Chienne de vie ! (une interview de Melvin Burgess, nov 2002)

  • Publication publiée :6 juin 2016
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CITROUILLE (nov. 2002): L’un de vos sujets de prédilection sont les adolescents et les expériences qu’ils peuvent vivre ou traverser, comme la drogue ou la sexualité. Pourquoi ?
MELVIN BURGESS: En fait, quand j’ai commencé à écrire pour les enfants, il m’a semblé qu’il n’existait, en Angleterre, que très peu de livres s’adressant réellement aux adolescents de plus de 13 ans, . Cela m’a fait réfléchir et m’a donné envie d’écrire pour eux et uniquement pour eux. Junk a été mon premier essai en ce sens. Il y a alors eu beaucoup de bruit autour de ce roman, mais il a également reçu de nombreux prix littéraires et ce fut un grand succès populaire. Cela m’a également montré que les jeunes de cet âge apprécient que l’on aborde ce genre de sujets.

CITROUILLE (nov. 002): Avez-vous eu des retours directes de leur part ?
MELVIN BURGESS: Oui, notamment sur mon site web, où ils ont la possibilité de me laisser des messages. Je dois dire que jusqu’à présent, je n’ai reçu que des commentaires positifs… Mais peut-être est-ce parce que les gens ne vous contactent pas quand ils n’ont pas aimé votre roman ! Et c’est tant mieux car je trouve les réactions négatives affreuses à vivre… Maintenant, je sais bien que les adultes ont des réactions plus fortes et plus dures à mon égard que les jeunes. Ils ont toujours peur que les adolescents soient corrompus, bien que ceux-ci ne craignent pas de l’être, et encore moins par un roman. S’ils ne l’apprécient pas ou qu’ils s’ennuient, ils passent à autre chose. Et puis il se souvenir que les adolescents appartiennent à un grand groupe d’individus. Mes livres, notamment des romans comme Junk ou Lady, ne s’adressent pas à tous ces individus. On ne peut pas plaire à tout le monde !

CITROUILLE (nov. 2002): Pourquoi avoir choisi une chienne dans Lady ? Serait-ce parce que l’on dit que cet animal est le meilleur ami de l’homme (sourire…) ?
MELVIN BURGESS: Non ! Ce roman est évidemment métaphorique. Il traite de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas. Du fait d’être responsable ou insouciant vis à vis de ses choix et de ses actes. Je pense que l’on ne peut pas être constamment responsable et irréprochable dans toutes les situations que nous vivons, et notamment durant la période de l’adolescence. Bien sûr le choix de la chienne n’est pas innocent : Sandra, l’héroïne, est une allumeuse. Les chiens errants marchent à l’instinct et font ce qu’ils veulent, quand ils le veulent. C’est pourquoi j’ai choisi cet animal car, pour moi, il représente une excellente métaphore du plaisir et de l’instinct, deux sensations auxquelles Sandra s’abandonne.

CITROUILLE (nov. 2002): Pourquoi avoir décidé de la laisser rester chienne ?
MELVIN BURGESS: Pour deux raisons : j’ai d’abord essayé, lors d’un premier jet, de la faire redevenir humaine mais cela ne me satisfaisait pas. Je ne pense pas que Sandra aurait fait cela. C’est une allumeuse, il ne faut pas l’oublier. Les sensations qu’elle a éprouvé en tant que chienne sont inoubliables et difficiles à quitter. La seconde raison est que cela n’était pas mon intention de présenter une fin satisfaisante au public. Pour moi, s’amuser et prendre du bon temps signifie réellement quelque chose et c’est le message que j’ai voulu faire passer. Je considère donc que c’est la bonne conclusion, et puis tant mieux si cela dérange un peu les gens…

