Éditions Le port a jauni : traduire et tisser d’un monde à l’autre…

  • Publication publiée :29 octobre 2018
  • Post category:Archives
Le Carnet Du Dessinateur – Mohieddine Ellabad – éd. Le port a jauni

Les éditions Le port a jauni publient des albums et de la poésie jeunesse bilingue en français et en arabe. ​Pourquoi ce parti de la traduction non pas d’une langue qui efface l’autre, mais qui donne à lire deux langues dans des ouvrages bilingues? L’éditrice Mathilde Chèvre nous explique ici la raison de ce choix.

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En arabe, une des traductions possibles de «traduire» est le verbe naqala: il évoque le déplacement d’un espace à l’autre, la circulation et le voyage. Un voyage des mots à l’image, d’une langue à l’autre, lire de droite à gauche et de gauche à droite, lire d’un âge à l’autre. Donner du mouvement dans la relation à l’arabe, relier cette langue à sa vaste culture, parcourir la prairie fleurie de ce que «arabe» veut dire, relier les mots en arabe et en français.

Traduire des albums déjà parus dans les pays arabes… Pendant ma thèse, j’ai découvert un monde merveilleux rempli d’albums en arabe, je les ai rangés au coeur et je les publie un à un – je publie lentement, un par an. Toutes les autres publications sont des créations.

Traduire du dialecte égyptien comme les Roubaiyat de Salah Jahine ou des poèmes littéraires comme Les tireurs sportifs de Golan Haji qui disent avec puissance le monde d’aujourd’hui…

Traduire et jouer sur le double sens de lecture… Le bilinguisme devient un principe de création éditoriale en soi: comment mêler ces deux langues qui se lisent en sens opposé sans choisir d’autorité un seul sens de lecture, un bon et un mauvais côté? Je vous laisse réfléchir… Certains albums tournent comme une roue (La roue de Tarek, Les aventures de Zoë), d’autres sont des palindromes linguistiques et peuvent se lire dans les deux sens (comme BOB, voyez-vous… Abracadabra, La lettre d’amour), d’autres jouent avec l’idée du calendrier (Alifbata).

Traduire les images en mots… Car souvent l’image est première et les poèmes, ou les textes, sont écrits à partir d’une série d’illustrations choisies. Monotypes d’arbres pour dire toute une vie de Nous irons au bois, collages noir et jaune de la peur et la nuit des Poèmes du soir, gravures rehaussées de corps en paysages pour des Poèmes en paysages. Mes idées folles de Ramona Badescu sont égrenées à partir d’une série de créatures imaginaires dessinées par Walid Taher. Les livres sont tantôt des albums, tantôt des carnets de poésie aux bords arrondis comme un carnet à dessin, un carnet de voyage. En 2018, Sauvage a été écrit par Layla Zarqa à partir d’une série de dessins de tigre de Salah Elmour et autour d’un jeu de mot puisque en arabe, «sauvage» se dit wahch et «tu me manques» se dit wahhachtini, littéralement «tu m’as rendu sauvage». Cet automne est paru Poèmes de roches et de brumes de Carl Norac qu’il a écrit à partir d’une série de collages d’Arno.

Traduire et tisser d’un monde à l’autre, emporter les livres en voyage, en salons et en ateliers… Car en plus d’être maison d’édition, Le port a jauni est aussi une association qui propose des ateliers de réalisation de livres avec des enfants ou des plus grands. Chaque atelier est inspiré d’un livre, et les consignes de narration graphique et écrite lui font écho. Et parfois, un livre du Port a jauni découle d’une consigne d’atelier: c’est le cas pour Les chaises, puisque j’ai donné à Raphaële Frier la consigne, souvent explorée en atelier, «toutes les chaises sur lesquelles je me suis assis.e : À vous d’écrire, faites une liste de toutes ces chaises, choisissez votre préférée… c’est votre premier poème». Les livres sont aussi accompagnés d’expositions. Expositions constituées de grands kakémonos, d’originaux et de la mise en scène sonore des textes lus dans les deux langues. Car traduire, c’est aussi ressentir les sons dans son corps et essayer de les reproduire. Ainsi, nous avons réalisé cette année une exposition sonore et ludique autour de la langue arabe où l’on peut écouter des contes et des histoires, écrire et reproduire des lettres et des mots, jouer avec des marionnettes et des cartes pour parler (ses premiers mots) en arabe, faire corps avec, entendre le chant en soi.

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Mathilde Chèvre – Propos recueillis par Geneviève Fransolet, Librairie Sorcière Nemo à Montpellier. 

Pour plus de détails sur les ateliers et les expositions : 
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