Transmettre, c’est cheminer à deux vers un avenir ouvert – par Loïc Jacob & Chun-Liang Yeh, Éditions HongFei

  • Publication publiée :11 septembre 2016
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La transmission engage une relation qui libère, lorsqu’elle implique une pratique commune de valeurs plus qu’un discours.
En 2015, la France a subi deux attaques terroristes sidérantes. Dans la gravité, nous tentons collectivement de comprendre, nous cherchons à penser et à agir pour trouver comment faire face, comme société, à ces événements tragiques. Si, dans un premier temps, les débats sur la laïcité et la liberté d’expression ont placé l’éducation des enfants et des jeunes au centre de l’attention, les controverses nées de l’état d’urgence et de la question de la déchéance de nationalité ont renforcé l’interrogation des valeurs et fait apparaître des anfractuosités chez ceux qui prétendent les transmettre.
Qui dit transmission dit exemplarité

Malgré les affres qu’il provoque, cet approfondissement de la réflexion est salutaire. Le débat sur l’éducation tendait à réduire la problématique à des questions d’institution (l’école, ses visées, ses méthodes, ses moyens) et de population (la jeunesse à éduquer). Aborder la notion de transmission, c’est ouvrir une réflexion plus globale. 
Loin de se réduire à une opération d’acquisition en salles de classe et au fil d’un programme et d’un calendrier scolaire, la transmission se fait partout, tout le temps. Elle implique, pour celui qui donne, d’avoir une intention constante et des égards pour celui qui reçoit et qui, pour consentir, mobilise non seulement la raison dont il est doté, mais également ses affects (désirs et émotions) et ses attachements divers. 
Dans les périodes de crise d’où surgit souvent le sentiment d’un échec de la transmission, on attribue généralement ce dernier à des causes diverses, catégorielles ou culturelles, attachées à celui qui reçoit. Mais, il convient assurément de reconnaître un autre facteur d’échec : le défaut d’exemplarité. En effet, comment convaincre et conduire à adhérer à des valeurs nobles quand on ne les met pas en pratique soi-même ? C’est impossible.
La transmission « racontée » aux enfants

En retrait de cette actualité aigüe mais pas sans lien avec elle, les éditions HongFei proposent aux jeunes lecteurs d’explorer la richesse et les promesses d’une relation de transmission à travers deux histoires singulières. Dans la première, racontée par Franck Prévot (Je serai cet humain qui aime et qui navigue), un enfant et son grand-père, marin aguerri, trouvent un coquillage portant l’inscription « Écoute-moi ! ». Tandis que le grand-père n’entend que la mer, l’enfant, lui, entend un poème dans une langue inconnue. Petit à petit, le poème se fait pourtant moins impénétrable pour cet enfant qui se laisse toucher et s’amuse même à le traduire pour son aîné. Viendra le temps où le jeune garçon écrira son propre poème. 
La transmission ici, se réalise par la fréquentation. Le lecteur comprendra qu’aux yeux de l’enfant, la vie de son grand-père, homme rustre, peu loquace et peu capable de transmettre, ressemble déjà à un poème étrange. En laissant le garçon s’en emparer et le traduire en mots, le grand-père lui fait un don unique et précieux, accompagnant l’enfant, mieux qu’aucun cours ou discours, sur le chemin de l’émancipation.
La seconde histoire, Te souviens-tu de Wei ?, racontée par Gwenaëlle Abolivier, nous ramène cent ans en arrière dans la Baie de Somme dans des circonstances réelles. Entre 1916 et 1918, on fit arriver-là, en pleine guerre, environ cent mille travailleurs chinois, paysans pauvres qui rêvaient de faire fortune en s’embarquant sur leur navire pour la France. Viendra vite le temps de la désillusion, de l’endurance, puis du retour en Chine des années plus tard, sauf pour 20 000 morts et quelques milliers d’hommes qui prirent racine dans notre pays. Les 843 stèles blanches du cimetière de travailleurs chinois de Nolette (à Noyelle-sur-Mer) font désormais partie des paysages de notre douce France. Pourtant, quelle part d’humanité savons-nous recevoir de ces jeunes hommes tombés pour notre liberté et si généralement oubliés de nous ? Quel lien sommes-nous capables de tisser avec les descendants de ces Célestes qui incarnent aujourd’hui la diversité d’où la population française puise son caractère et sa force ? 
Transmettre, c’est savoir s’effacer pour accueillir des possibles

La pleine conscience des dimensions multiples d’une relation de transmission – intime, collective, culturelle, etc. – incite celui qui donne à l’humilité. Il lui faut apprendre à ne pas s’inquiéter d’être dessaisi des idées et des valeurs qu’il transmet, ni craindre d’être remis en cause par l’action qu’immanquablement réalisera celui qui reçoit, en cohérence avec la situation inédite du monde qu’il connaîtra. Transmettre, c’est accorder notre confiance à celui qui reçoit dans le rôle qu’il aura à jouer après nous, pour un monde nouveau.

Loïc Jacob & Chun-Liang Yeh, Éditions HongFei, 2016

[Edito de la Gazette Cui-Cui, à télécharger ici]