blond. Je DOIS avoir les yeux bleus. Je DOIS être vif.
Élancé.
Dur.
Coriace.
De l’acier de Krupp.
Je suis l’enfant du futur. L’enfant conçu sans amour. Sans Dieu. Sans Loi. Sans rien d’autre que la force et la rage.
Heil Hitler !» (P. 17)

Et maintenant l’interview !

Max et son public


Gaëlle Barbosa : Vous écrivez pour un public jeunesse mais aussi pour les adultes, comment vous adaptez-vous à ces lectorats divers ? Les frontières ados/adultes se réduisent et perdent leur signification. De nombreux ouvrages sont soit doublement exploités par les éditeurs dès leur parution, soit édités plus tard dans une collection de poche destinée aux adultes (je pense à la série Le clan des Otori parue ensuite chez Folio). Dans le cas de Max, dont le sujet est particulièrement dur, comment avez-vous géré cet écart entre le public visé et la difficulté du sujet ? Avez-vous un temps songé à en faire un roman pour les adultes ? Votre éditeur vous a t’il imposé des modifications ou accepté votre texte sans réserve ?


Sarah Cohen-Scali : Je ne me soucie jamais, lorsque j’écris, du public visé, je me laisse porter par une histoire et les personnages qui la vivent, je m’immerge dans un univers. Mon premier lecteur (et juge) n’est autre que moi-même, je dois aimer mon histoire, je dois aimer mes personnages pour pouvoir poursuivre, rien n’interfère à ce stade, aucune considération d’âge, de collection, etc. Toutes ces questions se posent une fois le roman terminé.
Max n’a pas échappé à la règle, cependant  plus j’avançais dans  mon travail, plus il me semblait évident que le texte s’adressait aux adultes.
Quant à la suite de la réponse à votre question, elle est  si stupide que j’ose à peine la formuler: les quelques éditeurs de littérature générale à qui j’ai proposé Max ne l’ont pas retenu, sans explication. J’ai reçu ce qu’on appelle, dans le jargon des auteurs « une lettre circonstanciée». Le livre a-t-il été lu avant d’être refusé? Rien n’est moins sûr. Comme je suis plus «connue» ( terme que j’emploie avec mesure) en littérature jeunesse, j’ai proposé le roman aux éditeurs avec  lesquels j’avais envie de travailler. Là encore,  quelques refus — accompagnés d’une justification, ceux-là —  et enfin une réponse positive de Gallimard. Mais la décision n’a pas été facile au sein du comité de lecture. Six mois de discussions intenses, m’a-t-on dit. En revanche, l’éditeur a publié le texte sans aucune modification, ce qui fut un grand bonheur.


Gaëlle Barbosa : Nombreux sont vos ouvrages à être étudiés en classe, je pense par exemple à Rimbaud le voleur de feu et Mauvais sangs, pensez-vous que Max le sera un jour ?


Sarah Cohen-Scali : Je rectifie: mes ouvrages étudiés en classe ne sont pas nombreux, loin de là. De fait, vous avez cité les deux titres qui le sont, auxquels il faut ajouter un roman pour les tout jeunes lecteurs de primaire et une anthologie de nouvelles sur les vampires.
Je doute fort que Max soit un jour étudié en classe. C’est un récit  qui n’est pas assez «bien pensant» pour se voir institutionnalisé. Les deux héros, Max et Lukas, ne se rangent pas, l’un dans la catégorie des «bons», l’autre, dans celle des «méchants». L’intrigue est presque… J’allais dire «trop vraie» ou trop «brute», au sens propre du terme. On a l’habitude de faire étudier, au collège, des livres tels que Inconnu à cette adresse ou L’Ami retrouvé pour sensibiliser les jeunes à la seconde guerre mondiale. Ces récits  ne sont pas sujets à polémique. Personnellement, je demeure convaincue que les jeunes  à partir de 15 ans, qui ont une certaine connaissance historique, qui sont de bons lecteurs, sont tout à fait capables de lire Max.  Je pense également qu’il  serait grand temps de renouveler les titres qu’on fait lire en classe sur la seconde guerre mondiale et d’apporter une note de modernité, mais…
Je reprends à mon compte votre propre formule, que je trouve  très juste: «Max devrait figurer  sur la liste de l’éducation nationale, mais qui osera le mettre?»


