L’horloge de l’Apocalypse : nous y sommes presque ! Une interview de Lorris Murail

  • Publication publiée :10 septembre 2018
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Dans L’horloge de l’Apocalypse (éd. PKJ.), Lorris Murail braque un projecteur sur l’état du monde, un état pas vraiment agréable à regarder, puisque la violence sous toutes ses formes y impose ses lois. L’auteur s’adresse avant tout à la jeunesse qui héritera de ce monde… Parce que nous avons encore le temps et les moyens de briser cette insidieuse dystopie. – Une interview menée par Jeremy Barraud, Librairie Sorcière Chantepages.


JEREMY BARRAUD: L’horloge de l’Apocalypse est à la fois un roman écolo, militant contre Trump et les pros-armes à feu, entre autres. Pourtant, le président américain n’est pas seul responsable de la violence physique et morale du monde! Pourquoi s’en prendre à lui spécifiquement – les raisons sont légitimes mais…
LORRIS MURAIL: La réponse me semble évidente. Les États-Unis demeurent la première puissance mondiale, la nation qui donne le ton, qui suscite partout sur cette planète rêves et envies. Ce qui se passe là-bas, pense-t-on, viendra ensuite chez nous, pour le meilleur comme pour le pire. Notre environnement, chacun le sait, est en danger. En s’écartant des voies tracées de façon pourtant modeste par les accords de Paris, Trump fait plus qu’aggraver localement la situation: il lance au monde entier un signal funeste. Déjà, dire aux nations défavorisées: «Nous nous sommes gobergés pendant des décennies mais abandonnez le rêve de nous rejoindre, désormais nous devons tous nous serrer la ceinture, oui, déjà, c’était difficile. Alors, dire: «Démerdez-vous comme vous pouvez, nous en tout cas on continue de jouir sans entraves»… ça, c’est une terrible responsabilité.


Mon roman s’adresse en priorité à un jeune public, bref à ceux dont nos comportements mettent l’avenir en péril. On trouve chez Saint-Exupéry cette phrase célèbre: «Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants.» Or, autre citation (de Nicolas Hulot, naguère valeureux militant de la cause) «Un jour nos enfants pourront nous lancer: «Salauds, vous saviez». Car oui, nous savons. Et, je vous le dis, si l’Amérique, maîtresse en grande partie du jeu politique et économique de notre monde, ne bascule pas bientôt du côté lumineux de la Force, plus rien ne sera possible. La bataille sera perdue. 


Pourquoi avoir choisi comme cadre de ce récit l’Arizona?
J’ai choisi naturellement un État de l’Amérique profonde, où le genre de phénomènes que je décris pouvait exister. Notamment le Coal Rolling, divin plaisir qui consiste à émettre le plus de fumée possible avec un véhicule. Cela aurait pu se situer ailleurs. L’Arizona n’est pas le plus trumpien des états. Il y avait donc autre chose. Le décor, le désert, la chaleur… et peut-être la proximité de la ville de Phoenix dont le nom évoque l’éternel recommencement, la renaissance à partir des cendres…


Tout un parallèle est établi entre le récit et la Guerre froide, notamment par le biais de l’Horloge de l’Apocalypse et de sa grande aiguille qui s’approchait ou s’éloignait du minuit fatidique, heure de l’Apocalypse; d’ailleurs, dans le récit, cette horloge est toujours mise à jour. J’imagine que vous considérez les politiques internationales d’écologie comme apocalyptiques?
Sans doute mais si ce n’était que moi, ce ne serait pas grave. La fameuse Horloge de l’Apocalypse a été créée après la guerre par des scientifiques de Chicago, spécialistes des questions atomiques. L’idée était d’évaluer le péril encouru par l’humanité en fonction de l’évolution des tensions internationales, bref le risque d’un conflit nucléaire. Or, depuis quelques années, le bulletin annuel de cette association place au premier rang de ses préoccupations un autre péril, le réchauffement climatique et la dégradation de l’environnement. Autrement dit, les savants atomistes de Chicago considèrent maintenant que la survie de l’humanité est menacée plus encore par le risque environnemental que par le risque atomique. Et ils en appellent aux peuples qui seuls, pensent-ils, peuvent fléchir les dirigeants des grandes nations. Aux dernières nouvelles, il était d’après eux deux minutes et trente secondes avant minuit. Nous y sommes presque!


