Nathalie Novi : «Le trait, c’est une force qui surgit.» – Une interview menée par Jo Hoestlandt

  • Publication publiée :3 décembre 2017
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Nathalie Novi – Photo Albin Michel Jeunesse – 2017

À l’occasion de la parution du nouvel album de Nathalie Novi, revoici son interview par Jo Hoestlandt, parue en 2000 dans Citrouille. Propos recueillis à la librairie La Luciole d’Angers.

Jo Hoestlandt : Dessines-tu depuis toujours ?

Nathalie Novi : Je suis d’une famille de filles qui avait le goût des histoires, des mots pour rire, lancés comme des balles, que mes sœurs rattrapaient plus aisément que moi, plus timide. J’avais en moi des choses que j’ai depuis toujours mieux dites par le dessin que par la parole. Et puis j’aimais feuilleter des livres d’art, les plus gros surtout, du Japonisme d’Hokusaï à Van Gogh… Je me souviens très bien du jour où Picasso est mort ; c’était un dimanche, quand j’avais douze ans. Je savais déjà que moi aussi je serais peintre… Une phrase de Picasso souvent me revient en tête : « Les enfants heureux sautent plus haut que leurs genoux… » C’est une phrase qui me fait rêver, qui m’offre du ressort.

Jo Hoestlandt : J’aime, pour ma part, cette phrase de Giono : « Quand les mystères sont très malins, ils se cachent dans la lumière ». J’ai l’impression qu’elle illustre bien ta façon de peindre. Tout est clair, et pourtant quelque chose nous échappe. Comme s’il restait secret…

Nathalie Novi : Quelque chose toujours s’échappe, c’est vrai, et j’en suis heureuse. Je n’aimerais pas capturer l’image. Tout ne m’est pas dévoilé à moi-même d’ailleurs. J’aime être surprise et que les autres le soient aussi. Je préfère suggérer plutôt qu’affirmer, même si je ne le décide pas vraiment ; ça se fait presque tout seul, parce que je suis ainsi. Je traduis ce que je perçois de façon spontanée. Je suis comme un filtre, avec ma part d’ombre et ma part de lumière… Finalement, c’est plus fort ainsi je crois…

Jo Hoestlandt : Qu’est-ce qui t’a influencée, dans cette exaltation, cette exubérance des formes et des couleurs ?

Nathalie Novi : Jacques Tati ! Le poète dans les nuages, à la démarche élastique, ce personnage si tendre, si revigorant… C’est comme un petit air d’accordéon… Il y a les compositions silencieuses de Balthus aussi. Et puis l’intemporalité du Rêve de Constantin de Piero Della Francesca. Tout cela, comme un tourbillon, m’entraîne quand je dessine… Quoi de plus émouvant qu’un beau rose se mariant à un jaune de Naples, qu’un mauve jouant avec un orangé ? J’aime que les couleurs jouent ensemble, comme dans Bonnard, que les ombres soient colorées. En général, je ne tâtonne pas trop. Je marche à l’intuition, et souvent, la première idée, celle qui est venue naturellement, est la bonne… Je pose une couleur sur une autre couleur, puis encore une autre par-dessus, et à un moment donné, je sais que c’est fini : qu’en en mettant une de plus, je n’ajouterais rien. C’est comme si les textes et les couleurs que je leur donne s’entretenaient entre eux et me parlaient.

Jo Hoestlandt : Comment travailles-tu l’espace ?

Nathalie Novi : J’aime qu’il soit large. Mais si je suis devant un personnage démuni mon espace se restreint naturellement, pour dire le sentiment d’oppression. Je dirais que l’espace, c’est le fond, le fondement, ce n’est pas le décor. Il se confronte aux formes, et de cette confrontation naît une impression.

Jo Hoestlandt : On me dit souvent que je me tiens toujours légèrement penchée… Dans ton univers aussi, tout est légèrement penché. C’est, je crois, quelque chose d’étrange qui nous rapproche.