Max et l’Histoire


«C’est la merde.
Une merde noire pendant les semaines qui suivent.
Le ciel est de plus en plus menaçant. Je ne parle pas de menaces de pluie ou d’orage, mais de bombes. Des avions ennemis sillonnent le ciel de la Napola.
C’est nouveau. C’est perturbant. C’est traumatisant.
Ces avions tournent au-dessus de nos têtes comme des rapaces. Personne ne nous a laissé supposer que ce serait possible un jour.» (P. 354)


« »Faites un cadeau utile, offrez un cercueil ! »
Le mot d’ordre de ce Noël 1944. Il est affiché un peu partout sur les murs de Berlin. Y compris ici, dans mes couloirs de l’U-Bahn (le métro) où nous nous terrons comme des rats.
Depuis cinq mois, nous ne voyons, Lukas et moi, que les souterrains de Berlin.» (P. 375)


«Le troisième Reich devait nous sortir des ténèbres. On dirait bien qu’au contraire il nous y a plongés.» (P. 375)


Gaëlle Barbosa : J’ai lu que dans votre production, votre roman préféré est toujours le dernier et que vous aviez du mal à écrire autre chose que du policier et du fantastique, et que par ailleurs vous vous inspiriez rarement de faits réels. Max est donc bien différent de vos habitudes, est-il quand même votre préféré ?


Sarah Cohen-Scali : Max a créé une rupture totale avec mes habitudes, jamais je n’avais écrit de roman historique auparavant. Il n’en demeure pas moins que Max est de loin, de très loin, mon préféré dans ma production. J’ai encore du mal, aujourd’hui, à me séparer de «sa voix» pour écrire autre chose.


Gaëlle Barbosa : La seconde guerre mondiale est un incroyable vivier pour les auteurs jeunesse, mais je crois que personne avant vous n’avait traité du Lebensborn. Comment avez-vous eu l’idée de ce sujet et comment avez-vous mené vos recherches ? Avez-vous pu rencontrer des adultes nés de ce programme ?


Sarah Cohen-Scali : Au départ, c’est  Thierry Lefèvre (que je remercie à la fin de Max car il a été à l’origine du projet) qui m’avait demandé d’écrire un roman historique pour sa collection chez Gulfstream. Il me laissait la liberté de choisir mon époque. J’ai tout de suite choisi la seconde guerre mondiale, puis je me suis longuement interrogée sur la nécessité d’écrire un roman  qui aurait pour cadre cette période, qui a déjà tant nourri la littérature. Je ne pouvais le faire qu’à  travers un éclairage particulier. J’ai alors pensé au Lebensborn, que je ne connaissais pas en détails. Je n’avais jusque-là lu que quelques lignes à ce sujet dans le magnifique roman de William Styron Le choix de Sophie. Je me suis plongée dès lors dans une période de lectures et de documentation qui a duré environ trois ans ( j’écrivais autre chose parallèlement). Lorsque j’ai bouclé les lectures essentielles, j’étais passionnée et bouleversée par ce que j’avais appris, mais  je n’avais toujours pas décidé si oui ou non j’écrirais le roman. J’ai continué à travailler sur le projet que j’avais en cours, et le déclic s’est produit lorsque j’ai eu l’idée d’adopter pour la narration un point de vue interne et de faire parler un bébé.  J’ai alors stoppé net tout autre travail et me suis attelée à la rédaction de Max.
Je n’ai pas rencontré d’adultes nés de ce programme, j’ai vu plusieurs reportages qui leur étaient dédiés (notamment sur Arte). Ce n’était pas utile de les rencontrer  et de les questionner, car aucun d’entre eux ne revendique ce que mon héros revendique haut et fort. Il n’y a pas de Max, dans la réalité. Je le précise à la fin du roman, à l’inverse des autres personnages, il est entièrement né de mon imagination.