CITROUILLE (nov. 2002): En Angleterre, les réactions ont été encore plus dures à l’encontre de Lady qu’à celui de Junk
MELVIN BURGESS: Les réactions des journalistes ont été sévères et ont fait beaucoup de bruit. Mais je n’ai pas le sentiment que mon public, notamment féminin, soit du même avis, Je n’ai reçu que très peu de récrimination de sa part. Curieusement, pour beaucoup de gens, il est encore plus difficile d’aborder la sexualité que de parler de drogue. Les critiques venaient surtout de la droite catholique. Selon eux, Lady n’est que pure luxure et n’aborde pas de sujets « corrects » pour les adolescents. Il y a également eu des critiques provenant du mouvement féministe. La première raison est que je suis une homme d’âge mûr qui écrit à propos d’une jeunes fille de 17 ans et de sa sexualité, ce qui fait automatiquement de moi un pervers. Et puis pour ce mouvement, la vision de la vie que projetait Sandra était étroite et stupide, ce qui n’est évidemment pas mon avis, puisque selon moi, il s’agit d’une quête de liberté.

CITROUILLE (nov. 2002): Comment faites-vous pour décrire aussi précisément ce que ressentent vos personnages, qu’ils soient chienne ou toxicomanes ? Est-ce de l’introspection ou seulement votre imagination d’écrivain ?
MELVIN BURGESS: Je ne crois pas savoir pratiquer l’introspection. Je me documente bien sûr, mais je fais surtout un travail d’imitation. Je prends la voix de mes personnages. J’ai pris de la drogue dans le passé, mais pas de la drogue dure, à part la cigarette. Cela m’a peut-être aidé à imiter mes personnages toxicomanes. Cependant mon interprétation des sensations d’un chien reste peut-être erronée ! (rires)… Bien qu’à la réflexion, le personnage de Sandra dans Lady est très similaire à celui de Gemma dans Junk. Simplement au lieu d’être accroc à l’héroïne, elle est accroc à la poursuite des chats !

CITROUILLE (nov. 2002): Dans Rouge sang, les Mi-Hommes, sont des créatures moitié hommes, moitié chiens, dans Géante, l’héroïne avait également une gueule de chien. C’est tout de même curieux…
MELVIN BURGESS: Je vous assure que je n’ai aucune affection particulière pour les chiens… Je n’ai simplement aucun problème avec eux…

CITROUILLE (nov. 2002): Combien de temps avez-vous passé à écrire Lady ?
MELVIN BURGESS: Quelques mois… Beaucoup moins de temps que pour Junk ou Rouge sang qui, eux, m’ont pris au minimum deux ans. Pour Lady, je savais que je voulais quelque chose de similaire à la structure de La Métamorphose de Kafka. Je savais exactement où j’allais, c’est pourquoi cela m’a pris moins de temps.

CITROUILLE (nov. 2002): Comment l’histoire vous est-elle venue ?
MELVIN BURGESS: Comme je l’ai déjà dit, La Métamorphose de Kafka a été ma source d’inspiration principale. L’idée de l’existence de cet instinct animal au fond de nous, me plaisait énormément. Et puis je voulais, pour une fois, faire un livre destiné aux garçons et dont l’héroïne serait une fille, et non pas l’inverse, comme on peut le voir si souvent. L’inspiration est également venue du fait que, à l’époque où je commençait Lady, mon beau-fils préparait son brevet et qu’il croulait sous une masse incroyable de travail. Je me suis dit que c’était beaucoup trop de pression pour quelqu’un qui aurait préféré être détendu et en train de s’amuser ! J’ai voulu traduire ce besoin de s’éclater et surtout, d’être insouciant.

CITROUILLE (nov. 2002): Et comment a-t-il réagit à Lady ? A-t-il aimé ?
MELVIN BURGESS: Je dois avouer que c’est une jeune garçon très convenable qui aimerait me voir écrire sur des sujets plus sérieux que la drogue ou la sexualité…

CITROUILLE (nov. 2002): Mais Lady, ce n’est pas seulement un roman sur la sexualité, c’est aussi le miroir de ce monde chaotique et plein d’incertitudes dans lequel vivent les adolescents.
MELVIN BURGESS: Pour moi, il était important de parler de solitude et de ce besoin désespéré de reconnaissance de soi, que ce soit par ses parents ou par ses amis.

CITROUILLE (nov. 2002): C’est d’ailleurs l’un des moments forts du roman, quand Sandra essaie de faire comprendre à ses parents qui elle est réellement.
MELVIN BURGESS: C’est l’un des passages les plus importants à mes yeux…