Nathalie Novi : Tati, toujours !… J’aime penser que cet univers penché me vient de lui, de ses personnages comme suspendus entre ciel et terre. Ce qui est penché me bouleverse toujours… La place d’Arezzo, en Italie, par exemple, très penchée, si penchée qu’on est obligé de la dévaler. J’aime la sensation vertigineuse d’être comme entraînée dans le tourbillon de la vie… Je suis tiraillée entre l’ancrage et l’envol ; comme si le corps enraciné essayait de sortir du cadre qui lui est imposé. Il faut dire, plus prosaïquement, qu’à cause de mon astygmatie et mon hypermétropie tout ce que je dessine s’allonge et se penche naturellement… ce qui m’inscrit dans la famille du Greco !

Jo Hoestlandt : Tu mêles le rêve et le réel ; ils se côtoient, se tutoient, liés dans une même approche visant à saisir sans retenir. Je pense en particulier à notre album, Les Petites filles dansent Cela a-t-il à voir avec ton amour des contes ?

Nathalie Novi : A la lecture de Et les petites filles dansent tout est venu spontanément, comme si ce texte avait été en moi depuis toujours. On avait sans doute cette histoire en commun. J’ai eu l’impression de redevenir une de ces petites filles à la fois attirée par la légèreté du rêve et figée tout à coup par la dure réalité. C’est vrai, on y reconnaît aussi l’univers des contes, quoique les petites filles ne soient pas des princesses mais de vraies petites filles toutes vives. Par contre on y retrouve le fou, le roi, les puissants, tous ceux par qui le drame arrive… Et l’échiquier comme dans Alice, le chasseur de vent qui se rapproche de Papageno, les rideaux lourds et pourpres…

Jo Hoestlandt : Tes images sont pleines de fantaisie, généreuses…

Nathalie Novi : Je donne au mieux ce que j’ai en moi. Mais après le foisonnement de mes débuts, j’ai envie d’aller vers la sobriété, de ne garder que l’essentiel, sans tomber dans le minimalisme. Cela n’empêche pas la profusion des couleurs, ni je l’espère, la générosité. J’évolue de texte en texte. Dans Le petit être de Jeanne Benameur, je me suis inspirée de Rothko dont la simplicité et la lumière m’ont terriblement émue.

Jo Hoestlandt : Dans la création, le risque, c’est la répétition. Comment explores-tu de nouvelles voies ? Utilises-tu toujours le même matériau ?

Nathalie Novi : J’espère être une personne qui apprend de la vie et des gens, qui apprend de ses lectures aussi. Mais je n’ai pas peur de la répétition ; ça m’aide à progresser. J’utilise toujours le même matériau, le pastel à l’huile, toujours sur papier. Le livre sur Barbara, Square des Batignolles, a été le seul à être réalisé au pastel sec, comme mon travail personnel. Il arrive que j’introduise des lavis, par exemple dans Le château fort et le château faible, parce que le dessin à la plume, c’est ce que je fais souvent pour mes recherches et c’est alors comme si je dévoilais un petit coin de mon atelier. Le trait, c’est une force qui surgit.

Jo Hoestlandt : J’ai une dernière question, Nathalie ; j’ai parfois envie, et d’autres auteurs avec moi, d’aborder des thèmes « graves » : la vie, l’amour, la mort, la solitude. J’aime ta façon de nous accompagner sur ces chemins-là. Peux-tu nous dire comment tu abordes ces textes-là ?

Nathalie Novi : Le bonheur n’a de valeur que parce que l’on sait ce qu’est le malheur. Je ne souhaite pas parler de mon enfance, mais la gravité y a malheureusement tenu une grande place. Les enfants sont intelligents, ils peuvent tout comprendre. Vos mots et mes images les y aident. Vous abordez ces thèmes avec toute votre sensibilité, votre intelligence, avec grand respect pour les enfants. Je suis fière de vous accompagner sur ces chemins-là, émouvants. Il y a place pour tout dans la littérature jeunesse et ma lumière prend tout son sens quand elle s’appuie… sur vos ombres.


Propos recueillis par Citrouille, à la librairie La Luciole de Vienne, en 2000