Gaëlle Barbosa : Savez-vous si un éditeur allemand a acheté les droits de Max ?  Le souhaitez-vous si ce n’est pas encore le cas ?


Sarah Cohen-Scali : Oui, un grand éditeur allemand a acheté les droits de Max, et j’en suis particulièrement heureuse, car on m’avait dit que les allemands n’aimaient pas, en général, les livres écrits par des étrangers traitant de la seconde guerre mondiale, surtout lorsque ceux-ci adoptaient un point de vue interne. C’est donc une belle reconnaissance de mon travail.


Gaëlle Barbosa : Dans les études autour de la lecture et des ados il est flagrant que les jeunes lecteurs choisissent leurs livres en grande partie d’après la couverture. Pour ma part je trouve qu’elle concentre tout à fait l’esprit du roman, subtil mélange d’attraction et de répulsion. On se sent immédiatement attiré par la couleur et intrigué par ce foetus. Puis, l’on découvre qu’il porte cet insigne nazi, ce qui est tout à fait incongru. Ceci interpelle, repousse, dérange. Avez-vous eu votre mot à dire concernant la première de couverture de Max ?


Sarah Cohen-Scali : Avant même de signer le contrat, j’ai exigé un droit de regard sur la couverture. ( J’ai eu trop de déceptions sur nombre de livres, et ce «bébé-là», j’y tenais tout particulièrement, il ne fallait pas que le texte soit trahi par une couverture insipide). J’ai donc exigé que soient présents sur la couverture: l’insigne nazi, les couleurs du drapeau nazi, et un enfant. Comme référence, j’avais en tête la couverture de «L’enfant allemand» de Camilla Läckberg, qui  aurait pu convenir parfaitement à Max. Lorsqu’on m’a soumis le projet de ce foetus entravé d’instruments de mesures et portant un brassard  barré de l’insigne nazi, le tout avec les couleurs du drapeau nazi, j’ai été enchantée, emballée. On ne pouvait pas faire mieux.



Max et … les reproches


«La conséquence des viols : ça baise partout dans Berlin. Un déchaînement généralisé. Les filles, avec le consentement et la bénédiction de leurs mères, préfèrent se donner à un jeune allemand, n’importe lequel, plutôt qu’être violées par les Ivan bourrés.» (P. 422.)


«Tout ça n’empêche pas qu’on se foute régulièrement sur la gueule tous les deux. Lukas -c’est dans son tempérament- ne peut s’empêcher de souffler le chaud et le froid en même temps.
– Fils de pute de Boche !
Ça le prend tout à coup, comme une envie de pisser par la bouche.
-Sale juif !
-Nazi !
-Chien de Polack !  
– Rejeton du Reich !
-Sous-race !
-Bâtard !
-Parasite !
-Tes parents ont baisé dans les usines nazies de la fornication !
-Les tiens baiseront plus jamais !» (P. 333/334)


Gaëlle Barbosa : Nous constatons que votre roman ne fait pas l’unanimité, qu’il y a une réticence à proposer ce livre à des ados y compris de la part de professionnels du livre jeunesse. Certains disent qu’il faut le lire accompagné d’un adulte et bien préciser qu’il s’agit de faits réels ce qui est pourtant tout à fait clair puisque le livre est accompagné de vos explications. On lui reproche aussi un langage cru. Je dis dans mon article quelque chose comme « on n’allait tout de même pas faire sortir des roses de la bouche de tels salauds » Selon-vous ces réactions sont-elles disproportionnées ? En quoi sont-elles justifiées ?