Armes à feu, racisme, fondamentalisme religieux, climato-scepticisme: L’horloge de l’Apocalypse ne décrit pas quelque chose qui va arriver, mais quelque chose qui est en train de se passer et, en prenant du recul, on se rend compte que l’Apocalypse est déjà là.
Ben… oui, je crains de devoir vous donner raison. Je le sais, vous le savez et tout le monde le sait. Pas une journée ne s’écoule sans que ne nous parviennent de nouvelles informations alarmantes. C’est très déroutant, en fait. Puisque chacun d’entre nous sait ou est censé savoir ce qui nous pend au nez, pourquoi ne faisons-nous (presque) rien? La réponse est aussi simple que pathétique. Nous avons fait le choix collectif de vider l’armoire tant qu’il reste quelque chose dedans. Soit de sacrifier à notre petit confort présent les générations futures. Voilà pourquoi je m’adresse en priorité à ceux qui nous succéderont. Pas pour leur faire peur mais pour leur parler de ce que nous avons fait et de ce qui les attend. Tous aujourd’hui nous devons parler, à notre place, modestement. Nous devons informer les plus jeunes et non les enfumer comme le fait hélas de façon massive l’édition pour la jeunesse en produisant à la chaîne ces dystopies dont les thématiques sont obsolètes depuis plus de cinquante ans. Couvrez ce monde que je ne saurais voir!


Vous choisissez de vous focaliser sur l’arrière-pays américain pour décrire un monde qui part très loin dans la folie; pourtant les notions d’écologie concernent aussi les politiques, qui sont pourtant quasiment absentes dans le récit, hormis le deputy. Pourquoi avoir choisi de vous focaliser sur le peuple plutôt que les autorités, qui ont aussi leur part de responsabilité?
Comme le disait si bien George Orwell: «Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime, il est complice». Nous pouvons être sévères avec nos élus lorsqu’ils trahissent leurs promesses. Naïfs peut-être, beaucoup ont cru élire un homme de gauche en votant pour François Hollande. On ne peut accabler ceux qui de bonne foi lui ont fait confiance. Trump, en revanche, n’a jamais fait mystère de ce qu’il est. Il applique son programme comme d’ailleurs Emmanuel Macron applique le sien, qui consistait explicitement à dépouiller les moins nantis de ce qu’ils n’ont pas pour consolider la fortune des plus favorisés. Macron, de ce point de vue, semble un disciple d’Alphonse Allais qui proclamait plaisamment vers 1900: «Il faut prendre l’argent où il est: chez les pauvres.»


Je refuse d’absoudre les peuples qui votent Trump aux États-Unis ou Erdogan en Turquie (dans certains pays, le choix n’existe pas). Trump cependant est un cas en démocratie où la règle veut qu’un nouvel élu affirme (ou prétende): «Je serai le président de tous les Américains (ou Français etc.). » Trump n’est le président que de ceux qui ont voté pour lui. À voir si cette base (solide) sera suffisante pour assurer sa pérennité. De façon très logique, j’ai choisi de m’attacher à elle, au peuple de Trump, puisque le pouvoir se situe aujourd’hui de ce côté. C’est le peuple du Second Amendment (armes à feu à gogo), de la consommation sans limites, de la pollution comme art de vivre, de la fracturation hydraulique aux conséquences catastrophiques, de l’Arche de Noé en parc d’attraction, etc. Je n’invente rien. Tout ce qui est décrit dans ce roman existe hélas. Car – ce jeu de questions et réponses finira par le faire oublier – il s’agit quand même d’un roman. Un roman avec une intrigue et avec des personnages que je souhaitais être de vraies gens. L’action est gouvernée par une jeune fille et sa très jeune nièce, plongées de façon brutale dans l’univers des brûleurs forcenés de carburant. Je préfère les choses ainsi. Trump est le héros de son propre roman. Je n’ai rien à ajouter à l’histoire.

Propos recueillis par Jeremy Barraud, Librairie Sorcière Chantepages à Tulle


Éd. Pocket Jeunesse
Norma se réfugie en Arizona avec sa nièce Liz. Elles doivent cohabiter dans une minuscule maison. Norma se trouve du travail au diner local. Elle va vite se rendre compte qu’elle s’est installée dans un monde violent, arriéré, pro-Trump, avec l’idéologie qui en découle. Et découvrir qu’en plein Arizona existe une religion vouée au dieu Diesel… Dans cette folie se fait entendre un mystérieux OT, seul animateur d’une étrange radio prêchant l’Apocalypse.
Ce n’est pas un livre de science-fiction… mais on aimerait qu’il le soit! Ce roman est halluciné, cynique, violent, poisseux et ô combien excitant. On se laisse mener par le rythme effréné de l’écriture qui nous entraîne joyeusement dans une danse macabre apocalyptique. C’est une charge très dure contre Trump, l’arrière-pays où s’entassent les ploucs, les climato-sceptiques. Un parallèle est fait entre la Guerre froide, durant laquelle avait été mise en place l’Horloge de l’Apocalypse pour indiquer de manière symbolique l’heure à laquelle les puissances mondiales utiliseraient leurs armes nucléaires, et le XXIe siècle, où le capitalisme s’avère être une catastrophe tout aussi dangereuse.  – Librairie Chantepages