Gigi m’a laissée toute seule à la librairie pour prendre quelques jours de congés avec je ne sais pas qui.
Moi qui pensais être la seule et unique personne qui comptait vraiment à ses yeux…
Du coup je déprime.
Quand je déprime je pense au fait qu’on va tous mourir.
Quand je pense à la mort, je cherche à lire un truc sur le sujet, histoire d’être encore plus triste et qu’on me plaigne.
Quand je cherche un livre sur la mort, je vais dans mon rayon favori de la librairie, le rayon-des-livres-sur-la-mort-qui-tue (c’est le rayon qui tue, pas la mort). (Enfin si, aussi).
Et vous savez quoi ? J’ai TOUT sur le sujet.
Je suis à deux doigts d’ouvrir une librairie jeunesse spécialisée sur la mort, mais je crains que ma clientèle n’adhère pas totalement à ma démarche.
« Ah ça… quand on cherche un titre sur les dinosaures avec toi on peut toujours courir, par contre les bouquins sur la mort c’est open bar ».
Vous voyez, ça c’est Gigi qui me parle dans ma tête.
Quand elle est loin de moi, elle est toujours un peu là.
Alors il y a Joris, c’est un lapin. Et il y a Oscar, c’est un chat.
Mais on s’en fout. C’est deux copains, c’est ça le plus important; il se sont donné rendez-vous au parc pour un petit pique-nique au soleil.
Joris a apporté des bonbons, et Oscar a pensé à prendre du café et même du sucre.
Quand on pioche un bonbon bleu dans le paquet ça fait penser au ciel.
Et quand on pense au ciel parfois ça fait penser à ce qui peut se passer là-haut, quand on est mort.
On peut y penser sans être triste d’ailleurs, juste en se posant des questions qui resteront sans réponses, ou alors seulement les réponses qu’on préfère.
«- Tu crois que nous aussi, on ira au ciel ?
– Si tu y vas j’y vais aussi, ça c’est sûr !
– Alors, peut-être qu’on se rencontrera.»
Penser à tout ça, c’est penser à des choses qui donnent un peu le vertige et qui fichent un peu la trouille tellement elles nous dépassent.
Mais quand on est avec son meilleur copain, on trouve toujours moyen de se rassurer : même si on ne se reconnaît pas là-haut dans le ciel parce qu’on est mort et qu’on a tout oublié, c’est à peu près sûr qu’on redeviendra amis et qu’on mangera encore des réglisses en buvant du café.
Je pense à La découverte de Petit Bond de Max Velthuijs, album que j’adore, mais aussi à Nos petits enterrements de Ulf Nilsson ou encore au travail si singulier de Ian Stole.
J’y vois un trait commun, un ton tout à fait particulier, sans doute moins cérébral et plus dans l’immédiateté et la sensation.
Voilà, c’était ma minute psy.
On apprécie en outre dans cet album la finesse des illustrations au trait, un peu minimalistes, qui se conjuguent parfaitement à la délicatesse du texte, toujours à hauteur d’enfant.
Une petite parenthèse poétique et pourquoi pas une porte d’entrée vers la philosophie.
Je précise qu’il s’agit ici d’une réédition de 2004, mais que cet album avait alors échappé à ma sagacité. Eh oui ça arrive, même aux meilleurs.