Sarah Cohen-Scali : J’ai dit précédemment que le livre s’adressait davantage aux adultes qu’aux adolescents, tout simplement parce qu’il faut avoir une connaissance historique assez solide de la seconde guerre mondiale pour mieux le comprendre. Donc une lecture accompagnée de ce point de vue là, oui, je pense qu’elle est nécessaire.
Quant aux réflexions sur le langage cru, je les trouve totalement déplacées. Et Max, en cela, ne constitue pas une première pour moi, on m’a souvent fait ce reproche. ( Pour Mauvais sangs, notamment. )
Ces réflexions trahissent en premier lieu une méconnaissance totale de l’écriture romanesque. Une histoire est vécue par des personnages et ces personnages doivent être authentiques. Le lecteur se les représente à travers les descriptions que l’auteur en fait, à travers la transcription de leurs pensées et les dialogues. Dans les dialogues, la parole doit  être crédible. On enseigne en français au collège les différents niveaux de langage. C’est bien de cela qu’il s’agit. Un auteur confirmé choisit d’instinct et sans se poser de questions le niveau de langage qui convient à ses personnages.
La langue de Max m’est venue spontanément, sans que j’y réfléchisse.  Max est un enfant élevé à la dure, c’est un orphelin qui ne connaît pas la signification du mot «tendresse», c’est un enfant endoctriné, c’est enfin — du moins sur une bonne moitié du roman — un nazi pur et dur.
Une nouvelle fois, je reprends votre formule à mon compte: «on n’allait tout de même pas faire sortir des roses de la bouche de tels salauds». Bien sûr! Mille fois oui! Est-ce qu’un SS  battant à mort un juif ou lui tirant une balle dans la tête, le traitait de «personne qu’il ne serait pas bon de fréquenter»? Non, il prononçait à son égard les  pires injures.
Les personnes choquées par le langage employé dans Max font preuve d’hypocrisie. Comment décrire la guerre autrement qu’en soulignant à quel point elle est immonde? Comment décrire les meurtres et les assassinats de masse, autrement qu’en soulignant à quel point ils sont cruels et sanguinaires? En temps de guerre, on tue, on viole, on massacre. La guerre n’a rien de poétique, rien de correct et il faut la montrer telle qu’elle est, sous peine de faire injure aux victimes.


Gaëlle Barbosa : En écoutant des confrères libraires, je m’aperçois que se développe un vrai phénomène Max, c’est à dire que les ados en parlent à d’autres en leur disant : « oh la la, ce livre c’est dingue, tu dois le lire ». Qu’il leur laisse une indéniable empreinte. Je constate aussi une chose qui m’amuse beaucoup : pour ceux qui sont « interdits » de Max, le livre circule sous le manteau… Que cela vous inspire t’il ? Imaginiez-vous déclencher de telles réactions chez les adultes comme chez les ados ?


Sarah Cohen-Scali : Non, je ne m’imaginais pas du tout déclencher de telles réactions chez les ados, et d’ailleurs vous m’apprenez cette «circulation sous le manteau» dont je n’étais absolument pas au courant. Pour être tout à fait sincère, je pensais que ce livre trop gros, trop dense, qui parle de cette guerre qui s’est passée il y a si longtemps maintenant pour  les jeunes les ennuierait et leur tomberait des mains.
En revanche, chez les adultes,  je m’attendais à une polémique. A cause du parti-pris de la narration: j’ai  donné la  parole à l’ennemi, j’ai choisi un «anti-héros», pire, j’ai fait en sorte que le lecteur s’y attache.  Rien ne me touche autant, dans les différentes critiques que j’ai pu lire jusqu’à présent, que de constater que certains lecteurs ont réussi à s’attacher à Max, en dépit de l’aversion première qu’il suscite, qu’ils ne le considèrent plus comme un «méchant»… Allez, n’ayons pas peur des mots, justement, comme un «salaud», mais comme une victime. Ce qu’il est.


Max et… la gloire ?


Gaëlle Barbosa : Le 14 avril, vous avez reçu le prix Sorcières du Roman Ado. Était-ce votre première nomination ? Ce prix décerné par les libraires de l’ALSJ et les bibliothécaires de l’ABF est le plus reconnu de notre petit microcosme, il reste pourtant peu connu en dehors. Pensez-vous que ce prix rendra votre roman plus visible?


Sarah Cohen-Scali : Oui, c’est la première fois que je suis nominée pour ce prix. Je ne sais pas si le fait d’être lauréate rendra le roman plus visible, je l’espère, car je trouve qu’il ne l’est pas assez, chaque fois que je le cherche en librairie, je ne le trouve pas, et  cela me désespère.
Peut-être êtes-vous plus à même de répondre à cette question  que moi?
Ce dont je suis sûre, en revanche, c’est que l’obtention de ce prix  m’encourage et éloigne — pour un temps — les doutes  qui m’assaillent constamment sur la qualité de mon travail.  


Gaëlle Barbosa : Nous regrettons toutes ici la trop faible place accordée à la littérature pour la jeunesse dans les médias. Une simple recherche sur internet avec pour mots clés Max et votre nom ne renvoie qu’à des blogs ou des sites marchands. À une époque où l’on se lamente de la désertion de la lecture de la part des ados, comment interprétez-vous le silence des grands journaux nationaux, des hebdomadaires, des mensuels consacrés à la littérature à propos de votre roman ou de la littérature pour la jeunesse en général ?


Sarah Cohen-Scali : Vous soulevez  un débat important. La littérature pour la jeunesse reste, en France, une sous-littérature, ce qui est proprement scandaleux. Les médias la méprisent. Seules font exception les grosses locomotives telles que Harry Potter ou Twilight de Stephenie Meyer. Il faut qu’un livre pour la jeunesse  se vende à des milliers d’exemplaires pour que les  grands journaux consacrés à la littérature daignent en parler.
C’est navrant, c’est insultant pour nous, auteurs, qui, dès lors que nous sommes estampillés jeunesse passons pour des  simples d’esprit  ne pouvant écrire autre chose  que des histoires de gentils lapins roses qui se brossent les dents avant de dormir…  

Gaëlle Barbosa : Je vous remercie infiniment Sarah !

Sarah Cohen-Scali : Merci à vous pour votre critique et pour avoir aimé cet enfant si difficile qu’est Max. Pour information, j’ai lu votre article juste après une critique parue dans une revue historique, qui  a littéralement assassiné Max, lui reprochant d’être vulgaire, outrancier, mal documenté, manipulateur… j’en passe et des meilleures. Votre avis pourrait répondre point par point aux arguments de l’auteur de l’article et les réduire à néant.


Propos recueillis par Gaëlle Barbosa, Mars-Juin 2013.




Max
Sarah Cohen-Scali
Ed. Gallimard Jeunesse

1936 en Bavière, Max est encore un fœtus dans le ventre de sa mère. Mais il s’adresse à nous, lecteur, pour nous raconter son histoire. Totalement imprégné de la doctrine nazie, Max va nous faire découvrir son destin « exceptionnel » de parfait aryen imaginé par le cerveau d’Himmler: la théorie de la race parfaite conçue et élevée dans les « lebensborn » (fontaines de vie). De sa création à sa naissance, de sa petite enfance à la fin de la guerre, nous allons suivre Max dans son parcours étrange et dérangeant. Dérangeant parce que totalement dévoué au nazisme, à la gloire d’Hitler et de ses théories – rien d’autre n’existe, tout autre comportement que celui préconisé est un aveu de faiblesse et doit être éliminé. Mais la rencontre avec Lukas, jeune polonais au physique purement aryen, va déstabiliser Max: comment peut-on lui ressembler autant et être en révolte contre le système? C’est sûrement une farce de Lukas pour le piéger et le dénoncer… Les révélations de l’adolescent vont tout doucement fissurer les convictions si profondément ancrées en Max… Un roman terrible dans lequel, malgré la répulsion instinctive qu’inspire au lecteur le discours de Max, on le « comprend », on s’y attache. Un très beau travail de recherche pour l’auteure sur un sujet inexistant en jeunesse et surtout un récit très fort sur les destins croisés de personnages denses, complexes qui nous font découvrir un aspect méconnu de la seconde Guerre Mondiale. Sarah Cohen-Scali réussit le tour de force de nous permettre de « comprendre » l’ennemi. Un roman émouvant, dur et tendre à la fois.